Les cahiers d’Alceste. Le blog littéraire d’Hervé Hulin. Lettre d’information N°17.
« Tous ces défauts humains nous donnent dans la vie
Les moyens d’exercer notre philosophie »
(Molière – Le Misanthrope, V,1)
Dans cette dix-septième livraison, de la poésie et de la poésie, encore des retours du Japon; le surréalisme, qui survit à bien des laideurs et célèbres ses cents ans comme un vrai jeune homme. Apprendre à vivre ne cesse jamais, c’est un métier.
« Le manque de poésie est une forme de misère qui semble moins terrible que la pauvreté, mais conduit à la mort de l’esprit. L’absence de poésie nous tue : nous étouffons dans un monde qui la nie »
Yannick Haenel. In Charlie hebdo, N° 1677, 11 septembre 2024.
Comme l’idée d’un retour…Quelque chose revient, et c’est l’apparence d’un changement léger, modérément nouveau et pourtant familier. La lumière est un peu différente, emprunte d’une idée d’automne et d’une sensation de printemps confondues; les feuillages dans les rues, et le ciel même au-dessus de l’après-midi parisien ne sont plus les mêmes. Le temps est venu des figues et du raisin… Septembre est là, avec sa lumière doucereuse, sa dominante vert pâle, lui le plus doux et mélancolique des mois de l’année.
Le (difficile) métier de vivre. Cesare Pavese, assigné à résidence par le fascisme mussolinien, écrit un journal fragmenté de considérations très intérieures.
Il pense, en écrivant loin du monde et de ses sociétés, à ce que peut être parfois la vie. Pas un seul paragraphe de considération politique, ou d’honnête révolte, malgré sa situation. « Quand un homme est dans l’état où je suis, il ne lui reste qu’à faire son examen de conscience ».
La vie, la solitude, la poésie et sa discipline. Exilé, sans personne pour le visiter, Pavese médite sur l’écriture, beaucoup, et sur lui-même, déclinant un propos lancinant, qui parfois, met mal à l’aise – les femmes, la pente suicidaire, l’éloge de la souffrance- et d’autres fois, nous ravit par la pertinence de son verbe. On ne sait si ainsi sorti de la société et ses vacarmes, l’esprit est plus habile à écrire. Peut-être n’y a-t-il pas d’écriture utile sans solitude. Là ou Pavese est le plus plaisant, c’est quand il nous parle de ses poèmes.
« Tout se résoudra en une illumination provoquée par les diverses pensées et par les sensations entrelacées ».
Mais son équation, qui sous-tend tout son propos est simple: Poésie+ Vivre= Métier. C’est un métier que d’exister. Il fallait bien le formuler ainsi.
Et enfin ceci, que j’aime beaucoup : « L’unique joie au monde, c’est de commencer. Il est beau de vivre parce que vivre, c’est commencer, toujours, à chaque instant ».
Malgré cette pensée positive, Cesare Pavese se suicide au mois d’août 1950, dans une chambre d’hôtel à Turin, laissant sur sa table un mot : « Je pardonne à tout le monde et à tout le monde, je demande pardon. Ça va ? Ne faites pas trop de commérages « .
Effectivement, vivre est un métier et il n’est peut-être pas donnée à tout le monde – regardons la folie de ce monde- de le mener à bien.
Nakahara Chuya. Comme une idée de Rimbaud. Nakahara est souvent surnommé « le Rimbaud japonais ». On sera toujours prudent avec ces sortes de notoriété, mais il y a bien quelque chose de notre grand voleur de feu dans cette destinée. Pas seulement parce que lui aussi n’a pas vécu très vieux – il meurt à trente ans. Traducteur pionnier de Rimbaud en japonais, Nakahara s’éloigne très vite dans ses poèmes des formes traditionnelles et codées de la poésie japonaise, des miniatures, des mots de saisons et des suggestions, pour s’approcher de son modèle, et emprunter ses accents de révolte.
Quand gâté par les étoiles, je m’enorgueillirai contre le soleil, puissent les hommes se reconnaître choses mortes ! moi, je vous maudis.
Ange du pôle.
On perçoit aussi le rythme des derniers poèmes (en vers) rimbaldiens, L’éternité ou Chanson de la plus haute tour dans ce petit quatrain, qui garde des tons de haikus.
De mémoire
Déjà plus
Marchant par les rues
Semblant de vertiges
Léthargie.
Parfois, des intonations de Verlaine, son autre modèle.
Et maintenant au sein de la nuit d’hiver noire
Quand tombe une pluie torrentielle
Le cordon de l’obi de ma mère aussi
Coule dans l’eau de pluie, détruit
La tendresse des hommes, innombrables,
N’était-ce enfin que la couleur des mandarines ?
Nuit de pluie d’hiver.
Et enfin, ça, c’est triste, mais magnifique.
Ainsi les hommes seul à seul
Sentent avec leur cœur et s’ils se regardent
Se sourient gentiment mais c’est tout
Et ainsi donc s’en va leur vie
Cesse la pluie, souffle le vent
Les nuages passent, cachent la lune
Messieurs dames ce soir est un soir de printemps
Très tiède souffle le vent
Émotion d’un soir de printemps.
Donc, Nakahara, sans tarder: son oeuvre n’est pas très importante, quelques dizaines de poèmes, raison de plus pour l’emporter partout.
Les jardins au Japon. Il y a deux versants distinct dans l’idée du jardin au Japon. Des jardins qui sont intouchables, conçus pour le regard et la distance, et dans lesquels jamais on ne marche ; parfois, on doit les contempler derrière une vitre : c’est un exercice de distanciation. Et des jardins conçus pour que le corps s’y déplace, entraînant dans ses pas le regard sous différents angles, tandis que les agencements se recomposent: parcours d’orientation. Les deux étonnantes formules font unité dans la découverte, et l’enchantement qui s’en exhale. Malgré que ce ne soit qu’ouvrage de l’homme, la nature y est dominante de l’esprit. Celui-ci s’agenouille, et s’apaise.
Exposition: centenaire du surréalisme. Au centre Pompidou, allons voir – vite, avant qu’il ne ferme pour des années – l’exposition du centenaire du surréalisme. Cent ans, déjà ? malgré une scénographie médiocre, qui complique la contemplation plus qu’elle ne la sert, un beau et juste panorama de cette étrange doctrine esthétique qui continue de chuchoter ses vérités renversées. Des œuvres connues et d’autres à découvrir. Acheté à la boutique un petit volume (Poésie NRF) de Roger Gilbert-Lecomte, que je ne connaissais pas. « La Vie l’amour la Mort le Vide et le Vent ». Notez les majuscules. Encore un qui n’est pas mort vieux – décidément, « l’hécatombe des rossignols » que chante Aragon, a du vrai chez les poètes qui ont fâcheuse tendance à se consumer très vite. Et bien, Gilbert-Lecomte, tout surréaliste qu’il fut, a produit entre poésie fulgurantes, des haikais très authentiques.
L’aube- chante l’alouette
Le ciel est un miroir d’argent
Qui reflète des violettes.
Mais on trouve aussi dans ce petit volume, cette tranchante vérité, qui fouille très loin :
« Pourquoi écrivons-nous ? Nous ne voulons pas écrire, nous nous laissons écrire »
(Prose du grand jeu).
Le deuil emprunte au principe d’une rivière. Il y a une source, puis un flot, puis un estuaire ; et un sens, qui ne revient pas. Dans cette lenteur, tout se lisse peu à peu. Même le regret de l’être en allé, laisse un sillage, avec une impression d’épice au souvenir qui redevient vivant. On ne disparaît jamais vraiment tant qu’on peuple la mémoire de ceux qui restent.
Et pour rester sur la douceur de septembre, ce mois si doux qui passe si vite, ce rayon tendre de Claude Roy :
Je me tresse un bonheur comme un panier de jonc
-et j’y mets un grillon, une nuit de septembre
-le ciel bien lessivé par un matin tout blond
Une fille endormie qui se mélange à l’ombre.
Claude ROY – A regret.
Bientôt dans « Les cahiers d’Alceste » (enfin peut-être). D’ici la dix-huitième et si je ne suis pas plus paresseux qu’aujourd’hui, vous livrerai une chronique pour vous donner l’envie de littérature africaine, et trois nouveaux caractères sur le thème (à peu près) de l’humilité. Et des choses nouvelles, que je n’ai pas idée aujourd’hui, de vous les écrire.
Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.
En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous. A bientôt, si on nous le permet encore.
https://www.lescahiersdalceste.fr/
(ceci est le lien vers le blog, pour rappel)
Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…hervehulin6@gmail.com