Il est un jardin que nous connaissons tous. Sont indispensables à nos civilités acquises, son ombrage, sa fraîcheur, son espace et bien d’autres bénéfices des agencements savants qui ont permis de dominer sa nature originelle.

Nous y partageons des moments tranquilles, et d’autres, qui, selon le tourment ou le caprice des saisons, peuvent l’être moins. Le sol y est sensible, mais tout n’y pousse pas comme on l’entend ; souvent la meilleure volonté, et le plus parfait jardinage, ne suffisent pas à en garantir les floraisons, ou même la simple ramification des arbrisseaux. Il faut toujours y revenir, et veiller encore et encore aux soins les plus attentifs, les plus constants, les plus serviles. Souvent, alors que l’implantation a semblé juste et son travail conforme aux édictions de la nature, force est de convenir que tout est à reprendre, car rien n’y est jamais parfait, et tout y est à parfaire encore et encore. Sous ce terreau d’apparence fertile, on ne finit jamais de découvrir ce sable tout de noirceur et de sécheresse, qui, alors qu’on le pensait révolu par l’effet du travail et de la culture, revient toujours se montrer sous la surface, et en menacer par sa substance, l’enracinement de toutes nos plantations. Sans cesse, il nous appartient de tailler sans faillir, et arroser, et tailler à nouveau. Et il faut admettre que ce labeur incessant nous lasse. Parfois, on serait même tenté de laisser la nature ancienne reprendre le dessus par quelques élans sauvages dont elle a seule le ressort. Nous voici près de baisser les bras. Pourquoi, somme toute, ne pas s’en remettre à la nature et ses lois faciles, qui ont existé bien avant nous ? Dans son agencement, rien n’obéit à la nature élémentaire de l’homme, mais tout n’est qu’apprentissage, tentative, et recommencement dans la tension éternelle de l’esprit.

La tentation de cet abandon est le propre de notre temps. La démocratie est un terreau si mince et si instable qu’il usera notre goût de cet effort dont l’inusable vanité nous épuise. Tout ce qui en fait la vertu et les bienfaits – ses institutions, ses lois, ses équilibres – est toujours produit de l’esprit cultivé des sociétés, mais  jamais de l’énergie de la nature.

Prenons garde : une fois le sable noir revenu par-dessus le sol, il est trop tard, et rien jamais ne fleurira.