Epilogue (La fin des paysages)

 

Ainsi donc sans limite s’ouvre un nouvel espace
Sevré de sa lumière Spolié de ses couleurs
Dans l’air tremble sa distance argentée de brouillard
Un dieu immense et neigeux épouse le regard
La ligne au loin avale son étrange stupeur
Le vide attend le vide dans la nuit qui s’efface

L’ombre mauve des saisons a laissé son empire
Chavirer dans la nuée sous la ruine des âges
Tout aura disparu Tout L’image et son reflet
L’estuaire et la source La lune et son cristal
Mais qu’avons-nous donc appris des anciens paysages
Et la terre s’est perdue dans l’envie qui expire

Ainsi nous apprendrons la vie sans plus jamais embrasser une portion d’espace terrestre animée de saisons et de nuages ni point de vue ni forme d’enfance, sans collines ni falaises, et nous saurons toujours où aller Nous autres vainqueurs des planètes

Nous ne saisirons plus rien du frisson des bruyères
Qui peuplait de rouge et or l’angle vif des miroirs
Ces sillons secrets qu’enviait la pâleur de la pierre
Et sous l’étang étoilé la courbure du soir

Comme un désir d’océan surgi de ses embruns
Offre à nouveau la trame d’un astre à son éveil
Un autre désir survient toujours d’un monde ancien
Un seul regret a suffi pour brûler le soleil

Qui donc nous restituera les lignes ancestrales
Aurons-nous la nostalgie d’incroyables nervures
Sous le flot du jour bruissant d’électriques cigales
Lirons-nous des galaxies la lointaine voilure
Mais à quoi bon s’inquiéter du profil des nuages

Toute forme sans ombre s’éclaire pour toujours
Évanouis sont ces reliefs où paressaient les fleuves
La sibylle a renversé le vin lourd des orages
L’air enfin libéré de sa pesanteur appose
Au cuivre spectral du ciel ses lèvres addictives

Ainsi les boulevards serrés et de vastes façades occupent désormais sans partage le sel et les rives de nos songes tandis qu’un monde émerge dans sa pleine blancheur du coin de la ville qui s’endort alors que les néons et les vitrines se lassent déjà sous la bruine et que dans le remuement infime des perspectives traversées de foules invaincues dont les lois et les siècles ont forgé l’autorité sans recours Voici que sur l’horizon craintif lentement se dresse dominateur par l’économie de son verbe sans fard Aurore immaculée au diadème dardé

Le front auguste de l’absence

A présent rien que la vie dont l’azur bat les cimes
Rien d’autre que ces hauteurs épurées de vertige
Pour seul songe d’avenir l’extase de l’abîme
Rien que la perspective aux ordres de l’évidence
Une trace de rosée qui tremble sur la tige
Un adieu voilé de cendre au bout de cette histoire
Adieu à la chair du monde A l’homme et sa souffrance
Absence O Absence des paysages
Que feras-tu de ta victoire ?

 

                              * Extrait de « Cinq Leçons de paysages ».

©hervéhulin2020