I

Comme un essaim noyé par un soleil pluvieux
Le silence esquisse sa blanche parenthèse
Et soudain rayonnant quand le jour se fait vieux
Se fond dans la nuée des heures qui s’apaisent
Tandis que leurs reflets renaissent sous les yeux
Le silence esquisse sa blanche parenthèse
– L’âme du ciel est évasive-

O volupté simple dans le fil droit des âges
Vivre en vain veut s’éteindre où la flamme s’agite
Les dormeurs si obscurs derrière leurs visages
Effacent les chaînes de l’envie éconduite
Et des passions perdues l’inlassable poursuite
O volupté simple dans le fil droit des âges
Autant d’heures inoffensives-

Tout entier absorbés dans ces embrassements
Les dormeurs dérivent sous un vent libéré
Leur voilure invisible a déjà oublié
Du jour et son effort les rayons harassants
L’âme au creux de l’ombre va se réfugier
Comme un feu absorbé dans ses embrassements
 – Oiseau voleur es-tu en veille ?-

Seul le cœur éclaire la raison qui s’endort
Dans l’abîme entrevu aux distances majeures
Où tant d’estuaires s’ouvrent dans un flot d’or
Mais si le miracle vibre ainsi dans les corps
Où donc de nos âmes nous attend la demeure ?
Dans l’abîme entrevu aux distances majeures
– Les peaux nues baignées de vermeille-

Comme neige un sommeil gris, l’abîme se fond
Sous la ligne d’argent d’un soir mélancolique.
Nous dormons. La vie passe et enfin, nous dormons…
La nuit délacera tous ces masques tragiques
Et nous redeviendrons de pâles embryons,
Sous la ligne d’argent d’un soir mélancolique.
 – L’humain est vivant cimetière –

Si la nuit aveugle parle aux astres éteints
Ruinant de l’éveil le cycle et le carcan
C’est tout un univers éploré qui se plaint
Souffle et couleurs mêlés dans l’eau d’un même instinct
Le temps se transfigure en capricieux volcans
Ruinant de l’éveil le cycle et le carcan
-La lune est fidèle ouvrière ! –

Comme un pétale enfui d’un halo de senteurs
Colore ce versant ombragé de la vie
Une vapeur bleutée de lave inassouvie
Embrase la clarté tranquille des dormeurs
Jusqu’au rivage oblique où danse un soir de pluie
Comme un pétale enfui d’un halo de senteurs
-Battement d’ailes Argent d’étoile ! –

Mais alors que le cœur ne bat plus qu’indistinct
L’alcool pourpre du corps s’exhale en cent matins
Nous dormons Les ailes de l’insomnie balayent       
Les amers du cerveau où la raison faseye
L’aube est ténébreuse dans ses draps de satin :
L’alcool pourpre du corps s’exhale en cent matins
– Ombre et soleil, sauvages voiles ! –

II

Hypnos enfant survole et surligne l’espace
Son regard ne dort pas il ne s’endort jamais
Son cercle halluciné dans la nuit qui se lasse
S’épuise à se chercher Qui pourrait l’en blâmer ?
Le dieu trismégiste sous ses paupières fauves
Incendie nos songes dans ses tièdes alcôves
 – La pluie passe sur les gisants –

Les dormeurs naviguent, hautains et voyageurs,
Accostant leur royaume aux mouvantes frontières.
Là où le seuil a soif, où faiblit la lumière,
Résonne en murmurant un tourbillon d’orages
Que n’apaiseront ni le sommeil ni les âges.
Mais où dort donc le pays des dormeurs ?
 – Combien d’anges et d’océans ? –

III

Des hommes sans regard l’étincelle diaphane
Vacille et se change en forêt
Hiver secret des mots Neige cachée des sens

Dans ce vertige dont ne cesse la transe
Un rayon émane
Un vieux et gros soleil entend remuer sa panse
Comme un cerveau hanté d’un sablier qui dure
Loin du désert et des tortures

La surface appuyée succombe
Médiane en transparence
Et dans un renversement vertical
Devient nuit soudaine

Juste sous l’angle abstrait des paupières closes
Se régénère en vain l’invention de l’éveil
Dans le signal tremblant d’un frisson de roses
Des mots forgés d’argent se teinte de vermeil
Mais aucun son ne porte Au seuil voilé des limbes
Le dieu blanc passe et va, insomniaque, et triomphe
Versant dans l’abstraction des abîmes qui gonflent
L’élixir résurrectionnel du sommeil

A ce point du flux et de l’espace
(déroulement de l’invisible)
L’opacité se retourne
Et redevient surface

L’optimiste sommeil, problème inconsistant
Noie ses flux et son chant O berceuse pareille
Aux zigzags empourprés de l’hésitante abeille

Brulant son sillage d’orient à occident
Un triangle inconscient stabilise la voie
Des champs de chimères tourmentées d’oiseaux pâles

L’horizon alourdi de tant de nuits vidées
Transgresse le poli affolé du miroir
Le sommeil s’est enfui au pays des dormeurs

Dans le cercle d’un sort jamais rompu il sème
L’inintelligible halo de son pollen
Chargée de fleurs vieilles et de lustres fantômes
L’insomnie se retourne enflée de laudanum

IV

Car chaque fois que nous dormons
De la mort le sillon inachevé appelle
Cet élan alangui d’une pâme éternelle
Comme un ultime éclair au bout de l’abdomen
L’arc-en-ciel et la flamme éblouie du noème
Et nous – les initiés, les éveillés – vivons !

 

 

©hervéhulin2023