Discours de la modernité.

Il naît souvent dans certains esprits des combinaisons étonnantes de mots et de formules pour suppléer autant que faire se peut à la misère des idées. Car beaucoup ont l’envie constante de dire et dire encore quand il n’y a lieu que de faire une conversation, où même de ne pas la commencer.

Hermagoras a la passion des lectures et des réflexions, mais moins que celle des mots abstraits et des tournures surprenantes. Il est donc toujours affairé à améliorer les termes de son opinion et le discours qu’il vous en fait.

C’est qu’il a bien de l’esprit et la capacité à mettre des mots compliqués ou des tournures redoutables là où il n’y a que de pauvres évènements. Il analyse ce qui est clair, puis escamote en deux mots ce qui est abscons. Parlant et pensant en même temps, il entrelace des rubans et produit des bulles, multiplie les scories et souffle sur le vent.

Du sujet qu’il a soulevé, il ne s’interroge pas pour savoir s’il en connaît l’argument ; car le principal, il vous le dira, est d’en débattre. Il attend votre opinion d’ailleurs. Il vous questionne, vous relance, vous poursuit pour enfin vous contredire.

Vous dites ainsi trois mots très simples du temps qu’il fait, ou des courses à faire : par réflexe, voici qu’il entreprend une discussion, comme on marche, sans y penser. Lui vous montrera que derrière votre conclusion, rien n’est facile comme il y paraît, et convergent bien des intentions que vous n’aurez su entendre, et des arguments qu’il convient de décliner – lui seul sait le faire- pour entrevoir la portée de ce qui se trame à qui lui refuse le débat.

Dans l’illustration constante de ses propos, Hermagoras dit souvent des phrases bien étranges. Il ne dira pas « un poème » mais l’idée de poème » ; pas plus, une conversation, mais « le processus de l’échange verbal ». Jamais le mot de film ne sera employé, il préfère œuvre de cinéma, ou écriture par l’image. Du bruit dans la rue, de la foule, qui tracasse et accable : ce sera « la perception sensorielle d’un paysage sonore ». Il ne désigne pas un nuage par le nom de nuage; mais par « le concept de nuage ».

D’un livre qui l’a ravi, il ne dira pas s’il l’a aimé ; mais que « le discours du verbe construit une itinérance sémantique entre l’émotionnel et le structurant, ce qui permet, il faut le dire, un retour à la lettre du soi sous l’avers du sens qui ouvre sur la libération en creux du processus lecteur ». D’une exposition d’art contemporain, il ne sait pas s’il a apprécié ou non, et peu importe car l’essentiel est loin de ce point : il vous dira tout net que le parcours esthétique de l’artiste vous impose à chaque œuvre le primat de la perception humaine sur le sensoriel de la créativité abstraite, comme l’impact d’un réalisme spéculatif sur l’ontologie orientée désormais objet et non plus sujet, ce qui est une libération du questionnement inhérent à toute intention d‘exposer etc. »

Vous serez lassé avant lui. Hermagoras, certain comme chaque jour de son bel esprit, sera épanoui d’avoir emporté une fois de plus la polémique. Heureux, il s’étonnera toujours d’être entouré d’esprits simples, et généreux, se ravira de les instruire de son altitude.

©hervehulin