Le monde est une chose étrange et fragile. Ceux qui auront parcouru la précédente Lettre se souviendront peut-être de la citation d’Issa qui en faisait conclusion. Une société libre, par exemple, ça s’effondre très vite.Ne s’en dresse plus que les antiques colonnades, comme du temple de Minerve à Timgad  désertée.

On se souviendra de notre temps – si et seulement si l’histoire perdure – comme celui où les peuples qui avaient le privilège du choix de leur sort calcinaient avec plaisir et fureur ce privilège, pour dessiner leur propre ruine; ils choisissaient des présidents fous, consumaient le climat de la terre par vanité, nourrissaient la détestation primaire de l’autre qui ne leur ressemble pas assez. Ils méprisèrent leur démocratie et leur liberté, dira-t-on, ils oublièrent leur fragilité. Ils détruisirent leur aptitude à vivre unis, par simple paresse, et par laisser-aller.

« Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines.Ce sentiment tient à la fragilité de notre naturel une conformité secrète entre ces monument détruits et la rapidité de notre existence ». (F.R. De Chateaubriand, in « Génie du Christianisme »)

Méditons, méditons…Il n’est jamais trop tard.

Dans cette dix-huitième lettre des « Cahiers », les romans inachevés sont-ils un genre littéraire à part entière? Un beau moment de partage autour de la fête du livre au Mans; Rimbaud – ah, encore lui -et un beau et fort discours Nobel; de l’utilité de l’ atelier d’écriture encore et encore.

Jeune gens le temps est devant vous comme un cheval échappé
qui la saisit à la crinière entre ses genoux qui le dompte
n’entend désormais que le bruit des fers de la bête qu’il monte
Trop à ce combat nouveau pour songer au bout de l’équipée

Louis Aragon. « La beauté du diable » (in Le roman Inachevé).

C’est musical, Aragon, ça file tout seul à la lecture, un parfait composé d’émotion et de forme. Avec ces étonnants vers longs, de seize pieds. Mais ce roman inachevé qui titre ce formidable recueil (1956), ce n’est que la vie, comme un chemin de pierre sur l’eau qui dort, et voilà tout.

Des romans inachevés. On pourrait imaginer que dans cette sphère étrange qu’est la littérature, le roman inachevé est un genre en soi. Je me souviens de ma déception de lecteur, quand, lisant « Le Rose et le Vert », et  arrivant aux dernières pages, je me demandais bien de quelle façon Stendhal allait dénouer l’intrigue; je découvris alors que Stendhal n’avait rien terminé, et qu’il me faudrait ainsi rester insatisfait pour l’éternité. Même effet de ressac, cet été, quand après m’être avalé les mille deux cents pages de « 2666″, je compris que cet ouvrage – surestimé, et trop vite affublé du terme épiphyte de « roman culte » – n’était même pas achevé, lui non plus. Tout ça pour ça. Roberto Bolano aurait été moins disert et dégressif, il l’aurait terminé, son pensum, et conclu l’écriture de son enquête criminelle hypertrophiée. « Pétrole », également de Pasolini, mais de celui-ci je n’ai pas poursuivi la lecture, au motif de son incompréhensibilité – malgré une invention d’écriture incroyable.
Il y a toujours ce sentiment d’insatisfaction de l’œuvre inachevée, surtout quand la trame est serrée, bien soutenue et voilà, tout d’un coup, on se trouve au bord du vide et on en restera là, car l’écrivain est fatigué, ou mort, ou simplement facétieux. On continue ainsi sa vie de lecteur avec un suspens intime, qui, pourtant, vous  laisse un flottement inaltérable. On peut s’imaginer, avec hardiesse, continuer l’oeuvre jusqu’à son terme. Mais on ne le fera jamais. Car c’est toujours très accompli, un roman inachevé, avec une traînée de mystère qui s’étire une fois atteinte la dernière page.
De Christian Bobin, ceci qui tombe à pic: »L’inachevé, l’incomplétude, seraient essentiels à toute perfection » (in « Souveraineté du vide »)…C’est vrai…C’est parfait, et donne une idée d’infini, l’inachevé. Le seul roman inachevé qui vous imprime, par sa perfection, une impression de finition palpable, c’est « Les Âmes Mortes ». On ne sait pas comment l’histoire finira – Gogol le savait-il ? -, et quel sera le sort de  Tchichikov; mais peu importe pour cette fois, car comme dans tous les grands roman, tout semble dit dès la première page. Point final.
Fête (Faites) du livre. Au Mans, chaque année, on fête le livre et la lecture (https://www.faiteslire.fr): ça vaut le détour. C’est souvent galvaudé, les manifestations de province autour du livre, car elles se ressemblent toutes. Mais toujours ce mérite de diffuser une forme de culte de la lecture, et une proximité physique avec l’univers de l’écrit.
On se perd avec plaisir dans ce foisonnement d’étalages, de rayonnages, bref, de partage, à tout va, des conférences, entretiens, dédicaces. Tout un monde qui ouvre les bras, ça se  bouscule dans les travées, toute une foule tâtonne auprès des tables, et pourtant, ils sont là, les auteurs, étonnamment disponibles à leurs lecteurs.
On aura ainsi pu discuter avec Kamel Daoud -on parle de l’Algérie -, ou Pierre Assouline – on parle des « trucs » des écrivains -. On va entre les piles de livres, on croise Pennac ou Zeniter, et on repart avec des titres et des volumes qu’on avait jamais crus acheter. Et puis il y a l’odeur, irremplaçable, du papier imprimé chargé d’encre. Et ça, ça, c’est la fragrance de la vie, avant celle des fleurs.
J’ai bien aimé cet amoureux désordre, qui ne cesse jamais quand il s’agit de lire.
L’oeuvre vie de Rimbaud. Ce foisonnement se prolonge dans les rues envahies de bouquinistes. On y trouve de tout c’est à dire pas grand chose, comme en toute flânerie. Et puis, soudain, un éclair, et on tombe sur ce qu’on ne cherchait plus.
C’est ainsi que j’ai -enfin- trouvé « L’oeuvre-vie » d’Alain Borer, inexplicablement plus édité depuis des lustres. On aime trouver l’introuvable; pourtant, c’est le seul – à ma faible connaissance-a dérouler la vie et l’oeuvre complète emmêlées savamment . Mais de l’oeuvre et de la vie de ce poète-éclair, y a t-il une différence? Tout en lui est une somme de mouvement, d’élan, et d’abandon, de sorte que l’oeuvre et la vie ne sont qu’une. Le principe, ainsi mené à son terme par Borer, n’aura jamais été repris sur un autre auteur. Imaginer, la biographie de Proust éditée au fil de son oeuvre. Qui donc est volontaire?
C’est un livre rare, dans tous les sens, qui vous donne comme un étrange soulagement de le posséder. On ne sait jamais tout bien sûr, et  il est doux d’être surpris encore – à un âge plutôt mûr par l’esprit de découverte. Et Rimbaud, jeune homme éternel, se prête au vertige, non fixé, de la découverte perpétuelle.
Les ateliers pour écrire. Faut-il donc recevoir des consignes pour faire progresser sa propre pratique de l’écriture? Sans doute, selon moi, est-ce un facteur de progrès. A défaut de talent…Récemment, j’ai suivi celui que proposait Louise Browaeys, sur l’écriture fragmentaire. C’est surtout ce concept que je retiendrai, plus que la notion initiale de livre cabane, qui en faisait le cadre, qui me semble plus flottant. Une des difficultés d’écrire n’est pas selon moi, dans l’invention; mais bien plutôt dans l’effort de continuité qui achemine la pensée vers l’aboutissement. Dans La reverdie qu’elle a publié il y a quelques années, Louise soutient un récit en fragmentaire qui montre une expression de l’intimité -une forme de résilience et de progression sentimentale  de la narratrice- maillée avec les thèmes sociaux qui nous saisissent: le climat, l’environnement, le féminisme, le progrès etc. c’est plus le petit espace entre chaque séquence que la trame d’ensemble, imperceptible, qui assure la connivence entre le lecteur et l’auteur. Lisez La Reverdie, c’est finalement un simple chant humaniste.
Mais dirons nous, de ce mot étrange, quel est le sens? De sa polysémie, retenons la principale  signification: dans la poésie lyrique du Moyen-Âge, c’est une chanson célébrant le renouveau printanier, et les sentiments de gaieté qui lui sont associés. Cet atelier fut un moment agréable, voilà l’essentiel, malgré le distanciel.
Kazuo Ishiguro. Conférence du Nobel. Ishiguro a reçu le Prix Nobel en 2017. C’est un écrivain britannique, qui a toujours écrit en anglais, jamais en japonais. Mais de ce texte lumineux d’intelligence littéraire, il interroge la question des origines; enfant japonais, arrivé très tôt en Angleterre, il est encore surpris, des années après, à ce stade de sa vie, par l’étrange facilité avec la quelle s’est jouée son intégration dans cette société si différente. Simplement, s’il n’avait pas été étranger sur une autre terre, jamais il n’aurait été l’écrivain immense qu’il est devenu. CQFD. A l’heure où tant de politiciens et de démagogues de toute part nous matraquent sans relâche de leurs obsessions de l’identité, de l’étranger, de l’immigré, dont ils font le diapason de toute forme de réflexion sociétale, de cette cacophonie abrutissante, Ishiguro donne un autre la. Celui de céder à la tentation de l’universel, ce qui est toujours gagnant.

Quoi de neuf, sur les « Cahiers »? plusieurs textes mis en ligne sur « Les Cahiers » récemment. Enfin, l’intégrale de mon florilège de lectures que j’avais déjà publié de façon fragmentaire, siècle par siècle, l’année dernière. A lire d’une traite, pour ceux qui aiment lire. Quelques nouveaux caractères, qui traitent de la sincérité; je sais ce qu’on va dire; il faudrait changer la ligne…Certes. Bon.Voilà. A suivre. Commencée, aussi, la publication des « Leçons de paysages », dont quelques moments avaient déjà été livrés, peu ou prou remaniés sur un format plus étroit. Et à venir très vite, le florilège de littérature africaine qui vous était promis.Sous presse, dira-t-on.

Donc, reprenons…

Celui croit pouvoir mesurer le temps avec les saisons
Est un vieillard déjà qui ne sait regarder qu’en arrière
On, se perd à ces changements comme la roue et la poussière
Le feuillage à chaque printemps revient nous cacher l’horizon

C’est Aragon, juste la suite du quatrain au début de cette Lettre.

Pour finir et espérer, une sorte de trophée car ils ne l’ont pas tous vus, ceux qui en ont cherché l’image. Capricieux, il se cache souvent, comme un roi secret des nuages. Il a fallu aller le chercher avec douceur. Il vous donnera la sérénité. Ils eu ce matin-là une façon discrète, mais éblouissante de bien vouloir nous apparaître. La beauté devrait toujours être ainsi: libre de se dévoiler, lointaine et bleuie d’espérance. C’est le Fuji.


C’est une belle image. Qu’elle vous inspire de douces pensées. Les belles images sont une fin en soi.

 

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous.

Les Cahiers d’Alceste,

Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

hervehulin6@gmail.com

Les cahiers d’Alceste. Le blog littéraire d’Hervé Hulin. Lettre d’information N°17. 

«  Tous ces défauts humains nous donnent dans la vie
 Les moyens d’exercer notre philosophie »

(Molière – Le Misanthrope, V,1)

Dans cette dix-septième livraison, de la poésie et de la poésie, encore des retours du Japon; le surréalisme, qui survit à bien des laideurs et célèbres ses cents ans comme un vrai jeune homme. Apprendre à vivre ne cesse jamais, c’est un métier.

« Le manque de poésie est une forme de misère qui semble moins terrible que la pauvreté, mais conduit à la mort de l’esprit. L’absence de poésie nous tue : nous étouffons dans un monde qui la nie »

                          Yannick Haenel. In Charlie hebdo, N° 1677, 11 septembre 2024. 

Comme l’idée d’un retour…Quelque chose revient, et c’est l’apparence d’un changement léger, modérément nouveau et pourtant familier. La lumière est un peu différente, emprunte d’une idée d’automne et d’une sensation de printemps confondues; les feuillages dans les rues, et le ciel même au-dessus de l’après-midi parisien ne sont plus les mêmes. Le temps est venu des figues et du raisin… Septembre est là, avec sa lumière doucereuse, sa dominante vert pâle, lui le plus doux et mélancolique des mois de l’année.

Le (difficile) métier de vivre. Cesare Pavese, assigné à résidence par le fascisme mussolinien, écrit un journal fragmenté de considérations très intérieures.

Il pense, en écrivant loin du monde et de ses sociétés, à ce que peut être parfois la vie. Pas un seul paragraphe de considération politique, ou d’honnête révolte, malgré sa situation. « Quand un homme est dans l’état où je suis, il ne lui reste qu’à faire son examen de conscience ».

La vie, la solitude, la poésie et sa discipline. Exilé, sans personne pour le visiter, Pavese médite sur l’écriture, beaucoup, et sur lui-même, déclinant un propos lancinant, qui parfois, met mal à l’aise – les femmes, la pente suicidaire, l’éloge de la souffrance- et d’autres fois, nous ravit par la pertinence de son verbe. On ne sait si ainsi sorti de la société et ses vacarmes, l’esprit est plus habile à écrire. Peut-être n’y a-t-il pas d’écriture utile sans solitude. Là ou Pavese est le plus plaisant, c’est quand il nous parle de ses poèmes.

« Tout se résoudra en une illumination provoquée par les diverses pensées et par les sensations entrelacées ».

Mais son équation, qui sous-tend tout son propos est simple: Poésie+ Vivre= Métier. C’est un métier que d’exister. Il fallait bien le formuler ainsi.

Et enfin ceci, que j’aime beaucoup : « L’unique joie au monde, c’est de commencer. Il est beau de vivre parce que vivre, c’est commencer, toujours, à chaque instant ». 

Malgré cette pensée positive, Cesare Pavese se suicide au mois d’août 1950, dans une chambre d’hôtel à Turin, laissant sur sa table un mot : « Je pardonne à tout le monde et à tout le monde, je demande pardon. Ça va ? Ne faites pas trop de commérages « .

Effectivement, vivre est un métier et il n’est peut-être pas donnée à tout le monde – regardons la folie de ce monde- de le mener à bien.

Nakahara Chuya. Comme une idée de Rimbaud. Nakahara est souvent surnommé « le Rimbaud japonais ». On sera toujours prudent avec ces sortes de notoriété, mais il y a bien quelque chose de notre grand voleur de feu dans cette destinée. Pas seulement parce que lui aussi n’a pas vécu très vieux – il meurt à trente ans. Traducteur pionnier de Rimbaud en japonais, Nakahara s’éloigne très vite dans ses poèmes des formes traditionnelles et codées de la poésie japonaise, des miniatures, des mots de saisons et des suggestions, pour s’approcher de son modèle, et emprunter ses accents de révolte.

Quand gâté par les étoiles, je m’enorgueillirai contre le soleil, puissent les hommes se reconnaître choses mortes ! moi, je vous maudis.

Ange du pôle.

On perçoit aussi le rythme des derniers poèmes (en vers) rimbaldiens, L’éternité ou Chanson de la plus haute tour dans ce petit quatrain, qui garde des tons de haikus.

De mémoire 

Déjà plus

Marchant par les rues

Semblant de vertiges

Léthargie.

Parfois, des intonations de Verlaine, son autre modèle.

Et maintenant au sein de la nuit d’hiver noire

Quand tombe une pluie torrentielle

Le cordon de l’obi de ma mère aussi

Coule dans l’eau de pluie, détruit

La tendresse des hommes, innombrables,

N’était-ce enfin que la couleur des mandarines ? 

Nuit de pluie d’hiver.

Et enfin, ça, c’est triste, mais magnifique.

Ainsi les hommes seul à seul

Sentent avec leur cœur et s’ils se regardent

Se sourient gentiment mais c’est tout

Et ainsi donc s’en va leur vie

Cesse la pluie, souffle le vent

Les nuages passent, cachent la lune

Messieurs dames ce soir est un soir de printemps

Très tiède souffle le vent

Émotion d’un soir de printemps.

Donc, Nakahara, sans tarder: son oeuvre n’est pas très importante, quelques dizaines de poèmes, raison de plus pour l’emporter partout.

Les jardins au Japon. Il y a deux versants distinct dans l’idée du jardin au Japon. Des jardins qui sont intouchables, conçus pour le regard et la distance, et dans lesquels jamais on ne marche ; parfois, on doit les contempler derrière une vitre : c’est un exercice de distanciation. Et des jardins conçus pour que le corps s’y déplace, entraînant dans ses pas le regard sous différents angles, tandis que les agencements se recomposent: parcours d’orientation. Les deux étonnantes formules font unité dans la découverte, et l’enchantement qui s’en exhale. Malgré que ce ne soit qu’ouvrage de l’homme, la nature y est dominante de l’esprit. Celui-ci s’agenouille, et s’apaise.

Exposition: centenaire du surréalisme. Au centre Pompidou, allons voir – vite, avant qu’il ne ferme pour des années – l’exposition du centenaire du surréalisme. Cent ans, déjà ? malgré une scénographie médiocre, qui complique la contemplation plus qu’elle ne la sert, un beau et juste panorama de cette étrange doctrine esthétique qui continue de chuchoter ses vérités renversées. Des œuvres connues et d’autres à découvrir. Acheté à la boutique un petit volume (Poésie NRF) de Roger Gilbert-Lecomte, que je ne connaissais pas. « La Vie l’amour la Mort le Vide et le Vent ».  Notez les majuscules. Encore un qui n’est pas mort vieux – décidément, « l’hécatombe des rossignols » que chante Aragon, a du vrai chez les poètes qui ont fâcheuse tendance à se consumer très vite. Et bien, Gilbert-Lecomte, tout surréaliste qu’il fut, a produit entre poésie fulgurantes, des haikais très authentiques.

L’aube- chante l’alouette

Le ciel est un miroir d’argent

Qui reflète des violettes.

Mais on trouve aussi dans ce petit volume, cette tranchante vérité, qui fouille très loin :

« Pourquoi écrivons-nous ? Nous ne voulons pas écrire, nous nous laissons écrire »

                                                 (Prose du grand jeu).

Le deuil emprunte au principe d’une rivière. Il y a une source, puis un flot, puis un estuaire ; et un sens, qui ne revient pas. Dans cette lenteur, tout se lisse peu à peu. Même le regret de l’être en allé, laisse un sillage, avec une impression d’épice au souvenir qui redevient vivant. On ne disparaît jamais vraiment tant qu’on peuple la mémoire de ceux qui restent.

Et pour rester sur la douceur de septembre, ce mois si doux qui passe si vite, ce rayon tendre de Claude Roy :

Je me tresse un bonheur comme un panier de jonc

-et j’y mets un grillon, une nuit de septembre

-le ciel bien lessivé par un matin tout blond

Une fille endormie qui se mélange à l’ombre.

                                               Claude ROY – A regret.

Bientôt dans « Les cahiers d’Alceste » (enfin peut-être).  D’ici la dix-huitième et si je ne suis pas plus paresseux qu’aujourd’hui, vous livrerai une chronique pour vous donner l’envie de littérature africaine, et trois nouveaux caractères sur le thème (à peu près) de l’humilité. Et des choses nouvelles, que je n’ai pas idée aujourd’hui, de vous les écrire.

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous. A bientôt, si on nous le permet encore.

             https://www.lescahiersdalceste.fr/

                              (ceci est le lien vers le blog, pour rappel)

Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…hervehulin6@gmail.com

Les cahiers d’Alceste. Le blog littéraire d’Hervé Hulin. Lettre d’information N°16. 

«  Tous ces défauts humains nous donnent dans la vie
 Les moyens d’exercer notre philosophie »

(Molière – Le Misanthrope, V,1)

Dans cette seizième lettre d’Alceste, que se passe-t-il? 

Comme une brume flottante, l’imaginaire du Japon et ses habitants extraordinaires. Jacques Dupin, ou la théorie de la poésie pure. Un peu de musique – et de poésie, et de nostalgie – sous la face cachée de la lune. La symphonie pathétique, et l’aspiration au malheur, comme une vapeur qui nous entoure…

Faut-il donc parler aussi de cette méchanceté et de la haine de l’autre, qui dans un vaste élan de servitude, font tellement sociétéces jours-ci?

Donc, d’abord quelques moralités de circonstances, alors que l’esprit d’ignorance et de revanche semble emporter les suffrages.

« Le régime de l’état ainsi transformé, rien nulle part ne subsistait de l’esprit ancien; tous, oubliant la liberté, attendaient les ordres du prince, sans craindre le présent »

Tacite, Annales, Livre I, IV

Souvent, c’est ainsi. Tacite est un photographe. La ruée vers l’obéissance, pourvu qu’on ait l’ordre. On s’y croirait, regardons autour de nous. Mais d’où vient que les Français ont de nos jours, si peu de goût pour la démocratie ? Qu’ils l’ont délaissée, avec l’effort de ses exigences, pour ces fantômes: de l’ordre et encore de l’ordre, et moins d’immigration, bien sûr, cause de tout ce désordre, puisqu’on vous le dit.

Nostalgie ou énergie du Japon. Le Japon – Ja-Pon- c’est étonnant comme ce nom sonne enfantin -est une terre rêveuse en toute circonstance, que l’intensité vivante de ses villes ne sait effacer. On y est saisi de l’esprit d’ordre et de calme, qui irrigue positivement toute la société et lui imprime un esprit de sourire jusque dans ses détails oubliés. La politesse n’y est pas une convention de société; mais une exigence d’humanité sur laquelle se construit tout l’édifice des relations humaines.  Tout n’y est pas luxe, mais calme et volupté, d’une certaine façon. En tout cas, tout y est propre, tout y est en place, apprêté avec gentillesse, et voilà une belle signature de civilisation. Une société sans animosité est donc possible.

Ce qui doit nous épater, et nous laisser quelque enseignement, c’est ce goût de la contemplation. La fleur qui orne un vieux mur et le passant qui se presse vers le sanctuaire répondent de concert à ce même impératif. Les jardins, là-bas, ne sont pas conçus pour la promenade; mais pour la seule contemplation. On en voit même qu’on ne peut approcher, immaculés derrière une large vitre. Le beau est à disposition du regard, et non l’inverse.

Du roman japonais. A propos de regard…De cette étrange nation – que personne ne le prenne mal – on reconnaît surtout la poésie, et sa traduction alchimique de l’intimité par le biais de la miniature (Haikus et Tankas).Et pourtant…Dans la littérature japonaise, le roman est un phénomène récent; en gros, le début du XXe siècle. D’emblée, c’est la facture occidentale qui est adoptée. Soseki sera un des premiers ; puis viendront d’autres, dont on retiendra Fukunaga (La fleur de l’herbe), Ooka (La dame de Musashino) ou encore Nakamura (L’été). Pourquoi citer ces noms, plutôt que Tanizaki, ou Kawabata, au génie supérieur ? Les trois précédents se sont nourris du roman français, traducteurs dès la première moitié de leur siècle, de Nerval, Stendhal, Flaubert, Proust. Dans un contexte d’appétence puissante des lecteurs nippons pour la littérature occidentale de roman, et française en particulier. Ils y ont saisi et cristallisé ce balancement continu de l’intériorité vers la société où se fonde le mystère de la littérature. Car là-bas, tout est ainsi : une palpitation de l’intime, éclairée d’un horizon intérieure où se nouent les sentiments sans jamais se libérer au grand jour. L’écriture imprime plus qu’elle n’exprime. Merveilleux, comme la beauté des mots se joue de la distance des océans, des îles et des langues.

Jacques Dupin. Le corps clairvoyant.

« L’immobilité devenue
Un voyage pur et tranchant »
(Saccades)

Aura-t-on déjà pu recevoir une telle densité de sens et de parole en si peu? Une telle invention en si peu de mots ? Dupin est savant, un savant Faustien qui ne se contente jamais de ce qu’il sait et va chercher plus loin des vérités nouvelles, prêt à toute sorte d’invention à cette fin. Son verbe est à la fois noué et fluide, au service d’une forme de micro-narration exclusivement poétique. «Le corps clairvoyant » est un livre qui vous capte, qu’on emmène avec soi et qui ne vous quitte pas. Un de ces livres-compagnons, qui sont les plus précieux des livres.

« J’extrais demain
L’oubli persistant d’une rose »

(Proximité du murmure )

Ici, c’est la micro-éruption d’une sorte de haiku (décidément, le Japon…) qui soulève la grâce du paradoxe. Dupin déclarait – je ne sais plus où, désolé- que la poésie procédait « d’une demande incessante de vérité ».

« Dans la nuit ravinée reconstruire sa danse
Le geste de la forêt
A la brisure du récit l’abandon de la vague
A son comble décimée
Quand plonge l’oiseau de mer, le vérificateur des marées
Il plonge
Dans ce qui s’écrit, sasn elle, 
Par un saccage sans mesure
Et le feu dont elle est l’enfance (…)
Rien qui ne nous sépare mieux
Et brûle plus clair
Il plonge, J’écris
Elle efface à grande eau matinale
Le savoir qu’une nuit ravinée
Avait imprimée sur ses reins
Étant ici venue pour trahir
N’étant qu’une lame d’air
Dans l’air
Affilée »

(Le lacet)

On admirera avec un réel plaisir de lecture la sinuosité du sens. Mais quel sens, direz-vous, dans cet écheveau de mots et d’image ? Pas évident, c’est sûr…Relisez bien ; ce n’est que la construction du poème, dite de l’intérieur. C’est un grand du siècle, Dupin, un peu dans l’ombre de Char et Bonnefoy. Mais il a son langage.

« Lire l’Ukraine. » C’est une initiative de l’Institut Ukrainien, qui a créé ce site ce site pour faire connaître la littérature ukrainienne et ses auteurs.On ira s’y promener, et peut-être acheter de la lecture pour penser à ce peuple en guerre – qui a le goût de la démocratie, qui continue à écrire des livres pendant qu’un autre peuple, qui lui, ne l’a jamais eu, a pour projet de la détruire et lui faire payer ce goût. Allons-y: https://fr.ui.org.ua/lire-lukraine

Nostalgie sur la face cachée de la lune. Roger Waters aura beaucoup compté pour certains de ma génération, mais il vieillit mal ; parfois, ça arrive aux rock star…Le voici qui réenregistre Dark Side of The Moon. Cinquante ans après. Et pourquoi donc ? Parce que, dit-il (un entretien dans Rolling Stone il y a quelques mois) c’est lui qui à l’époque (donc 1973) a tout fait, tout écrit, tout composé et il est temps de le dire gna gna gna. Les autres ne comptèrent pour rien (les autres, c’est-à-dire, Pink Floyd tout entier, excusez du peu). Dévasté qu’il est par son ego douloureux, personne ne le croit. Alors, ce Dark Side remanié, que vaut-il donc ? Serait-il donc infiniment supérieur à la version légendaire que nous avons tous vénérée? Je ne sais plus quelle revue avait estimée qu’un foyer sur cinq dans l’hémisphère Nord possédait au moins un exemplaire de DSOTM. C’est dire…Et bien non, c’est un peu pauvre, un beau son, des harmonies séduisantes, mais musicalement faible. Rien que la voix traînante, qui ne chante plus, d’un vieil homme qui effleure des sons magnifiques. Or, dans les textes rajoutés, qui hantent toute la durée de l’écoute, il y a de belles choses. On y(re)trouve cela:

« The memories of a man in his old age
Are the deeds of a man in his prime
For life is a short warm moment
And the death is a long and cold rest (…)
And everyone still on the run”

On comprend mieux. Ce sont des paroles d’une ancienne chanson (Obscured by clouds, 1972) qu’il nous ressert ici, le vieux Roger, mais en mode parlé sur le célèbre battement cardiaque de Speak to me. On devient indulgent pour ce vieil homme qui eut naguère, on peut le dire, du génie. Face à la mort, un regard en arrière et voilà tout. La nostalgie d’un autre temps, comme s’il était possible de réenregistrer le passé pour le redessiner, pour revenir en arrière. Ah… La nostalgie, comme ce serait doux de ne la savourer que lorsqu’on est jeune. La face cachée de la lune, c’est peut-être cela: dissimulés au soleil, les regrets de ce qui aurait pu être dans la jeunesse, et ne l’a pas été.

La symphonie pathétique, et l’agonie de la République. Quel rapport?

Nous sommes toujours fascinés par le désastre et son harmonie en clair-obscur. L’ultime symphonie de Tchaïkovski est tellement populaire, surjouée et sur enregistrée; elle est sans doute, la musique du malheur d’une âme en laquelle chacun peut se reconnaître. Le désastre, nous le fixons, immobile et voluptueux, comme captés par la spirale de l’eau qui se vide au fonds du lavabo. Ils vont voter de concert, les humiliés et offensés, dont la vie est confisquée par le caprice du capital. L’instruction qui leur a été refusée, ou qui les a dépassés, laisse une plaie béante d’où suinte une fureur rentrée qui les magnétise vers l’abîme.

Les indignés auront toujours des raisons de s’indigner, les pauvres de contester leur pauvreté, les opprimés d’être opprimés. Mais il y a de nos jours et sous leur atmosphère opaque, tant de rancœurs et mauvais penchants, qu’il faudra bien trouver des coupables en France au malheurs des uns. Ne nous leurrons pas ; ces coupables seront toujours les mêmes, n’est-ce pas ? Ceux-là y verront une revanche dont l’esprit furieux depuis si longtemps a tout balayé de l’esprit de tolérance, et du goût de l’humanité. Ils sont devenus méchants. Ils en sont pathétiques.

Pourtant, rien, dans les lois qui s’annoncent, ne va en leur faveur. Ce sera du malheur, encore et encore; malheur des âmes déçues et coupables, mais aussi, malheur à celui qui bientôt, n’aura pas la peau ou les cheveux qui conviennent à l’ordre nouveau de ces vainqueurs, celui qui rasera les murs dans la rue, qui devra taire sa prière, ou son accent vocal. Ils ont voté, ils voteront encore. Voulue par le peuple, voici venue la fin de la République, une fin qui passe comme le souffle de l’adagio lamentoso qui conclut, fusionné dans le silence, la Symphonie Pathétique. Pour mémoire, on se souviendra que Tchaïkovski s’est suicidé – un simple verre d’eau corrompue des germes du choléra – sitôt achevé son chef d’œuvre.

Allons, cessons-là cette plainte; voici une citation plus heureuse et tournée vers l’espérance, il nous en faut.

“Dans la nuit noire
Tôt ou tard Va briller un espoir
Et germer ta victoire.”

        (Françoise Hardy, Contre vents et marées)

Quelle douceur, ces mots glissent comme naguère la soie de sa voix…Je pense à vous, Alceste, et votre penchant final pour le désert. Molière avait compris la folie de ce monde, si fiévreuse, et pourtant si inspirante. J’ai commis cela il y a quelques temps déjà:

« Je suis las des foules et du cri des cités,
Des savoirs et des pleurs, du fracas des empires !
Rongé par sa gloire, ce vieux monde excité
M’est lointain comme un soir dont la rougeur expire… »

Départ (Envie d’Alceste)

Ah… Relisez donc le poème en entier. mis en ligne l’année dernière. Partir pour échapper au monde. Mais où? Un désert, n’importe où, avec des fleurs, si possible.

Un éclair de maître, pour finir:

« Rien qui m’appartienne
Sinon la paix du coeur
Et la fraîcheur de l’herbe »

                                      Issa Kobayashi

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous. A bientôt, si on nous le permet encore.

Les Cahiers d’Alceste,

Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

 

©hervehulin2024

Dans cette quinzième lettre , le printemps, la littérature pour tous, le bonheur, Rétif de la Bretonne, des étoiles et de la poésie, encore et toujours. Amis lecteurs, dont l’afflux étonne depuis quelques jours (plus de 4000 visites en une semaine, quelle ruée confidentielle!), profitez bien.

Printemps. Les esprits antiques et leurs poètes, imprégnés de la finitude de l’existence, avaient un sens inné de l’idée de renaissance. Le printemps est un moment d’instabilité précieux: voilà pourquoi il aura toujours l’effet d’un charme, au sens que la magie donne à ce terme.La sensation à peine ressentie d’une tiédeur dans l’air, que l’on aime familière, sait redonner espoir et une humeur meilleure. Le printemps atténuera de son seul sourire, la peine et le regret des morts. Il substitue une transfiguration familière, plus apaisante comme passent les années, et que d’autant de printemps se substituent aux hivers. L’âme, en veilleuse depuis novembre, soudain frémit à nouveau: les deuils s’estompent; le bonheur peut recommencer, et l’espérance que la vie soit belle.

 Atelier Mathieu Simonet. Ecriture pour tous. Curieuse et passionnante expérience que cet atelier d’écriture animé par Mathieu Simonnet le 21 mars. Simonnet consacre une énergie quasiment planétaire à multiplier les envies d’écrire pour tous. Il part du principe que toute écriture est légitime; dès lors, la publication devient un phénomène mineur et complètement dissocié de l’acte. Nous avons tous le droit d’écrire, et en plus, nous avons tous des choses à dire. C’est une idée belle qui fait son chemin, poussée en avant par la (jolie) mode des ateliers d’écriture. Tout le monde écrit, on est tous amateur, dans le double sens du mot. Publier, c’est vrai, à quoi bon? L’écrit doit-il en toute circonstance, être opposable à la foule? Ecrire est tellement jouissif. Ecrire rend heureux.

Dans l’atelier Simmonet, l’esprit ainsi délesté travaille donc en liberté. Liberté contrainte, par le temps imparti: celui laissé à l’inspiration est limité à celui d’une chanson – ça vaut ce que ça vaut, mais on fait avec-mais il faut bien reconnaître que la contrainte aiguise le verbe, et aide à aller le chercher dans les recoins. Au final, c’est un moment agréable et bien amusant. Chacun est heureux de ce qui s’écrit, et voilà tout. On en sort bien, avec soi-même.

De sa vie et celle des autres. Mais une limite au point de vue précédent s’impose. Faut-il donc sans cesse ne raconter que sa vie pour être un écrivain de ce siècle? Regardons les programmes des ateliers d’écriture, et, par glissement, les devantures des librairies. Il faut parler de sa vie, à tout prix, si possible en souffrance – un inceste, une rupture, une violence, un deuil, ou plusieurs, un exil, tout ça à la fois, c’est encore mieux -L’intimité déchiffrée semble devenue la matière littéraire première de notre temps- comme au moyen-âge, les chevaliers, ou dans l’antiquité, les dieux et les héros. Mais écrire dans l’ombilic de soi-même, certes, mais sans écrire pour les autres?…Quand on écrit, qu’a-t-on à exprimer pour l’autre? Trop d’écrivain(e)s d’aujourd’hui n’ont rien d’autre à transmettre que leur vie. Avec talent parfois (Ernaux) ou parfois, sans (Angot).

Et voilà que grâce au magnétisme d’internet, je trouve enfin « Monsieur Nicolas » dans la vieille et unique édition de la Pléiade (ah, qu’il est doux de trouver enfin un introuvable livre qu’on attendit longtemps)… Rétif de la Bretonne ne raconte que sa vie, probablement nourrie d’affabulations que personne ne croit, mais qui font littérature.On n’est pas obligé, bien sûr, d’affronter les trois mille pages de ce Nicolas-là. Mais en parlant de soi à chacune de ces pages, Rétif, graphomaniaque compulsif, à travers les siècles, nous livre avec bien de l’image ce qu’était la vie au XVIIIè: comment les enfants jouaient, se passait la journée, comment le désir venait et repartait, ce qu’on mangeait, ce qu’on cachait des sentiments, les mots qu’on prenait pour dire les choses quand de nos jours, on en prend d’autres pour dire les mêmes… Il a deux obsessions, Rétif, qui font le flot de cette somme: le sexe et l’écriture. Le reste n’est que décor et mise en harmonie. Pourtant, il le dit dans son prologue, il n’est alors que le troisième auteur de tous les temps à entreprendre l’histoire de sa vie (après Saint-Augustin et Rousseau). S’il savait ce qu’est devenue cette étrange manie de nos jours…Du plus intime de sa personne, dans une narration submergée de détails en tout sens, il nous montre que c’est possible: en parlant de lui-même, il nous parle du monde; or, de nos jours, les autres ne parlent que d’eux-mêmes comme s’ils étaient le monde.  Parfois tourmenté, son récit reste toujours heureux.Même quand la vie ne l’est pas chaque jour, la littérature, elle, le reste à chaque phrase.

Jean Giono et les étoiles. Jolie découverte de lecture que cet ouvrage, peu connu il me semble, de Giono: « Traversée sensuelle de l’astronomie ». Rien que le titre vous emporte vers la délicatesse des étoiles. Dans cette méditation d’un mode fluent, le corps épouse l’infini du cosmos à chaque page. A force d’invoquer sa finitude face à l’immensité spatiale, nos sens sont appelés par le prisme d’un verbe quasi magique, à gagner la dimension des étoiles.

« L’univers n’est pas séparé en deux parties: nous d’un côté et de l’autre côté, le reste, nous sommes l’univers et sa passion est notre passion ».

A chaque ligne, chaque propos, Giono réussit à façonner un lien entre la vie – la nôtre, c’est à dire notre humble matière – et l’ordre des étoiles: c’est une clé de sagesse, cette fameuse sagesse dont la distance nous désespère parfois. La lecture de la « Traversée » nous trace un cheminement du corps vers l’infini des astres.

« Au delà de Mars, près de nous, quelqu’un de notre famille est mort.Nous mourrons. Dans les espaces et le temps que le soleil gonfle, les débris du soleil tournent déjà autour de lui.(…) L’idée de notre transformation nous est intolérable; pour assurer sa durée, la matière doit être amoureuse d’elle-même ».

A-t-on souvent lu un tel émerveillement? Une telle densité dans l’expression de l’infini? On contemple les étoiles, comme un fil d’aplomb suspendu au plafond, et un peu de sagesse nous vient, enchantement béni d’une neige fragile.

Alicia Galienne. A découvrir, la poésie juvénile et tragique en même temps, d’Alicia Galienne (NRF, Poésie Gallimard; « L’autre moitié du songe m’appartient »). Alicia a beaucoup écrit avant que sa jeunesse ne s’achève: elle savait que sa vie ne dépasserait pas celle-là, à cause d’une affreuse maladie dégénérative comme la cruauté de la nature sait parfois l’inventer.

« Non Rien ne m’est interdit

Car je détiens le rêve

entre mes mains pleines de ciel

car j’ai conquis les oiseaux

tout au dessus de l’eau

Où je marche la nuit »

            (in « La mort du ciel »)

Chaque ligne est comme brûlée de l’envie de vivre. Elle écrivait tous les jours, avec une inspiration soutenue, et sans doute, pressée. On y trouve de l’authenticité, un verbe original, souvent mature -normal, quand la mort vous talonne -délicatement ourlé, parfois, d’inexpérience. Pour exprimer sans fard et sans peur le vertige du vide final qui approche.

« Faire le vide

Se retenir d’espérer

Oublier son regard

Deviner l’emprise du silence 

sur soi-même »

            (in « Douceur de nuit »)

Et puis, il y a l’amour, obsédant mais discret, qui transparaît ça et là dans les poèmes.

« Cette nuit pour toujours nous appartient

Nous anges ou démons sans permission

Qui nous volons à chacun l’amour

Où avons-nous appris à vivre sans permission? »

             (in »Deauville »)

Alicia est morte à vingt ans, un triste matin de Noël. Lisez « L’autre moitié du songe..« , lisez tout. A la fin du recueil, une postface pleine de tendresse de son illustre cousin, Guillaume.

De  la magie des rituels. Deuil, Printemps, Sagesse. Pour moi ce printemps n’aura pas été joyeux, mais le prochain le sera probablement. D’ailleurs, il continue de faire froid et gris, cette année. Et le coeur s’en ressent. Proche de ce que Francis Jammes appelait « Le deuil des primevères ». Mais des mots et des gestes familiers, partagés, suffisent parfois à renverser la donne. Chaque instant de splendeur est une résurrection. La doucereuse mélancolie d’un ciel  inversé.

De « La traversée sensuelle des étoiles« , cette phrase incroyable, ode à l’humanité, qui redonnerait (presque) envie de croire au genre humain:

« L’homme vit dans des grandeurs libres. Dans tout ce que nous faisons, il faut tout faire pour l’homme.Il ne faut rien faire pour tout ce qui n’est pas, exactement et sans équivoque, l’homme ».

Merci, Jean Giono.

Il est possible, si l’humeur mienne ne change pas, que je vous parlerai dans la prochaine lettre, du voyage au Japon, et d’écrivains d’Afrique.

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous. Allez lire les « lamentations de l’errant« , ou de l’esthétique du poème comme une fin en soi…

Les Cahiers d’Alceste,

Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

 

Le blog de littérature amateure, contemplative, et misanthropique d’Hervé Hulin.

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« J’ai renoncé à croire que les années soient nouvelles et puissent apporter un bonheur qui est désormais derrière moi. Mais cela ne me fait pas désirer moins vivement que soient heureux ceux que j’aime. On ne connaît pas son bonheur.On n’est jamais aussi malheureux qu’on croit ».

Marcel Proust. Correspondance (lettre à Lionel Hauser 31 décembre 1917)

Et voici (encore) une nouvelle année dont la perspective s’ouvre au regard. Les Romains dédiaient le premier jour de l’année à Janus, dieu païen des portes et des commencements, qui avait deux visages : l’un vers l’avant, l’autre vers l’arrière. En cela, ami et amant de Bellone, divinité de la guerre et de la diplomatie. Le mois de janvier lui doit son nom.

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Janvier est un mois étrange, en effet à deux têtes. Il est chargé de nostalgie de l’année qui vient de mourir. Et il porte, dans son froid et ses nuits encore précoces, des espérances pour ce qui vient. 2024 sera difficile, nous dit la planète. Finalement, chaque année ressemble bien à celle qui la précédait, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive, vieillissant et regrettant, et comme soudain elle apparait ancienne, qu’on la juge, bien d’autres années après, délicieuse.

Meilleurs vœux à Janus, donc et à nous-mêmes sous son regard. Souhaitons-nous de ne pas être tristes ou déçus ou désenchanté au cours des douze mois qui viennent ; ce sera déjà une grande force d’accomplir ce simple vœu. Un peu de sagesse et de beauté, et juste ce qu’il faut de force pour préserver la petite flamme au bout du temple. Bon courage à tous.

  1. Bien lire pour bien vivre : une ou deux centaines de livres pour vivre mieux et devenir moins idiot etc : L’Intégrale, enfinOn sera d’accord, ou on passera son chemin de ce blog : vivre sans lire est d’un ennui mortel, et les livres sont les meilleurs amis du genre humain. Il y a quelques mois, une précédente « Lettre » d’Alceste vous gratifiait d’un florilège de plus de « cent livres à lire pour être heureux ». Vous avez été nombreux (enfin, relativement, à l’échelle de la fréquentation élitiste de ce blog, c’est-à-dire une poignée) à en consulter les rubriques. Bonne nouvelle : j’y ai porté une légitime mise à jour car trop de lectures décisives y manquaient. Donc, plusieurs introduction d’auteurs et ouvrages. Sophocle, Flavius Josèfe, Gan Bao, Dumas et Tolstoï (ces deux derniers, lus pour la première fois de ma vie cet été…), Jünger, Oé, Attali, trois grands esprits du XXe siècle Une curiosité : Mazo de la Roche, pour les amateurs de lecture d’endurance (seize volume, quand même). Et en plus, le XXI siècle, une quinzaine de livres marquants. Allez-y. Vous ne serez pas forcément d’accord avec tous mes choix. Mais je le répète, ce ne sont pas des sélections discrétionnaires. Ce ne sont que quelques rencontres que j’ai faites, que j’ai lues et qui m’auront un peu façonné.
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Et selon la règle, un seul ouvrage par auteur cité. Le titre initial était quelque chose comme « Cent livres environ pour essayer d’être plus heureux etc ». Ce titre, somme toute, n’est pas judicieux. D’abord parce qu’il y a plus de cent livres déclinés. Ensuite, parce que certains de ces livres (la plupart même) parlent de bien d’autres choses que de ce bonheur qui nous assoiffe. Mais la lecture même de ce qui est tragique rend meilleur quelque chose en nous. L’essentiel est de se sentir un peu moins idiot aujourd’hui que la veille.

  1. Le centième caractère publié, et moi, et moi… Mais pas le centième écrit…Il y a quelques temps, un centième caractèrea été publié sur les Cahiers.On est certes loin des sept-cent-soixante-cinq de La Bruyère, mais ce n’est pas fini. J’ai encore certains de ces apologues en réserve, sans doute pas encore assez affinés, mais on aura remarqué que la cadence de publication s’est atténuée. On pourrait croire que l’inspiration ralentit, mais en fait c’est le manque de temps. J’ai été assez mobilisé depuis quelques semaines par le travail d’un atelier d’écriture animé par Philippe Villain : le sujet ? « S’écrire », tout un programme. On peut juger inutile –autant que certains le jugent de la psychanalyse – de creuser en soi pour y trouver le gisement qu’on ignorait. Toujours est-il que la recherche de soi-même par l’écriture constitue une belle école de style. Car on s’aperçoit vite que l’exercice majeur est plutôt dans les mots qu’il faut ajuster à soi, que dans le contenu de ce qu’on va dire. On pouvait aussi penser qu’écrire sans relâche le caractère des autres, observés avec l’attention obsessionnelle d’un entomologiste, sans avoir écrit son propre caractère, interrogeait. D’ailleurs, pour ceux qui le souhaitent, il y a déjà, dans un des caractères publiés, mon portrait. Si, si…Mais lequel donc ? Cherche et creuse, ami lecteur, mais je me réserve la solution.
  2. René de Ceccatty et un millénaire. J’ai eu l’occasion récemment de retrouver du fonds de la bibliothèque, un ancien ouvrage qui a eu de l’influence (positive) sur moi. Il s’agit de « Mille ans de littérature japonaise », co-signée naguère (en 1982 je crois) par René de Ceccatty et Ryoji Nakamura. Anthologie de contes, récits, poèmes…Acheté jadis chez un bouquiniste, ce livre m’a éclairé et donné le goût de la littérature japonaise, que mes chroniques de lecture vous restituent de temps à autres. Un ami commun nous ayant mis en relation (qu’il en soit ici remercié), R. De Ceccatty, auteur raffiné et subtil traducteur des auteurs japonais et italiens entre autres (Soseki, Pasolini…) m’a fait la gentillesse d’une dédicace. En remettant ce livre à la surface des émotions de lecture passées, j’ai ainsi, dans le cœur de son auteur, « fait revivre après quarante ans ce livre qui a tant compté» …

C’est très juste, cette émouvante formulation, toute en intériorité et en transparence : les livres revivent chaque fois qu’on les lit, et nous font revivre instantanément les émotions qu’ils nous ont données et qui dormaient en nous, jusqu’à ce qu’on rouvre la page. C’est sans doute un peu de cela que j’avais pressenti en engageant le travail de mon vaste florilège des deux cents livres-ou-je-ne-sais-plus-combien-peu-importe (voir ci-dessus), pour vivre moins idiot etc (l’intitulé change à chaque fois, vous aurez remarqué…).

Retrouver dans les phrases, les mots et l’invention des autres, ce temps qui n’est jamais absolument perdu. A ceux qui, pauvres de jugement, vous demanderont à quoi ça sert d’écrire des livres et plus encore de les lire, dans un monde d’abrutis, nous sauront ainsi quoi répondre. Je pensai à ces offrandes fleuries dans les lieux les plus communs à Bali, qui ont pour objet de faire le lien de bienvenue entre les gens. C’est rien, quelques fleurs, une douceur, mais c’est là, sur une pierre ou un pas de porte. Il en est ainsi des livres anciens, des offrandes dont le souvenir nourrit l’esprit et à chaque page tournée, souhaite la bienvenue.

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  1. Jean Sénac. « Un Cri que le soleil dévore ». Cet entretien avec R. De Ceccatty fut aussi l’objet d’un échange sur un auteur que je ne connaissais pas, Jean Sénac. Un poète français mais se revendiquant algérien, croyant (chrétien) mais libertaire, communiste mais modérément révolutionnaire, indépendantiste contre la France, homosexuel et mort assassiné. Belle édition au Seuil qui regroupe sous ce titre magnifique (ci-dessus) des notes et des poèmes. La poésie de Sénac est peu cérébrale, plutôt narrative, d’un formalisme pragmatique qui en facilite la lecture. C’est souvent chantant comme Aragon. Passionné par Verlaine, Sénac s’en fait l’écho et sait en reprendre ce ton musical et aérien. Ceci nous donne une bien agréable poésie.

« A travers nous le temps se nie
Le froid du cœur nous a séduit
Plus rien de ce soleil
Ne peut mordre la pluie
Ce sont des paroles sans sel
Que je répète à bout de peur
L’éternité sur ton sourire est brève
Et l’amour sans l’amour
Est un vide bruyant » 

Voilà, ce n’est pas Mallarmé mais ça coule doucement comme une eau de fontaine. Et ça se lit enchâssé dans son journal, entre des considérations sur la vie, la guerre, les repas entre amis, et ce métier d’enseigner qu’il aimait tant. Étrange parti pris, cependant, de l’éditeur de nous donner les textes (journal et poèmes) avec les ratures. Mais ce n’est pas grave.

5. Fascination du désastre. On n’a pas tellement ici l’habitude de reprendre les propos d’un Président de la République, en l’occurrence l’actuel. Mais j’ai trouvé pertinente sa formulation, lors d’une récente conférence de presse sur la montée irrépressible de l’extrême-droite un peu partout. Il a évoqué une forme de « fascination du désastre», et pour une fois depuis bien longtemps, je serais d’accord. Les sociétés politiques s’affolent et se ruent vers l’animosité et la répression (qui viendra vite, ne nous leurrons pas). On s’apprête à (ré)élire aux États-Unis, plus ancienne démocratie complète du monde, un homme probablement fou. Et cela fera école ailleurs…Les humiliés, les négligés, les offensés, y voient une forme de revanche, avec la certitude infantile d’être le moment venu, forcément, du bon côté du manche. La rupture sera violente, très différente de ce qu’ils imaginaient ; ces malfaisants seront au pouvoir d’ici peu, puisque c’est ce que veut le peuple. Mais ce sont les faibles, ceux-là même qui l’auront voulu, qui seront les moins immunisés et les plus ébranlés. Tout réapprendre du désastre, parmi ce qu’ils auront ruiné, sera leur expiation.

« Car à l’instant même du désastre il faut d’abord apprendre le nouveau visage de ceux qu’on aimait. Il faut en image fermer ces yeux Qui regardaient si bien en face, Croiser ces bras Qui distribuaient De si beaux gestes, Clore ces lèvres dont les paroles Savaient si bien Nous réchauffer. Et le visage nouveau Nous blesse durement au cœur.»

                                  Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes.

Arrêtons ici la politique, c’en est assez pour aujourd’hui.

  1. Annonces sur les Cahiers d’Alceste. 

Donc, très bientôt, amis lecteurs, sur les Cahiers, un florilège des livres à lire et que j’ai lus et que je vous propose de lire si ce n’est déjà fait, élargi au XXIe siècle et enrichis sur les siècles déjà en ligne. Allez chercher les mises à jour sur leste si cela vous dit. Je vous ferai découvrir sur les Chroniques, une trilogie d’autrices (?) africaines (Ghana-Afrique du Sud- Éthiopie); et d’autres Caractères encore, que m’inspirent aisément la folie ambiante et le déclin des rationalités autour de nous. Et peut-être un long poème, si ma paresse accepte de décliner un peu…Mais qui donc aspire au repos devant la fièvre des mots ?

Meilleurs voeux encore une fois pour 2024. Pour commencer l’année, contemplons des fleurs et la mer, oublions quelques temps nos semblables humains.

Une image contenant plein air, eau, fleurir, fleur Description générée automatiquement

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous.  Je rappelle d’ailleurs que ce « ci-dessous » (titre en bleu = les Cahiers d’Alceste, donc…) est le lien vers le site du blog, où vous trouverez un tas de choses jolies et intéressantes, puisque certains ne l’avaient pas saisi ainsi.

Les Cahiers d’Alceste,

A bientôt. Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

hervehulin6@gmail.com

A bientôt.

©hervehulin

 

Au sommaire de cette treizième lettre (eh oui, déjà…): de l’hiver et de l’automne, Pascal Quignard, Voyage en Algérie, le Fou (d’amour) Majnoun et son flot de centaines de poèmes monothématiques, Louise Glück et Couperin…Aragon, un peu.

La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d’un bois.

Plus de chansons dans l’air, sous nos pieds plus de chaumes.
L’hiver s’est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l’horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes

                                                                     Guy de Maupassant. Des vers.

Maupassant n’est pas un poète notoire, là n’est pas son génie premier, on le sait. Mais là, ce texte -trouvé en naviguant – bien qu’un peu académique, pourtant très maîtrisé, fait mouche; mature comme du Vigny. L’hiver est là.

Le retard. Cela faisait déjà un moment que je ne vous avais pas livré ma lettre, je l’avoue (depuis fin août). Désolé pour le retard. Mais ceux qui lisent ces « cahiers » savent bien qu’Alceste n’est pas entré en léthargie pendant ce temps. Ah… la théorie du retard…Ce n’est qu’un jeu de mortel, voilà tout, et la vanité d’un peu de temps dépassé. L’hiver est là, et il faut attendre que ça s’en aille. Bientôt les jours s’allongeront aux premières heures des soirées. Mais alors, il faudra bien se dire que du temps a passé, et des jours sont consumés qui ne reviendront plus.

A propos du temps qui va. En lisant ses « heures heureuses », et sans doute effet de l’âge, j’ai perçu soudain  comment Pascal Quignard m’accompagne depuis longtemps. Depuis le début des années 80, Apronenia et ses notes de buis. Le temps va, donc, et les lectures restent. Que nous dit-il, l’austère Pascal?

« Si le temps stricto sensu est défini par ce retard que prend, du soleil à la terre, la lumière qui éclaire son chemin après qu’elle l’a effectué, ce laps de temps si mystérieux qui se creuse dans l’espace et qui se décolore, ce pli qui s’efface, cet étrange délai qu’accuse toujours plus mystérieusement la poussée qui la porte (…) c’est aussi que le point de distension du temps est son seul référent, et non pas l’instant ou maintenant se maintiendrait. Le temps est l’irrattrapable de ce retard. » 

Pascal Quignard. Les heures heureuses. XXIV. 

Rien ne sert de courir…Le temps est son propre retard… Quignard, c’est toujours intelligent, parfois précieux, mais toujours intelligent. La phrase épouse parfaitement son contenu, elle est bâtie comme du Bossuet.

Mais s’il nous parle si bien du temps, que n nous dit-il de l’espace, alors?

« L’espace, c’est là où s’étend le temps après son implosion.(…) C’est du temps effondré dans la nuit que traverse une lueur (…) qu’on recherche du bout des yeux comme le font les fleurs ».

                                    In « les heures heureuses », XL

Belle acuité. Le temps qui s’effondre, comme un vieux sable, nous ouvre l’espace. Seul un esprit solitaire peut ainsi voir les choses, en les contemplant derrière les lignes.

Écrire dans le style de. Dans le jeu des ateliers d’écriture, c’est un passage classique d’écrire « dans le style de ». Ce fut ainsi qu’il fallut écrire comme Christine Angot, que je n’avais jamais lu. Pourquoi pas. C’est actuel, et personnalisé. Un passage vite fait à la bibliothèque, et hop, emprunté deux titres, un peu au hasard.  (« Quitter la ville « et « Partie du cœur »). Pendant ce temps, j’avais commencé la lecture des « heures heureuses » de Quignard. La comparaison, qui vient magnétiquement à l’esprit du lecteur, est cruelle (cf. supra, le temps etc.). Chez Angot, on est vite lassé -enfin, « on » c’est moi en tout cas – de cette écriture bousculée, hachée, pleine d’animosité, au vocabulaire pauvre, à la syntaxe inutilment malmenée, lassé de cette écriture si névrosée. On se réfugie alors dans la phrase si délicatement apprêtée, de Quignard. La différence d’altitude vous donne un délicieux vertige.

Novembre. A propos de Quignard (encore…), je me suis découvert une détestation partagée avec lui, de novembre. Novembre est le mois le plus laid, celui qui n’a rien à dire que sa médiocrité, il commence avec la hantise des morts, et s’achève dans l’indifférence de sa nuit.

« Je déteste, novembre. Novembre et veule, pourrissant, pesant, glissant. Presque aveugle. Il est sombre. Il est assombrissant. Aussi grisâtre que le bec des freux. Il est aussi âpre que le cri qu’ils poussent dans les labours noirs. Il n’existe pas de mots assez sales pour nommer novembre. »

In « Les heures heureuses » XXXI

Un voyage en Algérie. Un peu de soleil, donc, en plein novembre derrière la Méditerranée, et l’orée du grand désert. On en parlait depuis longtemps, on l’a fait. Pays étonnant de secret, dont les autorités cherchent à conserver leur chasse gardée. Le résultat : une vaste contrée, lumineuse et rayonnante dont le délabrement matériel ne peut dissimuler les beautés, et, par-dessus tout, l’incroyable bonté de ses habitants. Les couches de l’histoire et ses civilisations s’entremêlent avec une aisance déconcertante : berbère, romaine puis byzantine, arabe, ottomane, européenne …

Une sorte de mélancolie traverse les ruines romaines de Timgad comme les architectures – fatiguées- Art-Déco d’Oran. Partout un foisonnement généreux d’humanité. Bien sûr, on restera désolé devant ces paysages et ces vestiges majestueux mais transformés en poubelles. Et peu de touristes. Certains diront que c’est tant mieux. Je ne le pense pas. Le tourisme est avant tout partage et recherche de l’autre. Il est dommage que des mondes si émerveillant en soient privés, par l’obstruction de leurs dirigeants, et contre l’impatience de leur jeunesse. Et quelle jeunesse, qui de toute part, peuple les rues et les paysages. Enfin, ce peuple si disert et expansif est francophile. Un jeune homme rieur à Constantine nous a adressé un joyeux et péremptoire « Allah est français ! ». Si vous le dites… Ce sont nos vilains « identitaires » (on ne dit plus « xénophobes », vous l’avez remarqué…) qui vont être étonnés. (Ah, imaginons la tête d’Eric Z… saisi de cette la révélation !). Vive les Algériens !

Poésie. El Majnoun : « le Fou ». Alors ça, amis de la poésie, c’est à lire et plus vite que ça.

Sous ce nom (le Fou, ou le Fou de Laylâ : Majnûn Laylâ) se cache un jeune homme dont on ne sait pas grand-chose (évidemment). L’histoire nous dit qu’au désert d’Arabie, dans la seconde moitié du VIIe siècle, (donc, avant l’islam) circulent des poèmes chantant un amour parfait et impossible.

Il y a bien longtemps, le beau Qaïs, fils d’une illustre famille de Bédouins, tombe éperdument amoureux de sa cousine Leïla. Le jeune homme est poète et ne peut s’empêcher de chanter son amour pour Layla à tous les vents .Mais chez les Bédouins, seuls les pères règlent les mariages. Le désir crié par Qaïs est une ombre sur leur autorité, et cette union est refusée. Dès lors, tout s’enchaîne : le mariage forcé de Laylâ, son départ au loin, très loin, le désespoir de l’amant poète…Alors la légende enflamme l’histoire, et nous parle d’un jeune homme qui chante encore son amour, des années durant ; il désespère, sombre dans la folie, va vivre avec les bêtes du désert, puis meurt, d’épuisement et de douleur.

Consolons nous d’aimer, âme trop généreuse
surmontons cette soif, ce mal qu’elle nous fait
Pleure sur ta douleur, pleure, puis reconnais
d’un long éloignement les suites bienheureuses

                                 (230)

Sa souffrance devient si célèbre que d’autres poètes se substituent à lui, et continue de chanter l’amour de Layla, tant et si bien qu’on ne sait plus lesquels des plus de trois cents poèmes sont ceux de Majnoun, le fou, ou de ses disciples ; leurs auteurs, sous divers noms, se veulent, d’une tribu à l’autre, les meilleurs dans le genre pour avoir vécu cet amour.

Dieu me guérisse de Layla, ou si je l’aime
De la louer, de rester pris en ses filets
Que savent si bien. tendre au coeur tous ses attraits
Et de ce mal qui dure autant qu’amour lui-même

                            (219)

Aragon y fait largement référence, dont l’exergue du fou d’Elsa est un extrait (réécrit) de Majnoun.

« J’ai partagé le melon de ma vie
et comme au sourd le bruit et le silence
les deux moitié en ont même semblance
prends la sagesse ou choisis la folie »

Mais qui fut Majnoun ? Homme de chair et de sang, ou personnage inventé, il fixe au poème un unique sujet : l’amour dans toutes les variations possibles. On songe à Pétrarque, évidemment. Ou à Aragon.

C’est un recueil fabuleux, dans lequel on erre, s’émerveille, et dont on sait qu’on y reviendra souvent. Il convient de saluer la traduction royale d’André Miquel, rimée et versifiée s’il vous plaît.

Adieu Louise Glück. C’est lassant, ces poètes qui s’éteignent, comme ça, sans prévenir. Un(e) poète qui meurt, c’est toujours une éternité qui s’interrompt. C’est de moi et ça vaut ce que ça vaut. J’aime bien Louise Glück, que j’avais découverte comme beaucoup d’autre. à l’annonce de son Nobel. Les oeuvres exclusivement poétiques nobélisées sont rares. C’est une poésie « neutre » sans émotion, très descriptive et narrative, qui vous laisse flotter sitôt le livre refermé, une idée de noir et blanc savant.

Mais attendre pour toujours est-il toujours la réponse ?
Rien n’est toujours la réponse
La réponse
Dépend de l’histoire
Quelle erreur de vouloir la clarté
Plus que tout Qu’est-ce qu’une simple nuit
Spécialement une comme celle-ci,
Maintenant si près de s’achever ?
De l’autre côté il pourrait y avoir 
n’importe quoi
Toute la joie du monde, les étoiles pâlissantes
le lampadaire devenant un arrêt de bus

                                ( Nuit sans lune)

C’est cette étrange mixage de distanciation et d‘ironie qui embrasse le monde en sa totalité dérisoire qui fait la force calme de cette poésie, essentiellement américaine.

Un vol d’oiseaux quittant le flanc de la montagne
Noir sur fonds de soirée printanière
Bronze au début de l’été
Se levant sur la vierge surface du lac

                               (Parabole du vol)

Au-revoir, Louise Glück.

Le centième caractère publié. Mais pas le centième écrit…Il y a quelques temps, un centième caractère a été publié sur les Cahiers. J’en ai encore en réserve, sans doute pas encore assez affinés. C’est étonnant comme ces petites fantaisies vous occupent et vous inspirent ; ça vient tout seul, il suffit de regarder autour de soi les affaires agitées des hommes et de leurs mondanités. Et voilà tout.

Un peu de musique. Il faut écouter et réécouter « Les ombres errantes », de François Couperin, dans l’admirable version pour piano de Iddo Bar-Shaï. Le piano, cet instrument fabuleux n’existait pas quand Couperin composa sa suite légendaire pour le clavecin. Et pourtant, ça sonne admirablement. Classique et moderne, ça scintille comme la neige. Ecouter chaque pièce, l’esprit tourné vers son titre, toujours ciselé comme un poème: « les ombres errantes« , « les barricades mystérieuses«  »double du rossignol » »l’engageante » etc etc.

Annonces sur les Cahiers d’Alceste. J’ai remarqué que je digressais souvent des annonces que je fais et dont l’objet ne vient pas, car j’en fais autre chose. Donc, modérons en les effets. Juste des ajouts prochains sur mon anthologie personnels des X… livres à lire pour être heureux; pour le reste, aller voir et c’est ainsi que vous verrez…Je prépare aussi quelques chroniques de lecture, sur des africains et des japonais. Il y a un long poème qui arrive, aussi, un  texte de coeur et de miroir.

     

Et pour conclure Aragon, en hommage au Fou Majnoun, cette strophe:

 

Comme à l’homme est propre le rêve
il sait mourir pour que s’achève
Son rêve à lui par d’autres mains
Son  cantique sur d’autres lèvres
Sa course sur d’autres chemins
Dans d’autres bras son amour même
Que d’autres veuillent ce qu’il sème
Seul il vit pour le demain

(in: Le Fou d’Elsa- Zadjal de l’avenir)

Toujours musical, Aragon, et juste ce qu’il faut d’ancienne tournure dans le langage.

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure. Très beau Noël à tous et toutes, et n’oublions pas ceux qui n’en auront pas.

En attendant, rendez-vous sur les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous.

Les Cahiers d’Alceste,

Et n’oubliez pas

1. d’aller lire ou relire « Les dormeurs »

2. vos bienveillants commentaires…

hervehulin6@gmail.com

A bientôt.

 

©hervéhulin2024

 

 

 

 

 

Les Cahiers d’Alceste.  Le blog de littérature amateure, contemplative, et misanthropique d’Hervé Hulin ;

« J’aimerais être capable de suivre du regard le tracé d’un papillon qui virevolte au-dessus d’un buisson de lavande (…), rester immobile, en paix, avec le papillon, est au-dessus de mes forces. Quel est l’usage le plus juste du temps ? Celui qui nous convient, celui qui allume le bonheur en nous. « 

                    Yannick Haenel.  » Le tracé du papillon, « In Charlie Hebdo » N° 1619.

A l’ordre du jour de cette douzième lettre ? Le florilège des lectures d’Alceste et des cent cinquante (ou plus) livres à lire pour se sentir moins vide ; les femmes poètes prennent la tête ; et à quoi bon écrire ou inventer le beau dans ce monde pourrissant ? Et aussi, de la vertu des éléphants.

Cent-cinquante livres (au moins) pour vivre un peu mieux etc. On y arrive, bientôt achevé. Que pensez-vous, ami lecteur si occasionnel, de mon panthéon littéraire personnel ? Ceux qui ont la curiosité de consulter le site des « Cahiers » auront vu que le parcours touche à sa fin, puisque j’ai mis en ligne il y a quelques semaines le volet (monumental) du XXe siècle. Quelle époque, comme disait l’autre, que ce fabuleux siècle de littérature !

On n’aura pas toujours saisi à quel point ce siècle en effet a été foisonnant. Ce fut le temps d’une mondialisation sans limite de la littérature, et l’avènement définitif du roman comme axe central de la création, et au delà, comme langage universel. Sélectionner – uniquement dans mes seules lectures – une cinquantaine de livres dans cette forêt aura été une gageure tortueuse. Un cortège de géants. On commence avec Soseki et London. Proust, Aragon, Joyce, Kafka. Et connaissez vous Ashebe, Isegawa et Numa? Allez voir, donc, ne restez pas là…

Ce ne sera pas le dernier volet; je vous promets un florilège pour le XXIe, mais pas avant la rentrée. D’autant plus que je vois déjà pointer de nécessaires mises à jour sur les volets déjà publiés. Eh oui, la lecture, ça ne s’arrête pas…

« Ai-je été un homme ou un crétin ? » s’interrogeait Saül Bellow sur son lit de mort. Si, dans quelques décennies probables, les livres, les bibliothèques, et les écrivains ont disparu, dévorés par les nouvelles morales et les réseaux sociaux, au moins, dans ce silence nouveau, j’aurais écrit cela, quelques-uns l’auront lu, nous aurons partagé.

Poésie vivante et palpitante. Sasha Thomas, dont je vous avais invités à apprécier le recueil « Eaux et carêmes», a organisé une lecture semi-publique – parterre d’auditeurs choisis – le 10 juin dernier au café « L’Écritoire » (Paris 5e). Beau moment de partage, inauguré par un « orage » poétique (traduction : lecture à plusieurs voix d’un texte, en mode non simultané). Et j’y ai même entendu ma voix, sur de jolis mots («…Les langues déforment le rideau liquide/ Le chant convoque l’orage et force la main des tempêtes/ A soulever la noce » – in « Noce » pp 5 et s).

La poésie à voix haute est différente de celle qu’on lit d’une voix intérieure: elle captive et sonne.

Heureux aussi d’avoir retrouvé au Marché de la Poésie le lendemain, Marilyne Chaumont, pour la dédicace de son si beau recueil « Dans l’épaisse forêt des jours » (Ed. L’Arbre). C’est aérien, ocellé de contre-jours comme un sous-bois, toujours écrit dans la grâce. Parfois, un air de Verlaine :

Il y a dans mon cœur
Et depuis si longtemps
Un poème qui meurt
Sous le cri des passants

Il cogne dans mon cœur
Depuis l’éternité
Ce poème qui pleure
Depuis l’éternité

                  (Le mendiant)

J’adore ceci, également :

Les larmes sont gelées pendant que l’or des branches
Agite un carillon grelottant de lumière
Hier il a neigé les figues étaient blanches
Sans savoir tu défais le lange de ta mère

 

                 (Le bâillon)

Et parfois, le recueil s’assombrit d’une douleur résurgente :

L’horloge sonne-t-elle ? Je l’ignore
Je pense à mon enfant qui s’est perdu
Aux joues rouge sang du lavoir

                 (Le lavoir)

Lydie Dattias, enfin. « J’aimerais mieux mourir que de douter des anges » : poésie absolue de ce vers. De Lydie Dattias, j’ignorais jusque-là l’œuvre et l’existence. « Le livre des anges » (Coll. Poésie Gallimard) notamment, rayonne d’une écriture fébrile et cérébrale, nourrie de répétitions et d’enchâssements qui évoque un peu Péguy. Chaque vers est phrase complète, et le texte prend un effet de stances délicat, parfois à la limite de l’hypnotique.

Mon sang est un vitrail illustré par l’azur
Les lys blancs se pressaient autour de ma pensée
Et mon âme trempée dans le sang de l’azur
Plus tendre que la nuit au cœur du lilas blanc
Mon cœur martyrisé par sa propre douceur.
                (Mon sang est un vitrail)

C’est très intérieur, et d’une beauté pudique.

Sasha, Marilyne, Lydie… Comme le clamait un ancien poète décalé du XXe siècle, Jean-Marc Reiser : « Vive les femmes !».

La fin de l’Oeuvre et le silence. Xavier Dolan, à qui beaucoup de connaisseurs et cinéphiles prêtent du génie, a annoncé récemment son souhait de cesser de faire du cinéma. Dolan ne voit plus de sens dans l’acte de créer. « Je ne comprends pas à quoi ça sert de s’efforcer à raconter des histoires pendant que le monde s’écroule autour de nous. L’art est inutile, et se consacrer au cinéma une perte de temps ». Voilà qui est tranché.

C’est LA question, même si toute forme d’art ne « sert » à rien : à quoi bon produire quelque chose de beau, quand l’effondrement du monde rend vain l’idée même d’une humanité ? Est-ce donc le beau qui donne du sens au Monde, ou le Monde au beau ? Je n’en sais rien.

Rimbaud eut tout réglé de cette affaire avant d’avoir vingt ans. Sibelius taira sa musique – sauf quelques murmures- plus de trente ans avant sa mort. Toujours, nous rêvons d’accomplissement, de merveilles et de poèmes, d’inventions de toute sorte qui vont sortir les hommes de leur torpeur facile, et apaiser leur médiocrité.Et puis un jour vient qui pose cette question fatale: pourquoi accomplir cela, encore et encore? Ce n’est pas le talent, réel ou espéré, qui fera la réponse. C’est bien le sens de cette activité étrange. Pourquoi donc, quand l’humain reste incapable de civilisation durable? A quoi bon, à quoi bon donc?

Ah… l’envie d’un vaste désert et son repli loin du monde.Mais plus le monde s’enlaidit de la folie des hommes, plus il faut y injecter de belles choses, comme une infinitésimale pénicilline. Les mots, les notes, les couleurs, si cela est bien choisi, la recherche permanente du lieu et de la formule, suffisent à donner du sens à cette fragile existence. Car « Vivre affligé, tel est notre seul destin » (Homère- Iliade, XXIV) .

N’aspirons jamais au repos sur l’envie de beauté qui nous saisit et nous rend humains.

 

Le mystère du 45 rue de la Folie-Méricourt. Je passe souvent devant cette adresse étrange et ses curieuses enseignes. Les termes en sont ainsi choisis pour étonner. Quel est ce lieu, de quel mystère est-il consacré?

Le passant est interpellé, il va s’interroger, et prendre le mot « poésie » en pleine face. Le but est celui-là, imprimer l’idée de poésie – idée simple, somme toute -dans le pas d’un quotidien qui va.

Les métiers affichés valent le détour. Les noms évoquent une bande dessinée, journal « Spirou » ou du genre… Amusant. Un jour peut-être pousserai-je la porte du 45 rue de la Folie-Méricourt. Mais ne perdra-t-on pas, une fois l’inconnu transgressé, un peu de l’éclat poétique ainsi inventé sur la rue ?

L’Ombre qui vient. Edwy Plenel, a publié récemment un sonore « Appel à la vigilance : face à l’extrême-droite». Que nous est-il arrivé, interroge-t-il ? Les obsessions de l’extrême droite occupent dans le champs médiatique la même place dominante que celles d’extrême gauche dans les années soixante-dix. Elles sont à l’offensive, ont envahi la société en toute facilité, et devenues le centre de gravité du médiatique. Peu de voix s’élèvent pour mettre les justes mots sur la situation. On ne dit plus fasciste, ni raciste, ni xénophobes pour désigner ces gens-là qui n’ont plus de limite ; ce qui était obscène il y a vingt ans est désormais le langage courant de ces gens-là. Il faut dire patriote, identitaire, illibéral etc.

Edwy Plenel a le mérite de replacer le sujet et de remettre à l’équerre le sens des choses. Il dit les mots. Ces gens-là sont des fascistes, sont des racistes. Ce sont des méchants et des mauvais : ces gens-là considèrent que tous les hommes ne se valent pas et n’ont pas les mêmes droits. Lisons, relisons cet excellent petit livre, animé d’une écriture efficace et vive. Citation : Plenel stigmatise « l’installation à demeure dans l’espace public des idéologies xénophobes, racistes, identitaires, rendant acceptables et fréquentables les forces politiques qui promeuvent l’inégalité des droits, la hiérarchie des humanités, la discrimination des altérités. Quand avons-nous baissé la garde ? Quelle est la responsabilité des journalistes et des intellectuels dans cette débâcle ? Comment, au nom de la liberté de dire, de tout dire, y compris le pire et l’abject, la scène médiatique est-elle devenue le terrain de jeu d’idées et d’opinions piétinant les principes démocratiques fondamentaux ? ». Voilà de la grande vérité, dont on perd l’habitude.

Entendez l’Appel. Méditons sur ce qui nous attend. Il est encore temps. Moins nous le lirons, plus vite il sera interdit quand ceux-là qu’il dénonce seront -un jour- au pouvoir.

                               (Edwy Plenel. Appel à la vigilance- Face à l’Extrême Droite. Ed.  La Découverte, 134 pages).

Rencontre avec Ganesh, le dieu éléphant. De retour d’Indonésie, avec cette petite effigie qui donne envie de toujours sourire. Maître de la connaissance et de l’éducation, Ganesh transmet les choses de l’esprit. Il trône dans l’innocence de son corps d’enfant, l’œil malin, tout en exhalant la puissance débonnaire de l’éléphant. C’est sa tête d’éléphant (d’Asie) qui en fait une divinité. Il est l’intelligence des choses, mais regardez comme cette petite statue se prend élégamment la tête, comme inquiète devant l’inanité du genre humain.

Il nous inspire une esthétique parnassienne, et une envie de forme finie

Sans ralentir jamais et sans hâter sa marche,
Il guide au but certain ses compagnons poudreux ;
Et creusant par derrière un sillon sablonneux,
Les pèlerins massifs suivent leur patriarche.

                          Charles Leconte de Lisle – « Les éléphants » Poèmes barbares (1862)

Bien que dans un style compassé qui l’éloigne aujourd’hui des lecteurs, il saisit bien le calme puissant de l’éléphant, l’impassible Leconte de Lisle.  (« Il guide au but… »C’est bien vu). Curieuse idée que de faire un poème sur ce gros animal. Mais on la comprend mieux en observant un tant soit peu cette statuette.

Annonces: quoi de neuf bientôt sur les Cahiers d’Alceste? Je vous avais promis dans la dernière lettre des chroniques de lecture africaines, mais je me suis plutôt consacré à mon florilège   – qui vous livrera bientôt le XXIe siècle, avec une vingtaine de références -et du coup, vous n’avez rien vu. Donc, je vous envoie bientôt mes commentaires sur l’étonnant Sosa Boy, de Ken Saro-Wiwa, (Nigéria, encore… Quel pays d’écrivains !). De la guerre et de l’enfance. Je vous parlerai aussi bientôt de libellules rouges : un roman japonais d’une femme qui n’est pas écrivain mais puisant dans ses souvenirs, s’en sort magnifiquement.

De la poésie, aussi. Enfin, Les dormeurs, sorte d’Ode au sommeil de mon cru. Un ancien premier ministre de la Ve République affirmait, comme une fierté, lire tous les soirs un poème pour s’endormir. De la poésie comme un comprimé de sommeil… Pauvre homme, qui se pensait cultivé. J’ai un peu pensé à lui en achevant mes « dormeurs », noème long et statique, à lire sans doute un peu ivre de bon vin, que j’enverrai bientôt- sitôt parachevé…

Et sur le Conotron, rubrique appréciée de mes quelques lecteurs, on parlera d’expertise et de moutons.

En attendant, continuons avec les éléphants. Ils ont en eux la force et le rythme lent des poèmes. Et la rondeur de Ganesh, qui fait tant de bien au contemplateur.

    

« Tel l’espace enflammé brûle sous les cieux clairs ;
Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes,
Les éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes,

Vont au pays natal à travers les déserts. »         

Charles Leconte de Lisle – « Les éléphants » (suite) Poèmes barbares (1862)

Et bien sûr, Adieu à Milan Kundera, qui est sorti du chemin. gardons et regardons cette citation, comme un trait de feu:

« Être : se transformer en fontaine, vasque de pierre dans laquelle l’univers descend comme une pluie tiède. »

C’est très beau, et très juste.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous.

Les Cahiers d’Alceste,

Et n’oubliez pas – O timides lecteurs – vos bienveillants commentaires…

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A bientôt.

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Les Cahiers d’Alceste.  Lettre d’information N°11.  Mai 2023.

 

Le blog de littérature amateure, contemplative, et misanthropique d’Hervé Hulin.

« La vie n’est jamais qu’un éclair qui ne s’immobilise que pour laisser entrevoir, c’est son vœu peut-être, de grands pays en sommeil étagés de toutes parts autour de nous dans la nuit »

Yves Bonnefoy, « L’écharpe rouge ».

Toujours en lecture de Bonnefoy, que j’évoquais dans la dernière lettre. J’y trouve bien des perfections, qui rendent humble. C’est curieux, Bonnefoy, ombragé et limpide en même temps. Comme un soir de printemps. 

Dans cette onzième lettre (déjà ?!) :  le florilège des livres lus, et les enjeux vraiment amusants de l’exercice, on continue… Du côté de Guermantes au théâtre, et c’est réussi…Un monde vidé de ses oiseaux demain…Et ces écrivains qui meurent et nous laissent seuls, Philippe Sollers…

 

Du choix des livres. Décliner les livres qu’on a aimés produit un effet de magie mineure : les partager avec ceux qu’on n’a pas lus, et qu’on se retrouve soudain avoir envie de lire.

Je vous invite à contempler – c’est le terme qui me convient- ma rubrique « une bonne centaine de livres etc » que je vous délivre par épisode. L’essentiel est de rester heureux, ou le devenir si on ne l’est pas encore, dans la lecture. Au compteur WordPress, le nombre de « vues » est insuffisant, me semble-t-il, pour diffuser du bonheur de lecture à hauteur de la grisaille de notre temps – et des têtes accablées que je vois dans le métro… Je promets de belles rencontres…Qui connaît Nicomaque Flavien, et son amusante imposture ? Apulée, et les frasques sexuelles de son âne ? Je ne suis pas sûr que beaucoup d’entre vous connaissent Hector Savinien, dit Cyrano (from Bergerac…) et ses fabuleux voyages dans la Lune. Et s’il ne faut retenir (autodiscipline exige) qu’une seule pièce de Molière, laquelle, selon vous ? Bon, je l’admets, tout en m’amusant, c’est laborieux ; mon florilège (chronologique) n’a pas encore dépassé l’an 1800.Et le travail de sélection s’annonce difficile pour les siècles (d’or) qui suivent. D’autant plus que j’ai décidé d’inclure le XXIe, car les livres n’ont pas dit leur dernier mot.

Ce qui est captivant, avec ce genre d’exercice, c’est que tout de suite, l’échange décolle : pour tel livre cité, on me dira « et pourquoi pas celui-ci ? As-tu pensé à celui-là ? Je ne vois pas cet autre, et pourquoi donc ? Et comment est-ce possible de ne pas inscrire cet incontournable … etc etc ». Alors, on répond, on discute, car chacun a été marqué (au sens physique) par la mémoire des livres lus. Cet accès au patrimoine de lecture de l’autre est complètement énergisant…Et ainsi, l’esprit passe de livre en livre.

On parlera sans doute d’un souci d’érudition. Eh bien non. L’érudition, ce n’est pas ça. N’y voyez que de la jubilation. C’est revendiqué, notre époque fiévreuse en est si pauvre. Car tout cela ne procède que d’un esprit joueur.

Et puis, il faut bien le dire : quand les sept chapitres de mon florilège auront été mis en ligne, il y aura bien plus qu’une centaine de livres. Heureusement…

« Du côté de Guermantes » à la comédie française ». Ils sont très fort, au Français…Proust sur scène, rien que ça. Réussite complète. La dernière représentation de ce bijou est passée. Le cinéma a toujours échoué face à « La recherche ». Le théâtre ici reprend sa supériorité, avec une étonnante facilité. Il réussit une connexion instantanée entre les caractères, qui nous amuse. Christophe Honoré a su tamiser la densité de l’univers proustien, pour en isoler à la surface, comme d’un nectar le sucre, les traits comiques. Plus quelques trouvailles anachroniques bien insérées, et voici deux heures trente de régal. Qui ne laissent qu’une envie, une fois le rideau tombé : lire ou relire, le sourire aux lèvres, et relire encore.

Un monde sans oiseau, il faut s’y préparer, ça vient vite… Regardons les vaquer, ces cigognes heureuses de l’Algarve ; elles ne se doutent de rien encore…

Les oiseaux disparaissent de nos campagnes à un rythme alarmant. Un tiers au moins de ce peuple immense a disparu depuis quinze ans. Environ vingt millions par an, soit huit cents millions depuis 1980…Une étude associée du CNRS et du Museum National d’Histoire naturelle établit ce triste constat, qui n’affole pas plus que cela. Il faudra bientôt vivre en ville pour pouvoir entendre le chant d’un oiseau. L’oiseau, c’est l’irruption d’un monde ensommeillé ailleurs, dans la vie urbaine soudain vivifiée. Illustration : il y a quelques jours, je suis saisi un matin, boulevard Richard Lenoir, du chant très sonore d’un oiseau, là-haut quelque part dans les arbres. Je m’arrête, j’écoute…Un rouge-gorge ? Mais l’arpège est un peu long. Quoi donc, alors ? Quand une dame âgée, très chenue, très digne, vient vers moi et me dit « une fauvette à tête noire, n’est-ce pas ? On l’entend, mais on la voit rarement…Elle est petite, mais chante fort ».Que deviendront ces passionnés, quand il n’y aura plus rien à écouter, que la rumeur des moteurs ?

Le vivant s’efface avec le temps, comme une fresque antique, peinte à l’eau il y a deux mille ans.

Un peu de poésie, comme d’habitude. 

Poésie ? J’ai bien aimé Rodney Saint-Éloi, poète Haïtien à l’écoute des peuples et des îles et des villes…ça foisonne et on y revient, soudain attaché…Parfois de simples touches, en aquarelle :

Espace d’ambre blessé

La clarté des radeaux

Les serments

Les tombeaux dans la nuit

 

Parfois très narratif :

Je reviens à la mer comme à la terre comme l’amitié des lilas comme qu’importe le hasard calfeutrant la digue des siècles, j’apprivoise en tes bras l’éternité de tous les bleus, et ciel et mer en moi debout semés.

Disparition de Philippe Sollers, que je n’avais jamais lu. C’est attristant, ces écrivains qui meurent, et ça surprend encore quand de nouveau, l’un d’entre eux, tombe. On s’est habitué avec les années, à des présences lointaines mais importantes, comme une forme d’abstraction. Un présent de l’indicatif s’impose quand on parle de ces esprits qui comptent. C’est la leçon des paysages (allez voir mon « Épilogue » sur Les cahiers, rubrique Poèmes, c’est la clé…). Soudain, une faille s’ouvre et c’est l’imparfait qui prend le relai, sans demander aucun avis. Le soudain disparu « était » ceci, « disait, écrivait » cela etc. Et surtout, il ne publiera plus rien…Tragique du vide…Du coup, saisi tout entier de mon retard, et perturbé par cette modification irréversible du paysage, j’entame la lecture des essais de Philippe Sollers. La guerre du goût… La mort pousse au livre, et le livre surmonte la mort… Troublant. J’entends encore Sollers dire, sur un plateau télé, au siècle dernier « la littérature, ce n’est qu’un art de vivre ». Ces chroniques, ces biographies sont pleines d’un d’esprit vivant.

Bientôt, sur les cahiers d’Alceste ? La suite des cent cinquante livres etc pour vivre plus heureux, bien sûr !  Les XIXe, XXE et (déjà) XXIe siècle. Je vous garde quelques poèmes plus courts – quoique mes Dormeurs encore inachevés, ça fait épais. Je vous reparlerai des oiseaux…Et bien sûr, des Caractères : je ne sais pas, vous, mais moi je ne me lasse pas…Je vous dois aussi mes opinions sur bien des écrivains africains.

« L’instant, rien d’autre, la notation pure et simple : une énorme liberté insoupçonnée est là »

                                       Philippe Sollers, in « Passion fixe ».

Ce serait l’idéal, en effet, de l’écrivain. Noter, rien d’autre, sans l’effet du travail à suivre, et l’ouvrage serait là, propice à la lecture. Comme la pluie passée qui dure pourtant, sur l’herbe et la pierre.

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure. Le 15 mai, 379 visiteurs se sont rués sur « Les cahiers d’Alceste ». Allez savoir pourquoi. Qu’ont-ils trouvé qu’ils ont aimé ? C’est la seule chose qui compte.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous.

Les Cahiers d’Alceste,

Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

hervehulin6@gmail.com

A bientôt.

©hervehulin

 

Les Cahiers d’Alceste.  Lettre d’information N°10. Mars 2023. 

Le blog de littérature amateure, contemplative, et misanthropique d’Hervé Hulin ;

« Tandis qu’à leurs œuvres perverses, 
Les hommes courent haletants, 
Mars qui rit malgré les averses, 
Prépare en secret le printemps ». 

                                                              Théophile Gautier

Gautier, de son temps fut la plus influente des plumes. De nos jours, son souvenir a bien pâli. Ne restent dans l’opinion que Fracasse et La momie. Il y a pourtant un grand poète, au verbe habile et ciselé : cette façon de tant dire du printemps en si peu de mots et trente-deux syllabes est sans rivale.

Opinion de lecture. Je vous envoie très vite le premier pan de la fameuse liste des cent livres à lire non pas avant de mourir, mais pour ne pas mourir idiot, ce qui nous guette tous. Dans la précédente « lettre » j’en parlai déjà, et toujours rien me direz-vous. En effet, j’ai tardé car j’ai changé le registre. La matière que je pensais compléter était la fameuse liste sortie sur le site de science Po, « cent-cinq livres à lire avant de mourir », et que j’avais commencé à reconfigurer, avant de me rendre compte de la vanité de ladite liste.

A voir ici : https://www.integrersciencespo.fr/livres-1

Car la liste (science Po) en question :

  •   N’est pas une liste puisqu’elle est assortie de commentaires bavards et standard à chaque titre, et donne une foule de recommandations d’avant lecture qui sont très éloignées du plaisir de la lecture.
  •    Est très moyennement honnête, puisque son but n’est pas de faire partager un grand plaisir de lecture, mais plutôt de briller à minima à l’oral de science Po (la preuve : chaque titre de livre renvoie sur le lien Wikipédia, voire -hélas- amazon).
  •  Elle mélange plein de chose et n’importe quoi au motif du plaisir de lire : le Kama Soutra et Marcel Proust…Le Maha barata (qui lit aujourd’hui les deux mille pages du Maha barata ?) et Harry Potter… Tintin et Platon…
  • Elle raconte n’importe quoi sur la lecture : voir son commentaire sur Homère, « c’est très facile à lire », allons donc… « C’est une liste populaire », nous dit-on…Oui, mais Spinoza et Kant ? Lao Tseu ? « Ce sont tous des livres de grande qualité littéraire » nous assène t-on…Diable ! Le vocabulaire de la Bible – qui n’est pas une oeuvre littéraire- ne dépasse pas quatre cents mots.

Tout cela fait soupçonner que les auteurs de ladite liste sont des tartuffes qui n’ont pas lu ce qu’ils vous recommandent de lire, et ne liront pas ce que vous aimerez lire. Cette somme est programmée pour passer des concours de culture-gé, ou parler dans les dîners en ville, des livres qu’on ne lira jamais, comme si on les avait lus, devant ceux qui ne lisent jamais non plus.

Néanmoins, le jeu est amusant, la plupart des références sont intéressantes, et j’en reconnais plusieurs comme incontournables. Que j’ai donc conservées (et parfois même, les commentaires, mais en les modifiant chaque fois que nécessaire, si pauvres qu’ils sont). J’y ai donc substitué ma propre démarche, qui aura pour objet de vous faire partager les plaisirs de lecture les plus marquants, tout en ménageant un panorama le plus représentatif possible. Je mettrai en ligne par étape. Dans quelques jours, première tranche : les Anciens, d’Homère à Boétius. Préparez-vous…

Opinion de lecture 2.  Un collègue, pourtant érudit, à qui j’évoquai en conversation l’ethnocentrisme de la liste Science Po, me répondit » Ah bon, on veut bien , mais s’il faut trouver des auteurs sénégalais, on n’est pas couchés »… Ignorance de la littérature africaine, foisonnante pourtant tel ce continent. Dans les semaines à venir, donc, mes « opinions de lecture » vous apporteront comme une gerbe printanière, de formidables auteurs: Ken Saro Wiwia (Nigéria), et Maaza Mengiste (Ethiopie) et Taiye Selasi (Ghana) et Namwali Serpell (Zambie) et Nadine Gordimer et Futhi Ntshingila (Afrique du sud). A part Wiwa, des femmes, tiens donc… En effet, des lectures qui ne donnent pas envie de se coucher tôt. Et tant pis pour ceux qui passent à côté.Vive l’Afrique!

Mort de Kenzaburo Oe. L’un des plus grands écrivains de ce siècle vient de nous quitter, dans une -hélas- relative indifférence. « Dites-nous comment survivre à notre folie » fut un des chocs de lecture de ma jeunesse. Le pacifisme chevillé au corps, cet inlassable hibakusha a bâti une œuvre étonnante, et d’une forte individualité, tourmentée du double drame de la bombe atomique et du handicap mental de son fils, bien nommé « Hikari » (Lumière…). Adieu à ce géant, et bon vent à ce bel esprit.

Poésie…  Très bonne nouvelle, qui fera vous ruer chez votre libraire le 13 avril dès avant l’ouverture. A cette date, Gallimard sort -enfin- dans sa légendaire « Pléiade » une édition d’Yves Bonnefoy. Ce volume apparaît assez complet (1800 pages) et a le mérite d’avoir été préparé par ce géant lui-même, qui est allé jusqu’à en arrêter le titre. « Œuvres poétiques » c’est tout et c’est très sobre, au reflet du personnage. On a pu reprocher à Yves Bonnefoy une approche parfois trop cérébrale du verbe poétique – point de vue que je ne partage pas- mais c’est négliger une conception élémentaire de la poésie. Pour Bonnefoy, la poésie, n’est pas un genre, mais un langage. Bonnefoy nous parle en poésie, comme il pourrait, fin traducteur de Shakespeare, nous parler anglais. Pour autant, son texte est capable d’images lointaines, originelles du surréalisme, mais toujours moderne à notre écoute.

Plaisir de la Pléiade. Il ne s’agit pas d’une allitération gratuite, mais puisqu’on parle de « La Pléiade », on sera heureux d’en évoquer le confort de lecture sans pareil. Lire « en » Pléiade, c’est un peu comme écouter la musique de chambre en haute-fidélité. Il y a toujours une sensation physique dans le plaisir de lecture ; sur ce plan, un volume de cette édition est sans égal. Et quelle joie, quand sitôt revenu du libraire, on sort le livre neuf de son coffret, et on l’ouvre, sur n’importe quelle page… L’odeur du cuir, le chuintement délicat des pages tournées, le poids ni lourd ni léger dans la main. Et l’élégance du Garamond qui captive le regard, attise l’attention. On est bien. Le monde peut s’enfuir, et la folie des hommes le ruiner, pour peu qu’il nous laisse ça en main. A voir ou revoir, l’étonnant reportage (France Info Culture) le 2 mars sur la fabrication des Pléiades, à l’occasion de la sortie du Steinbeck. Trois usines, le saviez-vous, sont nécessaires pour répondre au seuil « d’exigence » de la collection. Trois semaines pour fabriquer un volume, et parfois des décennies pour parfaire une réimpression.

Conspirationnisme et vérité (Conotron, toujours…). Près de 80% des français croient à au moins une théorie complotiste, et 9% que la terre est plate. La prolifération des idiots est le mal de ce siècle si peu commencé. Des vaccins à l’Ukraine, les révélations que la bien-pensance-du-système-de-la-pensée-dominante veut étouffer bouillonnent à sous le seuil des QI minimaux. La vérité est malade de notre temps, où chaque imbécile peut inventer sa vérité pour contourner celle qui lui pend au nez, c’est-à-dire celle des autres. La vérité n’est pas une équation, mais une convergence. Sitôt qu’elle cesse d’être centrifuge pour se revendiquer centripète, elle ruine son essence fragile, et disparaît. Atterrés que nous sommes, misanthropes de profession, nous trouvons refuge dans la littérature.

Je pense alors à Léo Ferré, si souvent échevelé :

« Il paraît que la Vérité est aux toilettes
Et qu’elle n’a pas tiré la chasse ?
La Vérité, c’est dégueulassssse »

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                                       “Night and day” (Il n’y a plus rien)

J’alignerai encore et encore des « Caractères » sur ce sujet, facile à croquer, je l’avoue.

Elections…Enfin, quelque nouvelle de valeur ; il est possible que l’académie française ne serve à rien. Mais pour une fois…  Si elle acceptait au printemps la candidature du plus absolu des rimbaldophiles (néologisme ?) elle retrouverait un peu de sens. Académiciens, encore un effort pour être poètes : votez Borer !

« Je te donne ces vers, non parce que ton nom
Pourra jamais fleurir, dans ce sol pauvre,
Mais parce que tenter de se souvenir,
Ce sont des fleurs coupées, ce qui a du sens. »

                                    Yves Bonnefoy – Raturer outre.

Le printemps pour moi sera souriant, quelques ombres récentes s’éloignent, et de l’eau pure sur une couleur vive. Je le souhaite à tous. `

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous.

Les Cahiers d’Alceste,

Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

hervehulin6@gmail.com

A bientôt.

©hervehulin

 

 

Lettre N°6.: La vanité, l’été, les vanités, poésie ancienne et nouvelle, et les prochaines publications…

 

 

Tenir un blog, reflet des vanités?… Déjà la lettre N°6! Je découvre, dans cette sorte de miroir, avoir écrit plus de cent « Caractères ». Et cent-soixante-dix-huit textes divers peuplent ces « Cahiers » avant même deux années d’existence. Mais pourquoi donc? Lecteur, tu restes invisible, c’est la loi du blog…A ce jour, le tableau de bord WordPress m’indique près de trente-trois mille visites depuis la mise en ligne en octobre 2020. Avec un étrange pic le 21 mai dernier, à deux-cent-soixante-neufs, allez savoir pourquoi. Mais à part ça, outre les abonnés que je désigne d’office pour être destinataires de cette lettre (je viens d’en ajouter unilatéralement encore quelques-uns), je doute qu’il y ait foule aux portillons d »Alceste ». C’est peu, et c’est tant mieux. Délicieusement vain…Vivons heureux, vivons discrets. Comme un goût de secret partagé entre initiés, sans rite ni devoir?

 

L’été vient, l’entendez-vous ?

« L’été : un éblouissement comme est la neige, Celle qui vient légère et ne dure pas, Et rien de nous n’en trouble la lumière d’eau qui s’est condensée puis s’évapore.”

Yves Bonnefoy.  (Les planches courbes)

 

Quelle pertinence du mot chez Bonnefoy! L’été est proche et nous voici déjà saisis d’un sentiment léger. Les soirs de plein jour, les fleurs des champs, les foules vêtues léger dans les rues baignées de soleil. On a beau dire et se résigner, un rien suffit pour que les ombres du monde sortent du champ optique- et regardant autour de nous, ces temps-ci, on peut se dire qu’il fait presque noir. Pourtant, l’été et ses feux commencent à chacun de ses retours, de nous inquiéter. Plus de soleil, moins d’eau, et moins de clarté en l’homme. Ce qui nous fait une tranquille transition avec le thème suivant.

Du sentiment de vanité. Attirante exposition au musée des beaux-arts à Lyon, « A la mort, à la vie! Représentation des Vanités d’hier et d’aujourd’hui ». Aucune connivence avec la nouvelle rubrique de nos « Cahiers ». Puisque le principe en est de présenter des œuvres contemporaines sur le même plan que celles antiques, on y contemple tout et rien – tel est l’esprit du sujet – c’est à dire, comme toujours avec la création contemporaine, tout et rien : des splendeurs et des idioties, mais créatives, donc… En conjuguant dans un continuum de scénographie, l’art classique des vanités avec des traductions contemporaines, le musée des beaux-arts prend un risque, et c’est à son mérite : celui qu’une part non négligeable du parcours nous ennuie. Mais l’ennui, même fugitif, n’est-il pas la première traduction de cette vanité ? Et je me plaisais à imaginer que, par l’effet d’une sorte de performance discrète, les quelques frissons d’ennui qu’on peut ressentir devant certaines créations vaines de l’exposition, en était partie et contribution vivante.

Les vanités nous semblent souvent exclusives du siècle baroque ; pourtant, derrière l’immobilité des figures, leurs codes et leur symbolique courent encore, et nous dictent une forme de modernité. Pour une cause très simple, cette mystérieuse continuité : la vie passe, heureuse du seul fait de passer, et la mort reste, impartiale. Sagesse et beauté. Ce différentiel de mouvement, par l’infime effet de distorsion qu’il imprime à la vie, en est le sel. Et pour tout dire, une visite aux Catacombes de Paris, cette semaine (motif professionnel en plus ) a achevé cet étonnement. Savoir que parmi les débris de six millions d’humains mêlés dans l’ossuaire, on a Molière, quelle que part dans la masse et l’entassement, laisse songeur…

Une trouvaille heureuse. Tombé par hasard, chez un bouquiniste des quais sur une petite merveille. L »Anthologie de la poésie française des origines jusqu’au XVIII ème siècle », d’Anatole France (Ed. Alphonse Lemerre, 1917, s’il vous plaît…) ; un petit bijou entre les mains pour une poignée d’euros. Dans les choix de France, toujours un peu vite renvoyé à son académisme, on y retrouve ceux qu’on connaît bien ou un peu, de Marie de France à La Fontaine, en passant même par le grand Malherbe, et Voltaire -dont les versifications lisses ne sont pas la part la plus scintillante de son œuvre, alors là, le « top » de l’académisme – et ceux qu’on connaît moins ou pas du tout, ce qui est toujours le cadeau des anthologies. Le Houx ? Basselain ? Maucroix? Roucher ? Les poètes des XVIIe et XVIIIe siècles ne font pas l’âge d’or de la poésie française, mais l’écriture en est toujours de goût et de finesse, à défaut d’inspiration.

J’aime bien cela :

Le zéphyr qui des bois agitait la ramure
Tout à coup de son vol assoupit le murmure ;
Il se tait : avec lui les airs semblent dormir ;
Le feuillage du tremble a cessé de frémir.

(« La pluie au printemps » Jean-Antoine Roucher 1745-1794)

Et on entend déjà presque Lamartine dans cette mélancolie :

Au banquet de la vie, infortuné convive, 
J’apparus un jour et je meurs ;
Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j’arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs !

(« Adieux à la vie », Gilbert, 1751-1780)

On notera que ces deux-là n’ont pas vécu vieux…C’est ciselé, élégant, mais pas très allumé : l’essentiel de cette poésie reste connotée ancienne, et nous murmure moins à l’oreille que celle des deux derniers siècles. Mais on y trouve toujours ce que la poésie donne : de la grâce.

 De la « route » à « poésies Gallimard » : Kerouac. Curieuse lecture poétique ces derniers jours, à l’antithèse des principes du précédent paragraphe. Je ne connaissais pas Jack Kerouac poète. Concernant « Sur la route » j’avoue que je n’ai jamais réussi à aller jusqu’au bout; l’ouvrage, un des plus surestimés du siècle dernier, m’est tombé des mains. La collection « Poésies » de Gallimard fait honneur à cet illustre routard d’une édition, donc, pourquoi pas… Poésie nouvelle…C’est très secoué, les mots s’agitent et ça se fige dans un curieux kaléidoscope, souvent amusant. Des références orientales, bouddhiques, des images de l’Amérique profonde…Une invention verbale tout azimut stimule le texte dans tous les sens. On lit donc des tours énigmatiques assez réussis :

De la poussière parfaite dans le temps
Le Temps
Le temps est poussière
Le temps n’est pas poussière
Le temps est déjà arrivé immémorialement
La perle des dieux
Les agoniseurs d’Ouest
La balle dans la bulle 

      Néant

Des fulgurances assez lumineuses :

Si solide notre ignorance
Si vide notre substance
Et notre conscience n’arrête pas de saigner
Et la déchéance est lente – les enfants grandissent

 Mais aussi, (plus que) parfois, du grand n’importe quoi :

Tu veux du café
Avant que je sois trop bien 
Non hennissement
du Mulet céleste
Belle Tasse propre

Mert O Viklu

Nut- unpanu

   Oui Monsieur

        Mert

               OOO Gibson

 On aura une pensée émue pour le pauvre traducteur…Mais dans tous les cas de figure, c’est une écriture jaillissante qui a le mérite d’être rare : c’est à connaître, même si aucun Panthéon n’en sera ébranlé.

Et enfin, qu’est ce qui arrive encore sur les «Cahiers» dans les semaines qui viennent ? Quelques chroniques, à-propos d’un auteur japonais absolument déjanté, mais aussi, en sortant un peu de mes sentiers battus d’auteurs peu connus, pour vous livrer un plaisir de lecture récents : monumentale est Doris Lessing, et je vous parlerai du « Carnet d’or », LE roman féministe du siècle dernier, mais pas que (féministe).

Des contes courts, également. Je dois avouer avoir plutôt négligé les « nouvelles et contes » ces derniers mois. Assez peu à l’aise avec une certaine prose narrative, le format court me convient mieux. J’ajouterai cependant quelques contributions sur cette rubrique, que j’ai dénommée, sans trop pouvoir gloser à cet effet, « légendes urbaines » puisqu’il s’agit de sujets (pour peu qu’un conte ait un « sujet ») très contemporains. Un récent atelier d’écriture m’a permis de produire ces quelques inventions décalées. Je vous livrerai ça.

J’ai aussi encore des « caractères » en arrivance, et on dépassera donc le centième d’ailleurs ; mais de cette quantité, O lecteur, tu n’en as cure… J’ai eu l’occasion de pêcher encore récemment, quelques travers dans les usages de mes contemporains, et cela a titillé le clavier…Il faut dire que les séquences électorales françaises y sont propices. Et la vanité des carrières et des ambitions fleurit toujours la quotidien; ça stimule l’attention du guetteur…

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment qu’écrire un peu et lire beaucoup rendent meilleurs. Cadeau d’Alceste: cette citation pour finir notre bulletin, qui boucle notre thème « vanité »:

« Aucune blessure n’est unique. Rien d’humain n’est unique. Tout devient affreusement commun dans le temps. Voilà l’impasse ; Mais c’est dans cette impasse que la littérature a une chance de naître »

Mohammed Mbougar Sarr, in « La plus secrète mémoire des hommes »

En attendant, Les Cahiers d’Alceste, c’est par ici et ci-dessous…

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Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

hervehulin@orange.fr

 

 

A bientôt…

 

Lettre N°9. année nouvelle, pertinence des titres, poésie britannique, nature morte et démocratie…

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Et voici, encore une qui arrive, ou qui s’en va, selon l’humeur qu’on en aura. L’idée même du Nouvel an porte une charge poétique : cette manière si sensible de vivre le changement d’année – qui en soi, d’un point de vue physique ou intellectuel n’est rien- trace une constante dans les relations que notre humanité élémentaire entretient avec le cours irréversible de la vie. Au Japon, le nouvel an conserve toute la force émotionnelle de la mort du passé et du commencement d’une vie à venir. Il est à lui seul une des cinq saisons poétiques, la plus fugitive.

Rutilance de l’aube.                                         Il se lève le printemps
La superbe des eaux.                                     Du vieil hiver au nouvel an
Brumes de l’an nouveau.                              Cinq mesures de riz.

                   (Onitsura)                                                            (Bashô)

Souhaitons-nous en 2023 rien qu’un léger, très léger, ralentissement de ce temps qui nous est imparti.

Du titre sur les textes courts. Il est parfois plus facile d’écrire un texte bref (genre… au hasard,  » caractères ») que d’en fixer un titre. Pourquoi titrer chacun des « Caractères ? » Il faut bien admettre que ça n’apporte pas grand-chose à la portée des mots, si ce n’est une sorte de mercatique facile. Cela fait moderne, plus en tout cas qu’un emprunt de chiffre romain. Un titre a vocation à appeler un je ne sais quoi chez le lecteur, dont l’esprit un peu errant va palpiter trois secondes avant de décider si on lit ou pas. Pour parler contemporain, assurer une connexion. L’inspiration de mes titres, à la relecture, ne semble pas toujours pertinente. Donc, je mettrai dorénavant moins de titre, et plus de chiffres romains. Mieux vaut un bon chiffre qu’un terne titre…

Poésie. « L’île rebelle ». Une curiosité amusante chez « Poésie Gallimard » que cette anthologie de poésie britannique contemporaine (« au tournant du XXIè siècle » nous dit la couverture). Notez bien le « britannique « et non « anglaise« . Et surtitre édifiant : « L’île rebelle »…Même si ce peuple a pour travers, au cours des siècles, semble-t-il de notre côté de la manche, d’avoir eu comme ressort de son existence de nuire au nôtre depuis quinze siècles, on peut lui reconnaître des qualités- notamment le fait d’avoir dix fois plus d’ornithologues licenciés que de chasseurs, mais ceci nous éloigne du sujet- et aussi quelques-unes dédiées à la poésie.

Au cœur du froid
S’enfonce la ligne que tu traces
A la surface de l’étang
La nuit est son propre climat
Le silence gante
Glace et roseaux

Patineuse (Fiona Simpson).

Il y a dans la langue anglaise une plasticité qui, facilitant l’invention et l’association des termes, font du trope un jeu d’enfant. C’est une belle langue (l’anthologie en question est bilingue), si elle est bien prononcée, aisée pour la poésie. Autant que l’italien, moins que le français ou le latin. Mais elle a cette particularité, quand bien même on la comprend très peu – c’est mon cas- que sa fluidité induit une partie du sens. Elle se prête au vers libre, qui domine dans cette anthologie. De là à dire qu’elle est par essence rebelle : non. Mais c’est peut-être ce que donne le mieux l’esprit de ces poèmes, pour la plupart de facture assez longue : un conformisme enraciné, mais toujours en agacement contre lui-même. On s’y promène comme dans la campagne anglaise, au gré du discours des cinquante auteurs des vingt premières années de ce siècle. C’est parfois un peu froid, comme nonchalant, mais avec une odeur d’herbe mouillé, rarement expansif, souvent didactique et très descriptif. Britannique. Belle alchimie de poésie blanche. Sacrée Ilion…

Il s’avère que ce que l’on pensait être l’âme
Est principalement un son
Non pas chanson mais souvenir d’oiseaux
Ou eau courante

La Brière
(John Burnside)

Poésie encore : cet opuscule raffiné de Sasha Thomas, « Eaux et Carêmes » aux éditions du Cygne. Trouvailles verbales tout en couleurs pastel, aux tours parfois cruels, serrés dans une écriture aux fulgurances inspirées. A lire : ça vous prendra moins d’une heure, mais vous imprégnera bien longtemps.

Chut !
Écoute l’écho de ton pas danser sur l’onde
Cime éperdue où
 Je m’affaissais
Tandis que révolue déjà
Tu la chantais encore
Serre-moi enfant de la promesse !
Au creux de ta main, au clair de ton sein,
Je verrai-bien-

                                      (Corde patrem)

 

Belle invention ! et autrement, ça aussi, c’est pas mal :

Danse mon amour ! Les étoiles ont coulé, les mains tachées de leur or, je vends ton sel et je négocie ta courbe
Un million le rouge baiser, cent millions l’accroche cœur de (Notre éternité)

(Ordupgaard)

Opinions de lecture. En collaboration avec un ami de très longue date, je vous gratifie dans quelques temps (jours, semaines ? ça prendra le temps qu’il faudra) d’une compilation des livres que je n’oublierais jamais. Soit une Nième liste des « cent (ou deux cents) livres à lire avant de vieillir, de mourir, d’entrer dans les ordres, » ce que vous voulez…C’est assez commun, je le concède, mais toujours stimulant. D’abord, ce genre d’exercice permet de se reconnaître soi-même dans une forêt de lectures à travers les années ; à condition d’avoir atteint une bonne ancienneté de lecteur, évidemment ; on n’imagine pas un freluquet de trente ans édicter aux autres : « voilà les 100 livres à lire avant de mourir, et prenez-en de la graine, bandes de sagouins » etc.). Ensuite, c’est l’occasion de partager cet acquis, et ce que ces lectures ont laissé de sable fin dans le flot qui passe. Je vous produirai donc une liste – longue- des livres qui m’ont imprimé quelque chose et laissé l’envie d’en infuser le souvenir.  Et enfin, cette pratique active toujours chez l’autre le besoin de se positionner, et revoir ou perfectionner sa propre pratique de la lecture (« tiens, moi je n’aurais pas mis ça, mais plutôt ceci. Et pourquoi d’ailleurs etc »)

A l’heure des réseaux si peu sociaux, et des phrases de huit mots maxi qui font la norme, posons-nous un peu, comme dans un jardinet discret, sur le plaisir d’être encore lecteur.

Des choses et toutes sortes d’elles-mêmes. N’oubliez pas d’aller au Louvre vous ravir de la très belle exposition sur « Les choses. une histoire de la nature morte« . La vie intime des objets dans l’aura esthétique que nous leur confions y est bien plus visible que leur nature, qui n’est souvent pas morte du tout. Un trait de lumière, une couleur de rappel, une ligne semi-visible qu’on avait d’abord ignorée, et voilà tout le trésor qui fait de la contemplation des choses un moment d’émotion. C’est jusqu’au 23 janvier, ne traînez donc pas.

Déclin de la démocratie. Pour finir, sur une note assombrie, cette chronique récente (« Le Monde », 21 décembre) de Gille Paris.  « Le nombre de démocraties libérales, estimé à seulement 34, n’a jamais été aussi bas depuis 1995 ».

Il est vrai que dans une part importante de l’opinion, la démocratie devient suspecte : trop conformiste, trop bien-pensante, trop lisse. Trop habituelle, peut-être (?). Ennuyeuse, carrément ? Dites dans un dîner en ville que vous êtes avant tout démocrate, vous passerez pour archaïque. Faites le test, vous verrez. Combien de temps, encore, avant la dictature ?  car ne nous leurrons pas : entre démocratie et dictature, il n’y a rien. Faites attention, jeunes gens…

Mais sourions au temps qui vient. Engageons donc cette nouvelle année le cœur aussi haut que possible, et concluons donc cette neuvième lettre avec un trait d’intelligence claire :

« Je ne prendrai pas de calendrier cette année, car j’ai été très mécontent de celui de l’année dernière »

( Alphonse Allais.)

Imparable, cher Alphonse.

Bonne année à tous les lecteurs d' »Alceste« , présents ou encore à venir. Ne désespérons pas du genre humain (je sais, ça devient dur) et vive la littérature (amateure)

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Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires… Vous les méritez bien…

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 » Les cahiers d’Alceste ». Lettre d’information N°8. 

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« Le tout est de tout dire, et je manque de mots
Et je manque de temps, et je manque d’audace
Je rêve et je dévide au hasard mes images
J’ai mal vécu, et mal appris à parler clair.»

Paul Éluard, « Pouvoir tout dire » (1951).

Tout dire, c’est donc cela, la tentation du poème? Paul Éluard publie « Pouvoir tout dire » en 1951 ; c’est un de ses derniers recueil (mais il ne le sait pas, évidemment) car il meurt l’année suivante ; sa thématique est préoccupée par l’incapacité du poète à dire ce qui doit l’être : tout ce qui est à dire, tout ce qui est à écrire, tout ce qui est à transmettre, sera toujours dépassé par l’immensité du monde qui submerge la limitation du langage.

Méditons cela, nous autres, amateurs.

 

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Du renoncement : carrières et caractères. On observe partout le goût dévorant de l’ambition. Qu’est-ce qui pousse certains de nos semblables, comme soudain poussé par une énergie prodigieuse, dans cette obsession de ne jamais se contenter de leur position sociale ?

Qu’est-ce qui les pousse à renoncer à la douceur de vivre, pour aller en avant, ou au-dessus, ou plus loin, au détriment de l’autre ? L’autre, l’humble, celui qui ne sait ou ne veut saisir ce qui passe ? Ou reste indifférent à toute exposition, au soleil artificiel de l’ascension ?  On objectera qu’il faut que des gens avancent pour qu’une société ne recule pas. Constat peu contestable. Mais tous ceux qui se seront élevés l’auront fait en acquittant un prix : celui de renoncer aux choses simples et au temps de ne rien faire. Comme la montgolfière qui lâche son lest pour monter par-dessus les toits et les collines, ils auront lâché une part d’intimité, de conviction, de liberté ; renoncé à une part de modestie, aux amitiés anciennes, à des moments de sagesse.

Loin de libérer, cette élévation attise encore la frustration de ne pas être plus haut. Ainsi le naufragé qui se retrouve ravagé de sel pour avoir cru se désaltérer à l’eau de mer. Celui qui obtient enfin la fonction tant désirée ne sera jamais repu de ses honneurs ; sitôt perché, il est saisi du vertige de devoir rester là, et tourmenté de la peur de ne plus avancer. Et celui qui n’a pas obtenu cette même fonction pour l’avoir autant désiré, est tourmenté à son tour par sa déception, puis, malheureux, deviendra malveillant envers ceux qui continue de s’élever sans lui.

La carrière est une maladie étrange, mais qui a le mérite de bien nourrir mes « caractères ». Vivre, en fonction des autres, exige toujours une forme de renoncement. Renoncer à s’élever, pour mieux absorber le temps qui passe et s’accélère.

Vous seront livrées bientôt et encore, dans les prochaines semaines, des moralités au revers des ambitions.

Du chiffre 7 à travers Gustav Mahler. C’est un drôle de chiffre, le 7, qui suscite toutes les fantaisies et attise l’envie de mystère. Certains y voient une magie intérieure, d’autres une malédiction. Le 7 représente la maîtrise de l’esprit sur la matière et du spirituel sur le matériel. Il influence la réflexion, l’analyse et la vie intérieure.

Dans la salle de la Philharmonie (quelle salle !) il y a quelques semaines,  chantait la septième symphonie de Mahler, éclairée par la Philharmonie Tchèque, au son cristallin, qui a créé l’œuvre, sous la direction de Mahler lui-même en 1908. Cette septième n’eut alors aucun succès – malédiction du chiffre ? Elle reste encore, des dix, la moins jouée en concert, trop ardue pour les instruments, une cohésion difficile à trouver, et, pour l’éloigner encore du public, l’absence d’un adagio langoureux qui fait la marque de l’univers mahlérien pour les profanes. Mais avec pourtant plus de 100 références discographiques. Dans cet univers sonore sombre, c’est la seule des dix qui comprend un mouvement, le dernier, authentiquement joyeux de bout en bout.

Le « 7 » est aussi supposé porter bonheur car c’est un chiffre sacré dans de nombreuses religions. Dans la Bible, Dieu a créé le monde en sept jours. Les pèlerins musulmans tournent sept fois autour de la Kaaba, le grand cube noir de La Mecque. Et selon les hindous, le corps a sept sources d’énergie appelées les chakras. Les sept branches de la ménorah (le chandelier sacré) et les sept jours de la Genèse; le sacré, la lumière, l’illumination, la mystique. Il aura sans doute un peu porté bonheur à Mahler, sitôt qu’il fut frappé par ses « trois coups du destin » qui ont fait basculé sa vie. La gloire, certes, après sa mort.

C’est promis, quand les « Cahiers » auront 7 ans, on fera quelque chose de spécial. Mais pour l’instant, ils en ont deux. Les plus attentifs auront remarqué un changement d’apparence pour marquer ce nouvel âge.