Futhi Ntshingila – Enragé contre la mort de la lumière.

Futhi Ntshingila a grandi en province, à Pietermaritzburg,  et vit et travaille à Pretoria, où elle exerce comme journaliste . Son travail porte sur les femmes qui sont à la périphérie des sociétés, et son roman est emblématique de sa vocation.

Le titre, issu d’un poème de l’auteur gallois Dylan Thomas est explicite sur le thème. Mvelo est , au début du roman, une gamine d’humeur joyeuse, très attachante, assez mature, qui montre plein de qualité pour affronter la vie sociale difficile d’Afrique du sud. Elle vit seule avec sa mère, Zola –allusion au caractère social très sombre du roman ? – dans le bidonville de Mkhumbane, près de Durban. Le sort va malmener cette jeune fille avec acharnement, et la trame du roman suit le parcours de survie du personnage. En soi, ce choix n’est pas forcément original Forcément, le lecteur aura dans les premières pages la sensation de se confronter une fois de plus avec un lourd mélodrame à tendance africano-misérabiliste. mais force est de constater que le roman est plutôt réussi, loin des clichés possibles de ce type de trame, grâce à une  narration assez fluide, et une qualité d’invention des personnages qui les rend très vivants au lecteur attentif. La trajectoire optimiste qui ouvre le roman bascule très vite, après quelques pages d’exposition, quand Zola apprend sa contamination au VIH ; sa fille, peu de temps après se retrouve enceinte à la suite à un viol -d’un ecclésiastique évidemment, tout puissant, pervers et intouchable car ecclésiastique justement. Mais ce n’est pas fini, la dégringolade. Puis, une fonctionnaire à demi-alcoolique vient notifier à Zola et Mvelo qu’elles ne peuvent plus compter sur l’aide versée par l’État. Voilà la mère mourante et son enfant famélique renvoyées à la rue, la rue vorace de l’effroyable Durban. Mvelo n’ira plus à l’école. On est saisi par l’odeur de la paraffine, la fumée des bougies, l’odeur des rues abandonnées à la pauvreté. On découvre ces  monstres de ténèbres qui perdent leur pouvoir au contact de la lumière, les « oncles » et les « testeuses de virginité…La spirale s’engage vite, dans le tréfonds d’une société sans pitié dont on redoute les détours ; pauvreté, maladie, violence, malnutrition, trahison, injustice.  Tout est sombre et suffocant. Mais pas complètement : alors Zola raconte à sa fille une histoire marrante – il est question d’un salon de coiffure et des tentatives désespérées d’une cliente pour arborer une chevelure blonde – puis on éclate de rire. Et voilà ; de l’amour, de l’humour, de l’intelligence, voilà l’exorcisme contre l’accablement. La lumière ne meurt jamais complétement à qui sait l’apercevoir. Dans le souffle de la mère qui meurt, ces mots à sa fille : « Promets-moi que tu ne feras aucun mal à la vie qui grandit en toi ». Pas mal…

Car malgré les vicissitudes de la vie, elles gardent l’envie, tout simplement l’envie, de vivre face à un destin aussi sadique. Il ne fait pas bon être une femme noire et pauvre dans cette Afrique du Sud, où l’apartheid aboli a laissé un sillage d’injustice révoltante. Mvelo va petit-à-petit perdre son innocence, bien sûr. Mais elle gagnera en clairvoyance. C’est une plongée dans la tourmente, ou quelques éclats d’espoir mince permettent petit à petit de douter de la mort absolue de la lumière, et de rêver au constant renouveau du jour. L’énergie enragée que les deux femmes jettent éperdument contre ce destin ravageur secrète au fil des pages un peu de souffle vital. En renfort, toute une série de figures complémentaires, outre la mère blessée à mort, mais aimante et fidèle , un beau-père lointain mais qui saura lui donner de l’affection, une avocate féministe un peu dissipée – métis amérindienne – mais qui lui montrera le chemin, une grande tante sévère mais accueillante, un vagabond mystérieux mais solidaire, un couple bienveillant et altruiste, mais un peu téléphoné, il faut bien le dire, et les autres.

Risquons un lieu commun, fort approprié, en disant que c’est un magnifique plaidoyer pour la vie. Certes, mais pas la vie spirituelle ou intérieure ; non, la vie sociale, l’existence commune qui rend les hommes solidaires et indispensables les uns aux autres. Mvelo ne sort pas des eaux sombres parce qu’elle est solide et déterminée etc. Elle surmonte les calamités que produit cette société mauvaise parce qu’autour d’elle, il y a tous ces personnages qui s’aimantent positivement les uns aux autres.

C’est un roman un peu rageur, sans exotisme, mais surement pas un livre de guerre. La littérature sud-africaine est féconde depuis longtemps, y compris pendant les temps honnis de l’apartheid, mais elle a le plus souvent été blanche et masculine – hormis l’œuvre de Nadine Gordimer. On apprendra avec intérêt que Ntshingila a fait des études en résolution des conflits. Elle aura sans doute exploité cette part de connaissance dans la dynamique de son roman, car il est bien question de conflits, sociaux, intérieurs, ethniques…
Est-ce une Afrique malgré tout heureuse que nous décryptons dans cette lecture ? On peut aussi voir le roman sous ce prisme.  Pour se donner du coeur devant la nature humaine. Avec ce roman  Futhi Ntsinghila, avec urgence et sensibilité dans son écriture, donne enfin une voix colorée aux héroïnes invisibles de son pays, maltraitées par la vie, la société et les hommes mais courageuses, obstinées.  Et résilientes, car s’agissant de littérature, on peut lâcher avec satisfaction ce mot si grave.

 

Futhi Ntshingila . Enragé contre la mort de la lumière.  Traduit de l’anglais  par Estelle Flory . Edition Belleville. 197 pages.

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