(extrait de « Seconde leçon de paysages »)


                                                     

I

Je suis le voyageur apaisé par sa course
Voici quarante années que j’ai pris ce chemin
De l’horizon craintif la distance m’est douce
Mon âme de la terre imite les confins

Pas après pas j’avance et le temps avec moi
Souriant s’est changé en complice distant
Je regarde le sud je fixe le noroît
Je nomme à mon humeur les astres existants

Ainsi toujours errant loin du pays natal
J’ai si souvent prié pour que le jour ne cesse
Que le temps sur ma peau ralentit sa caresse
Comme un dernier vaisseau dont faiblit le fanal

II

Comme un arbre en hiver qu’argente le grésil
Je capte la lueur qu’un fleuve peut cacher
Douceur amère de l’exil
Sans l’obsession vécue de sa destination
Un rivage inventé me suffit pour marcher

Et les songes sont neige où le vent se  partage
Les pas illisibles sont frêles primevères
Senteur des fleurs d’automne Essor des oies sauvages
Dans la saulaie enfuie s’enivre l’éphémère

III

Embarcadère si seul dans la buée du soir
Que le monde est construit de fragiles figures
Dont seul le sable fin bâtit l’ordre et l’épure
Et ma trace est tissée d’invisibles miroirs

Mes larmes au réveil changées en papillon
Du ciel j’anticipe le sillon sidéral
Du trèfle à peine né l’avenir virginal
Et des jours silencieux la tragique moisson

A la nuit je fais don de la suée de ma peau
J’entends pleurer la grive et le temps moins sévère
Sur cet accord reprend cet arpège ternaire
Comme une étincelle dont la brume est l’écho

Vous les pluies O mes sœurs aux méandres si clairs
Vos murs d’argents gorgés d’une arche de tendresse
En frayant  vos escadres libèrent la promesse
D’orages bienveillants dont mon cœur est l’éclair

IV

Je connais le silence et je connais l’espace
Je perçois les contrées qui séparent les mers
Et je comprends l’hiver comme un avenir vert
Je devine du jour le demain qui s’efface

Mais que sais-je en cela du nom des paysages
Bijoux  du clair de lune Offrande d’un naufrage
Où vont ces saisons qui ne cessent jamais
Ces flots inutiles ces marées immanentes

Ces lémures lassés et ces spectres dociles
Les secrets des amants ou le nom des ancêtres
L’étreinte de soi-même et cette force d’être
Et le soir est en moi ce fœtus invisible

V

Et l’aube en vacillant exhale un trait de miel
La clarté prend refuge où s’avance la pluie
Je m’endors sans prier sous les temples du ciel
Bientôt s’effacera cette arche inaccomplie

Comme le jour capté sous l’étain blanc des flaques
Renvoie au ciel moqueur un éclat vivifié
Mon œil garde en lui-même une espérance opaque
Que nul songe au soleil ne soit plus sacrifié

Mais sous ce nom secret que le soir seul prononce
Je reconnais le trait d’un archer qui me charme
Toujours la nuit imprime une lourde réponse
Je suis le vieil errant et nul n’entend ma larme

VI

Mais le pays qui passe en moi reste gravé
Alors qu’en s’éclairant le nuage s’entrouvre
Il me fait don d’un pacte où l’espace est sacré
Ainsi toujours en moi les lointains se retrouvent

Animal je suis l’ombre au matin qui résiste
Sans élan avéré que cet effleurement
Minéral je deviens un roi en son gisant
Sans parole qu’un souffle au soir volé Si triste

La lumière offre un fruit aux lents vergers du jour
La vie laisse en partant sa plus royale esquive
Le monde est un secret du plus parfait amour
Mais rien ne chante autant que l’éclat de l’eau vive

VII

Souvent le plus beau songe enfante un pur mensonge
Comme une ondée révèle un mystérieux  versant
Quand l’herbe de la nuit sur ces pentes s’allonge
J’entends sourdre en mon âme un étrange océan
Et dans mon cœur vaincu par ce dieu qui le ronge
Ce soleil rouge et noir dont la nuit prend le sang

 

I

Comme un essaim noyé par un soleil pluvieux
Le silence esquisse sa blanche parenthèse
Et soudain rayonnant quand le jour se fait vieux
Se fond dans la nuée des heures qui s’apaisent
Tandis que leurs reflets renaissent sous les yeux
Le silence esquisse sa blanche parenthèse
– L’âme du ciel est évasive-

O volupté simple dans le fil droit des âges
Vivre en vain veut s’éteindre où la flamme s’agite
Les dormeurs si obscurs derrière leurs visages
Effacent les chaînes de l’envie éconduite
Et des passions perdues l’inlassable poursuite
O volupté simple dans le fil droit des âges
Autant d’heures inoffensives-

Tout entier absorbés dans ces embrassements
Les dormeurs dérivent sous un vent libéré
Leur voilure invisible a déjà oublié
Du jour et son effort les rayons harassants
L’âme au creux de l’ombre va se réfugier
Comme un feu absorbé dans ses embrassements
 – Oiseau voleur es-tu en veille ?-

Seul le cœur éclaire la raison qui s’endort
Dans l’abîme entrevu aux distances majeures
Où tant d’estuaires s’ouvrent dans un flot d’or
Mais si le miracle vibre ainsi dans les corps
Où donc de nos âmes nous attend la demeure ?
Dans l’abîme entrevu aux distances majeures
– Les peaux nues baignées de vermeille-

Comme neige un sommeil gris, l’abîme se fond
Sous la ligne d’argent d’un soir mélancolique.
Nous dormons. La vie passe et enfin, nous dormons…
La nuit délacera tous ces masques tragiques
Et nous redeviendrons de pâles embryons,
Sous la ligne d’argent d’un soir mélancolique.
 – L’humain est vivant cimetière –

Si la nuit aveugle parle aux astres éteints
Ruinant de l’éveil le cycle et le carcan
C’est tout un univers éploré qui se plaint
Souffle et couleurs mêlés dans l’eau d’un même instinct
Le temps se transfigure en capricieux volcans
Ruinant de l’éveil le cycle et le carcan
-La lune est fidèle ouvrière ! –

Comme un pétale enfui d’un halo de senteurs
Colore ce versant ombragé de la vie
Une vapeur bleutée de lave inassouvie
Embrase la clarté tranquille des dormeurs
Jusqu’au rivage oblique où danse un soir de pluie
Comme un pétale enfui d’un halo de senteurs
-Battement d’ailes Argent d’étoile ! –

Mais alors que le cœur ne bat plus qu’indistinct
L’alcool pourpre du corps s’exhale en cent matins
Nous dormons Les ailes de l’insomnie balayent       
Les amers du cerveau où la raison faseye
L’aube est ténébreuse dans ses draps de satin :
L’alcool pourpre du corps s’exhale en cent matins
– Ombre et soleil, sauvages voiles ! –

II

Hypnos enfant survole et surligne l’espace
Son regard ne dort pas il ne s’endort jamais
Son cercle halluciné dans la nuit qui se lasse
S’épuise à se chercher Qui pourrait l’en blâmer ?
Le dieu trismégiste sous ses paupières fauves
Incendie nos songes dans ses tièdes alcôves
 – La pluie passe sur les gisants –

Les dormeurs naviguent, hautains et voyageurs,
Accostant leur royaume aux mouvantes frontières.
Là où le seuil a soif, où faiblit la lumière,
Résonne en murmurant un tourbillon d’orages
Que n’apaiseront ni le sommeil ni les âges.
Mais où dort donc le pays des dormeurs ?
 – Combien d’anges et d’océans ? –

III

Des hommes sans regard l’étincelle diaphane
Vacille et se change en forêt
Hiver secret des mots Neige cachée des sens

Dans ce vertige dont ne cesse la transe
Un rayon émane
Un vieux et gros soleil entend remuer sa panse
Comme un cerveau hanté d’un sablier qui dure
Loin du désert et des tortures

La surface appuyée succombe
Médiane en transparence
Et dans un renversement vertical
Devient nuit soudaine

Juste sous l’angle abstrait des paupières closes
Se régénère en vain l’invention de l’éveil
Dans le signal tremblant d’un frisson de roses
Des mots forgés d’argent se teinte de vermeil
Mais aucun son ne porte Au seuil voilé des limbes
Le dieu blanc passe et va, insomniaque, et triomphe
Versant dans l’abstraction des abîmes qui gonflent
L’élixir résurrectionnel du sommeil

A ce point du flux et de l’espace
(déroulement de l’invisible)
L’opacité se retourne
Et redevient surface

L’optimiste sommeil, problème inconsistant
Noie ses flux et son chant O berceuse pareille
Aux zigzags empourprés de l’hésitante abeille

Brulant son sillage d’orient à occident
Un triangle inconscient stabilise la voie
Des champs de chimères tourmentées d’oiseaux pâles

L’horizon alourdi de tant de nuits vidées
Transgresse le poli affolé du miroir
Le sommeil s’est enfui au pays des dormeurs

Dans le cercle d’un sort jamais rompu il sème
L’inintelligible halo de son pollen
Chargée de fleurs vieilles et de lustres fantômes
L’insomnie se retourne enflée de laudanum

IV

Car chaque fois que nous dormons
De la mort le sillon inachevé appelle
Cet élan alangui d’une pâme éternelle
Comme un ultime éclair au bout de l’abdomen
L’arc-en-ciel et la flamme éblouie du noème
Et nous – les initiés, les éveillés – vivons !

 

 

©hervéhulin2023

La lumière est douce au linteau du temple
Quand sous la ligne le pas du silence
Lâche son voile nuptial puis danse
Dans ce cercle que cent astres contemplent

Combien d’étoiles ont ainsi viré
Au gré des brises aux jeux sinueux
Combien d’aurores captées dans les yeux
De ces migrateurs si tôt chavirés

C’est un reflet c’est un soupir,
Une lumière qui ruine sa trace
Et dans l’âme un reflet qui s’efface
Qu’aucun temple ne fera revenir

©hervehulin2023

 

A l’Orient le soleil décline
Comme un vieux maître fatigué
L’obsession de regagner sa ligne
Emporte les jours et les années

D’un trait simple du haut vers le bas
Les narcisses au bord du chemin
Aveuglent d’étoiles faciles
La droite qui s’éloigne du trait

Tourmentée d’un effet de grâce
Comme la sterne perd son cap
Souvent je contemple cet axe
De l’astre qui va et revient

La nuée se coule avec le plomb
Visitant la terre et ses diamants profonds
J’ignore encore quelle est la droite qui me tient.
Et pour l’éternité je fixe le plafond

 

©hervéhulin2023

Un trait d’or aveuglé tremble sur la fenêtre
Les traces d’encre disparaissent
A peine empourprée l’aube pointe
Là-bas s’achève une caresse
Les secrets de la nuit éteinte
Nous imposent ce choix entre la chose et l’être
Fièvre adoucie chaque jour
Brûlure d’un triste velours
Rougi sous la plaie et la lèvre
Où déjà solaire le zéphyr se relève

J’espère du plein-jour le rayon somptuaire
Rêvons un peu rêvons encore
C’est là l’ultime sanctuaire
Des dieux fragiles que le jour neuf ignore
Voici le dur diamant que le moment éclaire
Le métal et son or L’oiseau et son orgueil
Revoici l’astre fou qui grossit à vue d’œil

Vite quelques fleurs d’ellébore
Vivants prenons garde à l’aurore
Enfant Je m’émerveille aux pièges de sa traîne

À nouveau les hommes vivent
Rêvons un peu sans plus agir
Rêvons de vin et d’apparences
Flammes faciles les jours se suivent
Dans l’écheveau des évidences
J’entends le rire sourd du chaos à venir

Derrière l’aube vient l’été
Dans la houle stressée des blés
Les coquelicots se consument
Leur volage rougeur essaime
Quand un seul soupir les dénude

Chaque jour sur la terre
Sur sa circonférence entière
Condamne chaque lendemain
À se dévorer de chagrin
J’imagine fleurir des éblouissements
De superbes aveuglements
Sous l’aurore toute entière
Irriguée d’orageux réveils
Des forêts d’astres fous et de nouveaux soleils
De soleils champignonnant
Prenons garde au matin trop blanc

L’astre levant face à la route
Joue sa partition de splendeur
Soudain dans le rétroviseur
Un deuxième soleil s’ajoute
La chaleur d’un éclair fait fondre
L’idée de la terre si ronde
Et dans le souffle qui met fin à toute aurore
Toutes les larmes du monde enfin s’évaporent.

 

©hervéhulin2023

 

L’immensité est à portée
Ce n’est qu’un peu de mer ailée
Et de soleil dans son flacon

Effet miroir de la constance
Les ombres matinales s’enivrent
De vapeurs bleues et d’exigence
Sur un tain d’orage ardoisé

Rien ne s’achève et surtout
Pas le jour et sa traînée
Vastes sont les cendres
Et tremblantes les idées

L’immensité est à portée
Il est grand temps au firmament
D’aller enfin se retrouver

 

©hervéhulin2023

 

Je voudrais avancer sur un vaste désert,
Jeter mon âme au ciel et mon pas dans les sables.
Je voudrais aussi vivre et trembler dans les airs,
Comme l’éclat du geai qui cisaille les arbres.

Je voudrais traverser des espaces glacés,
Changer l’or des étés pour l’aura des banquises.
J’ai de mes semblables, attendu bien assez
Pour ne plus espérer qu’en mes propres hantises.

Dans ces milliards de voix, je serai toujours seul.
J’écoute l’harmonie des flots et de l’écume,
Et mon rêve jaloux en s’enfuyant assume
Une blancheur de lune évidant son linceul.

Distant de ces peuples bavards et indociles,
Je fuis à chaque heure vers le soleil levant.
Pour tout futur, je veux un grand matin sans vent
Et pour toute mémoire, un contour de presqu’île.

Je voudrais tant partir vers l’ombre et l’horizon,
Inventer des oublis, découvrir des formules ;
Laisser dans mon sillage enfouir des crépuscules
Et n’offrir au remords qu’une ultime oraison.

Je voudrais traverser une vierge planète,
Ses contrées épurées des vestiges humains ;
Sentir battre en mon cœur, comme s’ouvre un chemin
La lueur des forêts, invisible et secrète.

Je suis las des foules et du cri des cités,
Des savoirs et des pleurs, du fracas des empires !
Rongé par sa gloire, ce vieux monde excité
M’est lointain comme un soir dont la rougeur expire…

 

©hervéhulin2023

 

Ainsi donc sans limite s’ouvre un nouvel espace
Sevré de sa lumière Spolié de ses couleurs
Dans l’air tremble sa distance argentée de brouillard
Un dieu immense et neigeux épouse le regard
La ligne au loin avale son étrange stupeur
Le vide attend le vide dans la nuit qui s’efface

L’ombre mauve des saisons a laissé son empire
Chavirer dans la nuée sous la ruine des âges
Tout aura disparu Tout L’image et son reflet
L’estuaire et la source La lune et son cristal
Mais qu’avons-nous donc appris des anciens paysages
Et la terre s’est perdue dans l’envie qui expire

Ainsi nous apprendrons la vie sans plus jamais embrasser une portion d’espace terrestre animée de saisons et de nuages ni point de vue ni forme d’enfance, sans collines ni falaises, et nous saurons toujours où aller Nous autres vainqueurs des planètes

Nous ne saisirons plus rien du frisson des bruyères
Qui peuplait de rouge et or l’angle vif des miroirs
Ces sillons secrets qu’enviait la pâleur de la pierre
Et sous l’étang étoilé la courbure du soir

Comme un désir d’océan surgi de ses embruns
Offre à nouveau la trame d’un astre à son éveil
Un autre désir survient toujours d’un monde ancien
Un seul regret a suffi pour brûler le soleil

Qui donc nous restituera les lignes ancestrales
Aurons-nous la nostalgie d’incroyables nervures
Sous le flot du jour bruissant d’électriques cigales
Lirons-nous des galaxies la lointaine voilure
Mais à quoi bon s’inquiéter du profil des nuages

Toute forme sans ombre s’éclaire pour toujours
Évanouis sont ces reliefs où paressaient les fleuves
La sibylle a renversé le vin lourd des orages
L’air enfin libéré de sa pesanteur appose
Au cuivre spectral du ciel ses lèvres addictives

Ainsi les boulevards serrés et de vastes façades occupent désormais sans partage le sel et les rives de nos songes tandis qu’un monde émerge dans sa pleine blancheur du coin de la ville qui s’endort alors que les néons et les vitrines se lassent déjà sous la bruine et que dans le remuement infime des perspectives traversées de foules invaincues dont les lois et les siècles ont forgé l’autorité sans recours Voici que sur l’horizon craintif lentement se dresse dominateur par l’économie de son verbe sans fard Aurore immaculée au diadème dardé

Le front auguste de l’absence

A présent rien que la vie dont l’azur bat les cimes
Rien d’autre que ces hauteurs épurées de vertige
Pour seul songe d’avenir l’extase de l’abîme
Rien que la perspective aux ordres de l’évidence
Une trace de rosée qui tremble sur la tige
Un adieu voilé de cendre au bout de cette histoire
Adieu à la chair du monde A l’homme et sa souffrance
Absence O Absence des paysages
Que feras-tu de ta victoire ?

 

                              * Extrait de “Cinq Leçons de paysages”.

©hervéhulin2020

Dans le halo d’un rayon rouge
La terre se fait étrangère
Est-ce une idée de vérité
La nuit se teint d’orange amère
Vers l’horizon qui vient et bouge
Comme un désir tôt en allé

Pourquoi le rubis atténué
Dans la notion de son regret
Patience des constellations

Rien d’autre qu’un mur sinueux
Voici le ruisseau qui danse
Et s’enivre au refrain
De sa propre vibration
Geste éternel de la cascade
Neige lointaine d’étincelles
Pourquoi l’astre éclaté

Écho secret de l’aruspice
Quel est ce rayon rouge
C’est un trait d’éternité
Rien ne lève ni ne retombe
Seul le temps polit la pierre
Et son orbe poursuit son ombre
Le monde est droit comme un calvaire.

 

 

 

 

 

1.

Les pierres se cachent
Dernier sanglot de la mer
Un secret couvert
Sous le sable qui s’efface
Quand l’ombre approche la mer

2.

Tout autour de nous
L’hiver dévore les fleurs
L’air se fait plus doux
Si le vent tourne sa peur
Étranger dans sa torpeur

3.

Moment de fatigue
Quand tourmentée de questions
La terre navigue
Le ciel prend possession
En chantant de l’horizon

4.

Le nain prend la pose
D’un dieu au regard absent
A l’âme d’argent
Mais de son rire la rose
Tue l’amour de l’indigent

5.

Bulles de savon
Dans l’invisible lumière
D’un vent de saison
Passée l’ombre du sanctuaire
Sait-on où elles s’en vont

6.

Fleurs de cerisier
Éparpillées sous l’averse
L’air vous fait trembler
Et sous la lune disperse
Le blanc de vos secrets

7.

L’orage éclata
Le long du vent en colère
Et les acacias
Très insolents se plièrent
Sous les larmes du tonnerre.

8.

Où sont mes amis
A présent tous égayés
Où sont-ils partis
Ne découvrant que regrets
Semés dessous les pruniers.

9.

Comme un oiseau blanc
Au loin s’en vont les nuages
Un monde flottant
Semble changer de visage
Pour s’inverser dans l’étang.

10.

Dans la jarre un astre
S’abîme et déjà décline
Pourquoi ce désastre
Comme un vœu dans l’eau câline
Tout s’éteint puis se ranime.

11.

Rêve et nuit de fleurs
Du matin l’haleine blanche
Refroidit l’ardeur
Sous la nudité des branches
Le ciel garde sa couleur.

12.

Sous un ciel de flamme
Les blés imitent le sable
Tremblement de l’âme
Comme un germe insaisissable
Que l’été est périssable !

13.

Fatigue des pluies
Vapeur d’eau sur les feuillages
Le ciel se replie
Sous les fougères volages
L’argus fragile s’ennuie.

14.

L’averse soudaine
Les jeunes gens se dispersent
Tant qu’il m’en souvienne
Toujours s’enfuit la jeunesse
Dès que souffle la tristesse.

15.

Odeur d’algue ancienne
Les vagues s’en sont allées
L’étoile oubliée
Dans une flaque obsidienne
S’invente un air de sirène.

16.

Pâleur de décembre
L’automne éblouie se blesse
L’air se fait si tendre
Voici sourdre la vieillesse
Insecte figé sous l’ambre

17.

Nuages épars
Quand le jour s’effile et passe
Drôle d’avatars
Des archipels sans miroirs
Où les rivages s’effacent

18.

Quelque chose change
L’aube irisée dans la mare
Devient toute étrange
Puisque noyé sous l’eau noire
Dérive un lutin orange

19.

Le lutin de flamme
Par amour d’une chandelle
S’épuise et se pâme
Trop près du feu de sa belle
Il se change en étincelle.

20.

On le sait la vie
Ne sert qu’à bien peu de choses
Si trop tôt ravie
S’en est fanée l’énergie
Avant le cycle des roses.

21.

Un flocon s’enivre
Sur l’autre flanc de la vitre
Où vas-tu mon livre
Quand l’hiver d’un souffle invite
Le signet que tu délivres.

22.

Amère saison
Lucioles sous les prunus
Leurs feux se défont
Si pâles que l’horizon
S’estompe dans l’angélus.

23.

L’océan blotti
Sous l’ombre du coquillage
Semble rajeuni
Puis renonce à tout étiage
Désir d’y creuser son nid.

24.

Le trèfle s’étire
Vers le soleil sans retour
Superbe délire
Du bruissement d’un empire
Sous le tremblement du jour.

25.

Consumée dans l’air,
La lumière sous les feuilles
Nous vient de la mer
Goûtons cet écho si cher
Où la terre se recueille

©hervehulin2022

 

Soleil et mer durcis
Hantés par le silence
La nuit veille et danse
Sur la peau du rivage
Où file l’infini
Tel un enfant sans âge

Comme la voile s’entrouvre
De l’époux quasi-défunt
L’instinct rêve et se retrouve
Dans le sable qui s’éteint

Détissant le désir et ses ors
Elle attend Fidèle et captive à la fois
Et contemple la main en visière
– Plutôt qu’une vie solitaire
Descendre sur les flots pourpres
Le rouge cyclope du soir

 

 

 

 

 

 

©hervéhulin2022

Comme une ombre qui vient sur les blés et la plaine
Une tache de sang sur la neige a brûlé
Le fragile sarment d’une paix bien ancienne
Le temps que prend l’écho d’un sanglot écoulé

Sous l’éclair, solitude, et frayeur sous l’orage ;
Cet hiver écarlate a lâché ses périls,
Et dans le ciel enfui, les neiges en exil,
Avec l’or du matin, en tremblant, s’encouragent.

Toujours la blessure l’emporte sur l’accord,
Le vide sur l’astre, quand même la nuit pleure.
Et rien des peuples morts ne justifie le sort
Car l’homme est ainsi fait qu’il tue ce qu’il effleure.

L’Hoverla soudain gris, le Borysthène est triste.
Tout ce que la brume, tout ce que l’horizon,
Et tout ce que le songe ont permis de raison
Se relèvent à l’Est où chaque mot résiste.

Et tandis que saigne sous un mauvais destin
Ce corps blanc qui se noie dans sa plainte et sa peine,
Le vent tourmente et sème un cauchemar d’airain.
Car le monde est soudain noir et rouge en Ukraine.

3 mars 2022

©Hervé Hulin, tous droits réservés.

De tant de beaux matins discrète donatrice
Notre Lune a sombré sous le coup de midi
Mais n’a pas attendu sommeillant aux aguets
Le retour du solstice
Son reflet trois-couleurs si vite évaporé
Laisse une ultime parhélie
Trembler sous le deuil attendri
Lune abolie Que reste -t-il de sa rosée ?
Une douce lueur à l’étoffe embuée
(suite…)

La houle blonde des lavandes
Évolue en sinuosité
Dans un soleil criard
Le silence est capté
La terre alors change de ton
Et son tour redevient rond
Des pierres antiques contemplent
Cette équidistance bleutée
L’abbaye reste assoupie dans sa masse
Le chat va dormir
Mais ne cesse de sourire en dormant (suite…)

Sous le silence de l’obscur
Lève le frisson des chandelles
Pas à pas
Tel un soupçon qui devient sûr
A force d’écho infidèle
Jette au jour un ultime appât
Regret des anciennes tutelles
La nuit qui va ne revient pas

Déjà faiblit la voix du pâtre
(Onde orangée de la distance) (suite…)

                            I

L’éclaircie passe sur le lieu
Âme humide sans pavillon
Et ce faisant dévoile un feu
Blanc qui attire/ déterre
Sous la symphonie des racines
L’œil ancestral du ténébreux
(C’est un chant qui s’efface)
Question de convergence (suite…)

Le lierre sombre où mille fois
Perle un soleil chancelant
Murmure de blonds mots d’amour
Aux pierres vieilles et sans voix
Parmi les feuillages changeants
Qu’enrichissent les bras du jour

Et dans la douceur du granit
Oublié sous son joug de secret
Plus tendre et lointain qu’un zénith
Chantonne le souffle sacré
De l’eau esseulée qui palpite

Sa flûte roule et s’éparpille
Nue la fraicheur se découvre
Sous l’angle où les astres fourmillent
Un infime arc en ciel s’entrouvre
Dans le tempo d’un andante

Sous l’émeraude carminée
Se blottit la goutte tremblante
Rosies des chairs de la rosée
Et mille fois recommencée
Avec la discrétion frappante
D’une vie qui serait terminée.

 

©hervehulin

Comme un cygne à l’envol se détache de l’onde
La nuit d’un seul soupir trace des rives neuves
Les ormes embrumés que la pénombre émonde
Attendent Le voyage en s’effaçant se plisse
Ma barque en silence glisse le long du fleuve
La rive est sombre et mon cœur triste

Je ressasse le soir de crainte qu’il ne meure
J’entends le souffle des rameurs
Tout près des vagues dépliées
Tristesse que l’exil effleure
Je songe à vous qui m’oubliez

La lune en son rayon épouse le profil
Escarpé d’un écueil Que reste –t-il
De la lueur diurne où naviguait le regard
Dans la nuit bleue alentie de brouillard
Quelle est cette douceur profane
L’astre orangé d’un nénuphar
Comme la mémoire est diaphane

Pas de secret Le monde est fait d’étrange choses
L’argent de l’aiguière s’afflige avec les ans
Quand sa liqueur jamais n’en paraît éventée
Comme la biche blanche évanouie dans son sang
La vie la fait dormir Que la neige soit rose
Tout doux mon sang Tout doux Que ton ruisseau chemine
Et porte sa rougeur à celle qui me hante
Là où le vent est vif Là où tout est vivant

Il fait moins froid La nuit devient mauve il semble
C’est l’heure où mon âme fendue s’échappe et tremble
Elle fuit l’ombre qui la dévoile Comme elle
La luciole s’efface auprès de la chandelle
Je ressasse le soir de crainte qu’il ne meure
J’entends le souffle des rameurs
Tout près des vagues oubliées
Mon œil ne voit plus rien que le fanal qui meurt
Douceur que le matin affleure
Je ne vous oublierai jamais

 

©hervehulin

 

Suite N° 1.

 

1.

Des sources de fleurs
Perles blanches sous la lune
Portent leur liqueur
Aux amants Le blond La brune
Pour une folie commune.

2.

L’obscure cigale
Dans le chant des oliviers
Regarde aux étoiles
Et se dit qu’il faut chanter
Plus fort pour les éclairer.

3. Rêve d’étang

Point bref dans la nuit
L’étang mille parfums hume
Déjà s’assoupit
L’étain médaillé d’écume
L’eau vers ses rêves transhume.

4.

Dans le jardin bleu
S’écoule un vol d’oiseaux blancs
Arraché aux cieux
Car loin du soleil sanglant
Le soir semble trop brûlant.

5.

Le front face au vent
J’ai volé quelques pétales
Volé au levant
Tout vitrifié d’opale
Puis j’ai volé trois étoiles.

6.

Au bord du ruisseau
S’inclinent trois roses rouges
Et captif de l’eau
Leur reflet s’éclaire et bouge
Pauvre triple rose rouge.

7.

Sur un jeune pin
Un vieux merle se pose
Puis vient le matin
Sur les arbres et la rose
De l’oiseau noir prend la pose.

8.

Quand l’automne vient
Refleurissent les tons mauves
Tout est plein de vin
Au soir venu d’ivres fauves
Comblent du ciel les alcôves.

9.

Le pauvre ciel nu
Ses envolées d’hirondelles
A déjà perdu
De l’automne les ombelles
Seules semblent immortelles

10.

Quel est ce parfum
Qui verse dans la campagne
Couleur d’or défunt
C’est celui de la montagne
Où lassé octobre stagne

11.

Éloges des nuits
Éloges des crépuscules
C’est le même bruit
Qui dans mon crâne bascule
Et dans mon cœur gesticule

12.

Au fond du jardin
Triste j’ai planté un saule
Ainsi mon chagrin
Pour durer tels ces rameaux
Loin comme eux figé s’envole.

13.

Je suis fatigué
Car si pâle est ma personne
Que j’ai beau chanter
Le cœur de son orgue atone
Couvrant ma voix trop fort sonne.

14.

La voix d’un quatuor
À cordes dans l’hiver vibre
Saisissant dehors
D’un minuscule calibre
Tout ce qui jadis fut libre

  1. Mort d’un ruisseau

Au fond de ses yeux
S’enchevêtrait une source
Puis sans bruit trop vieux
Il a perdu sa ressource
Et l’eau a cessé sa course.

16.

Tissant son roman
Passager dans le silence
Le chant tout d’argent
D’une flûte bleue s’élance
Vers les voûtes de sa danse.

17.

C’est un long miroir
Que l’eau tranquille en novembre
Et on peut y voir
Que les fleurs cent fois plus tendres
S’évanouissent sous l’ambre.

18.

Près de l’eau qui dort
Des rameaux d’orme se mirent
Dans le soir tendu d’or
La luciole et le lampyre
Déjà fragiles expirent

19.

On voit s’en aller
Les voiles des oies sauvages
Là-haut dans le lait
Si tranquille des nuages
Que divise leur plumage.

20.

Cet arbre est petit
Dessous l’ombre des grands charmes
Mais comme eux il suit
Le fleuve couleur de larme
Octobre au chant de sa palme.

21.

Marchant dans les champs
J’avais surpris une biche
Qui s’enfuit pleurant
Depuis combien je suis riche
Des larmes de cette biche.

22.

La longue blancheur
Du matin froid redessine
L’envie des couleurs
Au fonds d’un lit d’étamine
La nuit à nouveau s’incline.

23.

Les fleurs sont en deuil
Des feuilles jusqu’aux anthères
Car dit le bouvreuil
C’est l’amant de la panthère
Qu’au soir la forêt enterre.

24.

Noyé de sommeil
Cet étang pâli de gemmes
Oublie le soleil
Et le temps n’est plus problème
Pour qui dort et le vide aime.

25.

Le tardif azur
Vient obombrer les pierres
Sur les flancs du mur
Où s’empourpre le grand lierre
Profond plus que la rivière

 

 

 

©hervehulin2020

Voici l’heure opaque : c’est l’heure la plus pure
Quand l’esprit s’évapore sans trouble ni retard
Voici qu’une ombre se pose au grand large du soir
Le songe s’est voilé dans un souffle qui dure

Voici que s‘achève la vaine ardeur du jour
Adieu les soleils blonds les bienheureux effluves
Le sillon des clartés s’épuise chaque jour
Et chaque soir revient la neige après l’étuve

Viennent l’ombre qui vibre et l’ombre qui voltige
Flatter le ciel tendu dessus les frondaisons
Déjà en toison bleues les nuages s’érigent
Et le ciel s’apaise veiné de doux poisons

La meute des senteurs les armées de lueurs
Raniment les miroirs de forêts diluviennes
Tandis qu’appareillent des navires danseurs
L’océan se gonfle comme un soleil qui saigne

L’ombrage se délie La fraîcheur s’accélère
Des fleurs s’émerveillent comme des tombeaux
Et leur parfum se fige en sifflantes lumières
Le soir encore secret déroule ses anneaux

Quel est donc cet envol qui passe avec ardeur
Quand le monde se ferme aux feux tièdes du soir ?
Quelle est cette brûlure au toucher sans douleur
Comme un instant de pâme, incertain ? « C’est l’espoir ».

 

 

 

©hervehulin2021

 

©hervehulin

 Sachant que la couleur ne subsiste
Dans l’iris des sites et des formes
Qu’au regard de l’incolore triste
Qui lui offre ses fonds et ses normes
L’automne est multiple et trismégiste
Comme il ombroie jusqu’à la croisée
Un jardin de feux et de rosée
Il ravive ainsi les améthystes

Dedans la fenêtre un salon d’ombres
Antiques dort paupières closes
Les meubles que la poussière obombre
Clamant l’immobilité des choses
Il est brun comme l’automne est d’ombre
Ce salon étrange comme une
Couleur d’automne à tout est commune
Quand un bleu ingambe s’érige hors des décombres

Elle est vêtue d’un bleu nu devant les lueurs
De ce jour d’automne qui s’élague tout seul
Auprès du bois des meubles à la modeste ampleur
Elle répond d’un ton fragile et presque veule
Où se change la lumière en brillante sueur
Elle ne lit pas son livre et incline son cou
Son cou est pur comme le tranchet d’un bijou
Elle murmure sans parler Elle est en pleurs




©hervehulin2021

NOCTURNE

 

I

Dans le jardin tranquille
Dix mille yeux rosés
Dans les feuilles scintillent

(Le vent est supposé)

O… qu’ainsi vivre est silencieux
Sur la peau des cieux

II

A moi Le dieu-chien de trois pas
Quittant l’ombre s’avance
Sa démarche semble médiane
Devant la lune en filigrane
Quand sur la margelle il jappe
Débute l’arc long de sa danse

Puis
Sans se retourner
La lune s’en va
Du jardin qui fut

III

Maintenant la déesse panthère
Aux peupliers se donne
Alors que faire ?
A l’ombre des colonnes
Moi je n’y peux rien faire
Couleur de sienne envie en moi
D’outre passer les colonnades
Et mourir pour les peupliers

 

 

©hervehulin2021

LES PLEUREURS

 

Perdus dans le linceul des saules adventices
Les aventureux rayons du couchant se défont
Les ombres sont rouges Les songes sont novices
Dans ces larmes ramifiées le soir se fait plus long

La rivière invisible en s’éventant dérive
Son regard est si pâle Son miroir est nodal
Et sème une traîne d’étoiles éventives
Les alucites dénouent ce vide sidéral

Les pleureurs sont enneigés d’une peine contraire
Car ce soir qui les fait si tristes et si beaux
Saisis dans le contre-jour d’une même lumière
Vient les nimber du deuil du soleil ou des eaux
Les pleureurs sont embrumés d’une peine contraire

La peine est un hasard de brume et d’intérieur
Une planète tremblante au bout de la lentille
La douleur est un lys noir à l’éclair moqueur
Quelle est donc cette évidence en mourant qui scintille

Sombres couleurs de l’âme où le saule s’éteint
L’astre couchant se contemple où le désir s’achève
Le sang pâlit la voix se meurt le cœur s’étreint
D’un seul souffle la fleur se change en son propre rêve

Les pleureurs endurent la torture du soir
Ce dieu d’ivoire enchanteur qu’ils adorent et craignent
Et au soleil lointain qu’il est proscrit de voir
Meurtries de sa distance leurs implorations saignent
Les pleureurs savourent le supplice du soir

Apologie du silence ils ne peuvent rien dire
Pour seul verbe un murmure allusif des rameaux
Tient lieu de rumeur marine où le vent vient s’induire
Miroitement des pleurs écoulés mot à mot

La bulle bleue de la lune ensevelie dans l’âtre
Des hauteurs nocturnes où dorment les cieux blancs
Effleure pensivement d’une étoile bleuâtre
De l’argyronète le tissage tremblant

Les pleureurs voient l’étoile pâlir en son silence
Puis souffrir et mourir dans son charme recru
La bas comme un oiseau d’or prend l’essor en cadence
L’intouchable Celer voit son temps revenu
Les pleureurs voient l’étoile s’élever en silence

Mouvante promesse des saules qui s’étend
Double extension des couleurs que l’argent de l’eau fêle-
Il n’est rien à ravir au rouge de l’étang
Voici trompé le songe sanglant de l’anophèle

Reflet désintégré du roseau isolé
A cette heure les rêves grondent en leur tumulte
Ainsi dans le même or d’un halo ciselé
Vivante aurore les astres combattants s’occultent

Les pleureurs miroitent sous l’écho confident
Se peut il qu’à regretter des saules se consument
Tout est vain si le cœur n’est pas lamé d’argent
Au cœur de l’herbe aimantée vibre une étrange écume
Les pleureurs miroitent sous l’écho confident

L’onde au pied des troncs file une brume gracile
A peine enchanté son voile hors d’atteinte est perdu
Comme un lever de lune hors son écrin fragile
L’étrave des nénuphars guette un astre attendu

Au large des pensées où le verbe décline
L’onde poursuit son reflet au phosphore ébloui
Tout reste seul sans voir les aubes alcalines
Toujours le départ fait naître un sentiment d’oubli

Les pleureurs mourront là La nuit change son angle
Les phalènes s’essoufflent dans la fraîcheur de l’air
A force de pleurer les feuillages s’étranglent
Qui donc aura mémoire dans l’action d’un éclair
Des pleureurs morts sans vivre en un monde épris d’angles

Les saules sont trop tristes la vie coule si pâle
Les alucites dénouent ce songe sidéral

 

©hervehulin2022

Des pluies sœurs de lune peuplent le ciel d’écume
Ce sont là de vastes fontaines en voyage
Des vastes navires en marche sur le monde
Des pluies couleurs de neige au bas du ciel d’écume
Voguent échevelées voguent et sonnent l’âge

Ainsi venu le temps, ainsi venu l’hiver,
Les neiges frileuses soulevèrent le nord
Un élancement de sable au salut blanc de l’aube
Elles quittaient la terre, en fumée, sans remords
Ces ondées nouvelles, ces tiédeurs soudaines
De mémoire d’homme, qui donc vit l’hiver en vol ?

Et ce furent des pluies, des pluies envers le songe
Sablier de brume pour accueillir la terre
Elle revenait, l’eau, sans mesure et première
C’est un noble retour dans le cœur vieux des hommes

Il tombe sur la ville un applaudissement
Des vents. N’était que ce bruit frêle comme est l’âme
Aux instants de pâleur, l’homme enfin confiant
Recueillerait demain aux formes découvertes
La tiédeur de l’effort comme l’or d’une flamme
Et chantent les pluies O sources génitives
Des pluies de mémoire, des pluies fauves et noires.

Au souffle des reflux celui de la défaite
La mer est en voyage et son courant se perd– Âme !
Tu n’es plus le miroir traversé de saisons
Où le rire des nuages fut l’orgueil du jour – Homme !
Où donc est ton silence ? Où donc est ta foi, où donc ta raison ?
Dans le train chagrin des âmes trahies
C’est un puissant désastre et que les pluies t’emportent !

Les augures du soir étaient beaux et menteurs
(Ils montrèrent l’astre promis
Le juste de l’honneur, l’orgueil des cités vertes
Un présage assuré dans l’éclat des fontaines)
Mais tout l’or du monde désespérait les songes
Comme femme en son voile l’aube restait promesse
Pluies fortes, pluies trompeuses ! Où est votre promesse ?

Sous la pourpre trempée des princes un mensonge
Toujours revint. Des pluies moqueuses, des pluies rouges
Marchaient comme un tambour au front d’armées sauvages
Rires dissolus des vainqueurs ! – Armes avivées d’éclairs !
Tout n’était que violence aux hommes sans mesures
Et le désert rendait cruels les chevaux mêmes

« Mais que reste-t-il donc du rire des fontaines ? »
Sauf l’antique blancheur des neiges si pures
Des cités éventrées, des peuples éclatées
Des arcs de pierre à genoux puis des vallées closes.
Là-bas comme un miroir d’hiver lègue à la terre
L’argent blanchi de ses névés
La lisière des eaux sur la pâleur des roses

Et mon rire n’est plus cette armure enneigée
Où je croyais enclos tous les vaisseaux du monde ;
La tristesse hume les embruns de sa présence
Je ne sais plus si l’âme est une aurore blonde
Où rien que ce guerrier qui compte les années
Qu’est devenue la grâce du silence souhaité ?
Et la pudeur de l’ombre au front des cités vertes ?
Mon cœur quelle est donc cette grâce qui trahit sa douceur ?

Au matin mûri d’attente
Voici que dessus la ville et le déclin des pierres
Dessus le jour, dessus l’orgueil des astres promis
Comme s’ouvre l’envol d’un millier de colombes
La nuée des anciennes promesses quitte le monde
Il pleut devant l’horizon des brumes
Des pluies sœurs de lune peuplent le ciel d’écume
Et c’est déjà l’heure qu’il faut choisir un monde
Y vivre et s’y soumettre et n’y rien regretter
Des neiges tant aimées du ciel O mon coeur
Sous la rumeur changeante que font les pluies du soir
D’où vient donc cette ondée qui éclaire un espoir?

 

 

©hervehulin2021

Mauve et tranquille
Figé dans son reflet
Le soir comme un songe essoufflé
De l’étang ravit le miroir
Et moi j’envie le soir

Je suis le porteur d’eau
L’ombre ployée qu’effleurent les roseaux
Mon échine lasse et docile
Epouse le tracé courbe des saules
La lourde jarre hissée à mon épaule
Chantonne combien nous sommes fragiles

Combien nous sommes fragiles
Nos jours sont d’un sable indocile
Comme le soleil tremble au fond de l’eau dormante
Le temps que nous volons est une arche d’argile
Une idole pensive au regard qui s’absente
Le soir dans l’eau sombre son halo s’annihile

Et moi cristal rêveur j’envie le soir qui passe
Je hume le rivage et sa fraîcheur facile
Je pense aux hommes las que la vieillesse enlace
Ou rend sage je rêve de soleils graciles
Et tremblant d’amour au tréfonds de l’eau froide
Je pense aux fleurs d’eau que la jarre tient captives
Quand pourrais-je vivre en chair mes désirades
Je suis le porteur d’eau et l’âme est fugitive

 

 

©hervehulin2021