I
La plaine tendue
Se baignait dans la peau bleutée du soleil
Midi à son zénith assura
L’épiphanie d’un monde ouvert sur un fruit de distances
Lucidités de la neige
Epouse de l’azur blanchi sous sa folie
Toute la campagne dans sa pudeur
Ressassait un chant tremblant
Chandelles alcalines Miroir d’hiver
Que sont tristes les soleils inconsolés
Un empire de nacre où s’abreuva la lumière
L’eau à peine blessée
Par la neige à peine osée
Midi par sa lumière sourde pressée au corps des oliviers
Comme deux mains croisées qui s’étaient endormies
Chantait alors la douleur pâle des ruines
Passeur furtif à la dérive
Tel un phare apaisé par la nuit qu’il éclaire
Levée du jour obscure où des dieux s’affligeaient
Ce fut un tendre hiver
Ainsi la neige vint sur les courbes calcaires
Embaumer cet été dont l’oubli s’est figé
Cette pellicule d’argent vif sur la plaine
Etait bien souvent tranchée
Combien d’arbres noirs tels danseurs nus pétrifiés
Tentaient alors de si vaines mesures du vertige
Combien de saules chenus
Se souvenaient des peuples de lavande
Cette saison de par le monde
Avait enchanté toute perspective
Tant de voix évanouies se liguaient contre l’absence
Que nul fruit n’osait plus faire le don de son empire
Des affleurements de marbre près du lit gelé
Ecoutaient se crucifier de vastes vents déserts
La brise à son déclin offrait un calme sentiment
Le soleil invisible dominait nos latitudes
Dans la vibrante pudeur de l’hiver
Du monde l’œuvre si pâle
Inclinait à nos sources son linteau de vertige
Et dans le frisson d’un univers qui se calme
Un souvenir de l’été sous son berceau nous enchantait
Tant de saisons unifiées pour si peu de jeunesse
Des arbrisseaux le système inventé se languissait des primevères
Rien à son retour ne fascinait plus la plaine
Pudeur et affleurement du cristal
Et tout ce monde pour nous dire
Un petit point noir de vérité;
Ce n’est pas que l’hiver en soi
Captive l’heure et sa gerçure
Mais bien plutôt comme un soupir attendu
Et plus rien ne peut faiblir
Tu rencontreras bien des fois cet étrange frisson
Qui traverse les plaines et se signe
Sous le soleil tu découvriras ces retours étonnants
Sous les jonquilles à venir
Car dans la neige qui repose
Qui donc à venir sinon le bleu de l’eau
Ainsi les craintes et les deuils s’effacent d’eux mêmes
Sans qu’il ler soit demandé de partir
Regarde vivre l’hiver et son vivant secret
Puis affine ton pas dans le pas du renard
II
La brise à son déclin laisse un calme sentiment
Il y avait dans l’hiver un projet de remord
Combien de jours étaient perdus sur la grève invisible
Où les pas divaguaient sans savoir quand reviendrait
Cet imperceptible commencement des choses solaires
Et le temps d’un feu pâle où la neige approchait
Des flocons au crépuscule atténuaient la distance
Mais rien sur l’océan ne pouvait faire silence
Du haut des saules noircis une pie déclamait
Toutes les funérailles des oliviers mystiques
Horizon supérieur des sanglots de l’enfance
Comme une chimère docile et triste de son voyage
Un rêve était venu puis blanchi et reparti
Tout est lointain dans la plaine qui se lance
Tout est silences
Des tournesols les voix absentes
Et du lichen les tempes exprimées
Attente du jour qui va
Et reviendra
Sur les lignes immatérielles des pénombres captives
Avançaient chaque été leurs phalanges vermeilles
Du soleil la face d’ébène anticipait les pluies
De l’étang embué qui se voile
Survit un flot unique
Un roseau s’est figé
A la surface transparaît
L’écho secret d’un dernier rubis
Les grands cyprès dessinent un paladin
Immobile
Sur sa monture la bas dans la plaine
Songeur sous sa visière
Son esprit est captif d’un sang d’oie sauvage
Epars sur cette terre froide
Et la neige est reine de ton désir
Qu’attends-tu guetteur lassé de ta chevauchée
Aux naseaux du destrier
Un nuage palpite
Puis rejoint
Ses frères
En altitude
Désir O désir figé dans son agate
Quelle avancée as-tu reconnu
Connaîtras tu cavalier oublié
Ce regard attisé où l’azur s’est dressé
Eclat tardif quel est ton nom
Tant de soleils inconsolés
Ont passé dans ma vie
Ils ont scellé des plaies faciles
Et brûlé bien des promesses
Ils effleureront la tienne
De leurs rayons millénaires
Tu les retrouveras plus tard
Lorsque du parent absent
La voix retenue par ton cœur
Réchauffera le souvenir des hivers décorés
Et les hommes téméraires
Soucieux de cultiver leur peine
Te feront sourire
Tels tes anciens jouets
Alors tu sauras que ta vieillesse est là
Et devant toi elle baissera l’échine au doux velours
Et moi toujours je pense à toi
Mon arbrisseau
Je serais dans les pierres que tu foules
Mon plus parfait ruisseau
Et tu ne le sauras pas
Qu’apprendre ainsi dans ce monde allégé
La neige La neige La neige
Nous regardait finir nos soucis
Tout un chacun dans son aveugle plaisir
Les pas en frémissant ont opprimé la neige
Et voici qu’en soupirant contre la peau si douce et tant aimé
Le temps de s’apaiser
Toute la vie avait passé
Faut-il donc toujours se souvenir et se souvenir encore
Des rayons bleus de méditerranée
Des caresses indulgentes des pins inclinés
La mer à son zénith souvent réinventée
De l’odeur du thym
Il y eu jadis des hymnes à la bruyère
La neige la neige
Chantonnait l’enfance
A chacun de nos pas
Tissait l’or pur de l’existence
Nous étions fous alors de tant de lumière
Sur le parvis de cathédrales enlacées
Des astres pour nous servir
Et comme un gosier s’incline à la source
Le chevreuil fragile d’un tremblement aperçu
S’échappe et vole
Ah C’était une vie si douce que l’eau même était miroir
Il y avait des fruits Il y avait des couleurs
Il y avait la nuit qui n’effrayait point encore les enfants
Il y avait ce goût de nous même
Et tant de formes abouties nous étaient données
Sans même les avoir créées
Tant de temples par eux-mêmes façonnés
Et rien entre nous et la lumière
Rien pour nous détruire et dans l’air cette impression de ne jamais devenir
Il y avait un astre fidèle pour chacun de nous
Semblable et collectif
Adulte sans jamais vieillir
Rien pour s’évanouir
La terre alors était délice
Les rivages étaient complices
Le sang d’une absolue candeur
Et le temps une splendeur
Les fleuves emmenaient plus de lumière que d’eau
Le jour plus de miel que d’ombre
Les étoiles Tous parmi nous savaient les capter
La neige alors était caresse
Nous étions seuls au monde et le monde avec nous
Passées les saisons
Envolées les moissons
Rien pour nous dire ce qu’il faut oublier
Et progresser dans la distance n’était pas un calvaire
Ah c’était une ligne bien claire pour nous conduire
Qu’avons nous fait de cette enfance
De ces fruits chargés de soleil
C’était l’été
Qu’avons nous fait de nos désirs
Te souviendras-tu pour toujours de la cigale antique
Elle nous aura charmés
Son chant disparu imprègne de sa vibration
Les romarins enfuis les roseaux anciens
Tous qui ont renoncé
Tous qui sont vivants
Les ruisseaux secrets
Sous la neige ce jour
Ecoutent notre attente
Et cette grive si triste d’avoir vécu naguère
Qui ne peut en nous se taire
Les choses sont plus simples
Ce sont de grandes figures où nous habitons
Des tracées immobiles
Nous dictent le chemin
Et le battement de la foule
Que de questions dans nos villes
Les néons sur la rue noire
Stoppent à l’arrêt de bus
Je n’attends que l’instant du soir
Où l’ami d’ombrage me dit
Que tout peut revenir
A son propre printemps
Pourquoi si lointaine de nos jours
L’avancée des jonquilles
Mais rien ne peut me dire
Le long des trottoirs et contre l’horizon des chaussées
Quelques pas sans devenir
Et je reste là
Me demandant combien de temps
Avant le réveil
Tout seul contre la pluie douce
Veillant sur toi chaque jour
De cet immense novembre
Dors sans frémir
Nul souci des primevères pour toi
Dors
Et vis en toute confiance
Ici le soleil se nourrit d’un simple souvenir de Provence
Et rien ne peut me dire
Si je dois rester seul
Avec tout mon amour
Un âtre toujours lointain à reconstruire
Ainsi dura toujours le bel hiver
Et la vie s’en accommoda bien
Mais rien ne connaissait plus le chant
De nos insectes bleutés
N’oublie jamais mon cœur
N’oublie jamais cette blonde pesanteur
Le monde était plus beau perdu dans son été
III
A présent que le temps de vivre est devenu
Ce sentier oublié des biches et des grives
la plaine est tremblante d’un soupir retenu
Tandis que vieux roi blanc l’ombre du jour dérive
Ces cendres parfumées qui s’oublient sous l’hiver
Nous disent bien souvent leur ancienne constance
Et si le ciel reprend la couleur de la mer
Rien ne peut nous rendre l’idée de sa distance
Comme un fil d’araignée se perd dès son envol
L’été s’était ruiné à force de silence
Dans la stupeur de l’air s’échappait une transe
Dont l’éclat vif du sabre avait fendu le sol
Puis les années passaient mais rien dans les rivières
N’avaient pansé la plaie C’était un siècle lourd
Et dans la séduction rouge de la lumière
La chair blessée toujours renonce à son recours
Habitués aux neiges qui voyagent sans vivre
Nous aimons l’horizon tel un frère cruel
Résignés à ce pas qui nous dicte son livre
Nous marchons sous la ligne où s’éloigne le ciel
Mais pourquoi brûle en nous ce démon de l’envers
Pauvre soleil passé dont s’éteint le visage
Le cœur vibre en voilant les soupçons des hivers
Mais seul l’été trahit le nom des paysages
Ainsi dans le chant mort d’un oiseau migrateur
Résonne l’échappée d’un sillon de traverse
Sous l’orgueil de l’hiver une ancienne torpeur
Guette ce cœur noué dont la pulsion l’oppresse
Abandonnés des dieux que le monde a lâchés
Nos regards attendent un signal de lavande
Mais l’univers s’éteint comme un plaisir gâché
Qui laisse au lieu d’extase un triste goût de viande
A présent que dire quand viendront les enfants
D’autres hivers vainqueurs feront offre d’oubli
Il faudra bien se faire à ces beautés d’argent
Mais sous l’étang gelé veille un secret brûlis
Que l’orangé du soir peut changer en diamant
O triste flamme Fais silence dans la nuit
Le bonheur est parti
L’été nous a quittés
Ne réveillons pas les enfants
Troisième préparation – (exercice III)
La neige
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