Le blog de littérature amateure, contemplative, et misanthropique d’Hervé Hulin.

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« J’ai renoncé à croire que les années soient nouvelles et puissent apporter un bonheur qui est désormais derrière moi. Mais cela ne me fait pas désirer moins vivement que soient heureux ceux que j’aime. On ne connaît pas son bonheur.On n’est jamais aussi malheureux qu’on croit ».

Marcel Proust. Correspondance (lettre à Lionel Hauser 31 décembre 1917)

Et voici (encore) une nouvelle année dont la perspective s’ouvre au regard. Les Romains dédiaient le premier jour de l’année à Janus, dieu païen des portes et des commencements, qui avait deux visages : l’un vers l’avant, l’autre vers l’arrière. En cela, ami et amant de Bellone, divinité de la guerre et de la diplomatie. Le mois de janvier lui doit son nom.

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Janvier est un mois étrange, en effet à deux têtes. Il est chargé de nostalgie de l’année qui vient de mourir. Et il porte, dans son froid et ses nuits encore précoces, des espérances pour ce qui vient. 2024 sera difficile, nous dit la planète. Finalement, chaque année ressemble bien à celle qui la précédait, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive, vieillissant et regrettant, et comme soudain elle apparait ancienne, qu’on la juge, bien d’autres années après, délicieuse.

Meilleurs vœux à Janus, donc et à nous-mêmes sous son regard. Souhaitons-nous de ne pas être tristes ou déçus ou désenchanté au cours des douze mois qui viennent ; ce sera déjà une grande force d’accomplir ce simple vœu. Un peu de sagesse et de beauté, et juste ce qu’il faut de force pour préserver la petite flamme au bout du temple. Bon courage à tous.

  1. Bien lire pour bien vivre : une ou deux centaines de livres pour vivre mieux et devenir moins idiot etc : L’Intégrale, enfinOn sera d’accord, ou on passera son chemin de ce blog : vivre sans lire est d’un ennui mortel, et les livres sont les meilleurs amis du genre humain. Il y a quelques mois, une précédente « Lettre » d’Alceste vous gratifiait d’un florilège de plus de « cent livres à lire pour être heureux ». Vous avez été nombreux (enfin, relativement, à l’échelle de la fréquentation élitiste de ce blog, c’est-à-dire une poignée) à en consulter les rubriques. Bonne nouvelle : j’y ai porté une légitime mise à jour car trop de lectures décisives y manquaient. Donc, plusieurs introduction d’auteurs et ouvrages. Sophocle, Flavius Josèfe, Gan Bao, Dumas et Tolstoï (ces deux derniers, lus pour la première fois de ma vie cet été…), Jünger, Oé, Attali, trois grands esprits du XXe siècle Une curiosité : Mazo de la Roche, pour les amateurs de lecture d’endurance (seize volume, quand même). Et en plus, le XXI siècle, une quinzaine de livres marquants. Allez-y. Vous ne serez pas forcément d’accord avec tous mes choix. Mais je le répète, ce ne sont pas des sélections discrétionnaires. Ce ne sont que quelques rencontres que j’ai faites, que j’ai lues et qui m’auront un peu façonné.
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Et selon la règle, un seul ouvrage par auteur cité. Le titre initial était quelque chose comme « Cent livres environ pour essayer d’être plus heureux etc ». Ce titre, somme toute, n’est pas judicieux. D’abord parce qu’il y a plus de cent livres déclinés. Ensuite, parce que certains de ces livres (la plupart même) parlent de bien d’autres choses que de ce bonheur qui nous assoiffe. Mais la lecture même de ce qui est tragique rend meilleur quelque chose en nous. L’essentiel est de se sentir un peu moins idiot aujourd’hui que la veille.

  1. Le centième caractère publié, et moi, et moi… Mais pas le centième écrit…Il y a quelques temps, un centième caractèrea été publié sur les Cahiers.On est certes loin des sept-cent-soixante-cinq de La Bruyère, mais ce n’est pas fini. J’ai encore certains de ces apologues en réserve, sans doute pas encore assez affinés, mais on aura remarqué que la cadence de publication s’est atténuée. On pourrait croire que l’inspiration ralentit, mais en fait c’est le manque de temps. J’ai été assez mobilisé depuis quelques semaines par le travail d’un atelier d’écriture animé par Philippe Villain : le sujet ? « S’écrire », tout un programme. On peut juger inutile –autant que certains le jugent de la psychanalyse – de creuser en soi pour y trouver le gisement qu’on ignorait. Toujours est-il que la recherche de soi-même par l’écriture constitue une belle école de style. Car on s’aperçoit vite que l’exercice majeur est plutôt dans les mots qu’il faut ajuster à soi, que dans le contenu de ce qu’on va dire. On pouvait aussi penser qu’écrire sans relâche le caractère des autres, observés avec l’attention obsessionnelle d’un entomologiste, sans avoir écrit son propre caractère, interrogeait. D’ailleurs, pour ceux qui le souhaitent, il y a déjà, dans un des caractères publiés, mon portrait. Si, si…Mais lequel donc ? Cherche et creuse, ami lecteur, mais je me réserve la solution.
  2. René de Ceccatty et un millénaire. J’ai eu l’occasion récemment de retrouver du fonds de la bibliothèque, un ancien ouvrage qui a eu de l’influence (positive) sur moi. Il s’agit de « Mille ans de littérature japonaise », co-signée naguère (en 1982 je crois) par René de Ceccatty et Ryoji Nakamura. Anthologie de contes, récits, poèmes…Acheté jadis chez un bouquiniste, ce livre m’a éclairé et donné le goût de la littérature japonaise, que mes chroniques de lecture vous restituent de temps à autres. Un ami commun nous ayant mis en relation (qu’il en soit ici remercié), R. De Ceccatty, auteur raffiné et subtil traducteur des auteurs japonais et italiens entre autres (Soseki, Pasolini…) m’a fait la gentillesse d’une dédicace. En remettant ce livre à la surface des émotions de lecture passées, j’ai ainsi, dans le cœur de son auteur, « fait revivre après quarante ans ce livre qui a tant compté» …

C’est très juste, cette émouvante formulation, toute en intériorité et en transparence : les livres revivent chaque fois qu’on les lit, et nous font revivre instantanément les émotions qu’ils nous ont données et qui dormaient en nous, jusqu’à ce qu’on rouvre la page. C’est sans doute un peu de cela que j’avais pressenti en engageant le travail de mon vaste florilège des deux cents livres-ou-je-ne-sais-plus-combien-peu-importe (voir ci-dessus), pour vivre moins idiot etc (l’intitulé change à chaque fois, vous aurez remarqué…).

Retrouver dans les phrases, les mots et l’invention des autres, ce temps qui n’est jamais absolument perdu. A ceux qui, pauvres de jugement, vous demanderont à quoi ça sert d’écrire des livres et plus encore de les lire, dans un monde d’abrutis, nous sauront ainsi quoi répondre. Je pensai à ces offrandes fleuries dans les lieux les plus communs à Bali, qui ont pour objet de faire le lien de bienvenue entre les gens. C’est rien, quelques fleurs, une douceur, mais c’est là, sur une pierre ou un pas de porte. Il en est ainsi des livres anciens, des offrandes dont le souvenir nourrit l’esprit et à chaque page tournée, souhaite la bienvenue.

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  1. Jean Sénac. « Un Cri que le soleil dévore ». Cet entretien avec R. De Ceccatty fut aussi l’objet d’un échange sur un auteur que je ne connaissais pas, Jean Sénac. Un poète français mais se revendiquant algérien, croyant (chrétien) mais libertaire, communiste mais modérément révolutionnaire, indépendantiste contre la France, homosexuel et mort assassiné. Belle édition au Seuil qui regroupe sous ce titre magnifique (ci-dessus) des notes et des poèmes. La poésie de Sénac est peu cérébrale, plutôt narrative, d’un formalisme pragmatique qui en facilite la lecture. C’est souvent chantant comme Aragon. Passionné par Verlaine, Sénac s’en fait l’écho et sait en reprendre ce ton musical et aérien. Ceci nous donne une bien agréable poésie.

« A travers nous le temps se nie
Le froid du cœur nous a séduit
Plus rien de ce soleil
Ne peut mordre la pluie
Ce sont des paroles sans sel
Que je répète à bout de peur
L’éternité sur ton sourire est brève
Et l’amour sans l’amour
Est un vide bruyant » 

Voilà, ce n’est pas Mallarmé mais ça coule doucement comme une eau de fontaine. Et ça se lit enchâssé dans son journal, entre des considérations sur la vie, la guerre, les repas entre amis, et ce métier d’enseigner qu’il aimait tant. Étrange parti pris, cependant, de l’éditeur de nous donner les textes (journal et poèmes) avec les ratures. Mais ce n’est pas grave.

5. Fascination du désastre. On n’a pas tellement ici l’habitude de reprendre les propos d’un Président de la République, en l’occurrence l’actuel. Mais j’ai trouvé pertinente sa formulation, lors d’une récente conférence de presse sur la montée irrépressible de l’extrême-droite un peu partout. Il a évoqué une forme de « fascination du désastre», et pour une fois depuis bien longtemps, je serais d’accord. Les sociétés politiques s’affolent et se ruent vers l’animosité et la répression (qui viendra vite, ne nous leurrons pas). On s’apprête à (ré)élire aux États-Unis, plus ancienne démocratie complète du monde, un homme probablement fou. Et cela fera école ailleurs…Les humiliés, les négligés, les offensés, y voient une forme de revanche, avec la certitude infantile d’être le moment venu, forcément, du bon côté du manche. La rupture sera violente, très différente de ce qu’ils imaginaient ; ces malfaisants seront au pouvoir d’ici peu, puisque c’est ce que veut le peuple. Mais ce sont les faibles, ceux-là même qui l’auront voulu, qui seront les moins immunisés et les plus ébranlés. Tout réapprendre du désastre, parmi ce qu’ils auront ruiné, sera leur expiation.

« Car à l’instant même du désastre il faut d’abord apprendre le nouveau visage de ceux qu’on aimait. Il faut en image fermer ces yeux Qui regardaient si bien en face, Croiser ces bras Qui distribuaient De si beaux gestes, Clore ces lèvres dont les paroles Savaient si bien Nous réchauffer. Et le visage nouveau Nous blesse durement au cœur.»

                                  Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes.

Arrêtons ici la politique, c’en est assez pour aujourd’hui.

  1. Annonces sur les Cahiers d’Alceste. 

Donc, très bientôt, amis lecteurs, sur les Cahiers, un florilège des livres à lire et que j’ai lus et que je vous propose de lire si ce n’est déjà fait, élargi au XXIe siècle et enrichis sur les siècles déjà en ligne. Allez chercher les mises à jour sur leste si cela vous dit. Je vous ferai découvrir sur les Chroniques, une trilogie d’autrices (?) africaines (Ghana-Afrique du Sud- Éthiopie); et d’autres Caractères encore, que m’inspirent aisément la folie ambiante et le déclin des rationalités autour de nous. Et peut-être un long poème, si ma paresse accepte de décliner un peu…Mais qui donc aspire au repos devant la fièvre des mots ?

Meilleurs voeux encore une fois pour 2024. Pour commencer l’année, contemplons des fleurs et la mer, oublions quelques temps nos semblables humains.

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Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous.  Je rappelle d’ailleurs que ce “ci-dessous” (titre en bleu = les Cahiers d’Alceste, donc…) est le lien vers le site du blog, où vous trouverez un tas de choses jolies et intéressantes, puisque certains ne l’avaient pas saisi ainsi.

Les Cahiers d’Alceste,

A bientôt. Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

hervehulin6@gmail.com

A bientôt.

©hervehulin