Lettre d’information N°11.  Mai 2023.

Les Cahiers d’Alceste.  Lettre d’information N°11.  Mai 2023.

 

Le blog de littérature amateure, contemplative, et misanthropique d’Hervé Hulin.

« La vie n’est jamais qu’un éclair qui ne s’immobilise que pour laisser entrevoir, c’est son vœu peut-être, de grands pays en sommeil étagés de toutes parts autour de nous dans la nuit »

Yves Bonnefoy, « L’écharpe rouge ».

Toujours en lecture de Bonnefoy, que j’évoquais dans la dernière lettre. J’y trouve bien des perfections, qui rendent humble. C’est curieux, Bonnefoy, ombragé et limpide en même temps. Comme un soir de printemps. 

Dans cette onzième lettre (déjà ?!) :  le florilège des livres lus, et les enjeux vraiment amusants de l’exercice, on continue… Du côté de Guermantes au théâtre, et c’est réussi…Un monde vidé de ses oiseaux demain…Et ces écrivains qui meurent et nous laissent seuls, Philippe Sollers…

 

Du choix des livres. Décliner les livres qu’on a aimés produit un effet de magie mineure : les partager avec ceux qu’on n’a pas lus, et qu’on se retrouve soudain avoir envie de lire.

Je vous invite à contempler – c’est le terme qui me convient- ma rubrique « une bonne centaine de livres etc » que je vous délivre par épisode. L’essentiel est de rester heureux, ou le devenir si on ne l’est pas encore, dans la lecture. Au compteur WordPress, le nombre de « vues » est insuffisant, me semble-t-il, pour diffuser du bonheur de lecture à hauteur de la grisaille de notre temps – et des têtes accablées que je vois dans le métro… Je promets de belles rencontres…Qui connaît Nicomaque Flavien, et son amusante imposture ? Apulée, et les frasques sexuelles de son âne ? Je ne suis pas sûr que beaucoup d’entre vous connaissent Hector Savinien, dit Cyrano (from Bergerac…) et ses fabuleux voyages dans la Lune. Et s’il ne faut retenir (autodiscipline exige) qu’une seule pièce de Molière, laquelle, selon vous ? Bon, je l’admets, tout en m’amusant, c’est laborieux ; mon florilège (chronologique) n’a pas encore dépassé l’an 1800.Et le travail de sélection s’annonce difficile pour les siècles (d’or) qui suivent. D’autant plus que j’ai décidé d’inclure le XXIe, car les livres n’ont pas dit leur dernier mot.

Ce qui est captivant, avec ce genre d’exercice, c’est que tout de suite, l’échange décolle : pour tel livre cité, on me dira « et pourquoi pas celui-ci ? As-tu pensé à celui-là ? Je ne vois pas cet autre, et pourquoi donc ? Et comment est-ce possible de ne pas inscrire cet incontournable … etc etc ». Alors, on répond, on discute, car chacun a été marqué (au sens physique) par la mémoire des livres lus. Cet accès au patrimoine de lecture de l’autre est complètement énergisant…Et ainsi, l’esprit passe de livre en livre.

On parlera sans doute d’un souci d’érudition. Eh bien non. L’érudition, ce n’est pas ça. N’y voyez que de la jubilation. C’est revendiqué, notre époque fiévreuse en est si pauvre. Car tout cela ne procède que d’un esprit joueur.

Et puis, il faut bien le dire : quand les sept chapitres de mon florilège auront été mis en ligne, il y aura bien plus qu’une centaine de livres. Heureusement…

« Du côté de Guermantes » à la comédie française ». Ils sont très fort, au Français…Proust sur scène, rien que ça. Réussite complète. La dernière représentation de ce bijou est passée. Le cinéma a toujours échoué face à « La recherche ». Le théâtre ici reprend sa supériorité, avec une étonnante facilité. Il réussit une connexion instantanée entre les caractères, qui nous amuse. Christophe Honoré a su tamiser la densité de l’univers proustien, pour en isoler à la surface, comme d’un nectar le sucre, les traits comiques. Plus quelques trouvailles anachroniques bien insérées, et voici deux heures trente de régal. Qui ne laissent qu’une envie, une fois le rideau tombé : lire ou relire, le sourire aux lèvres, et relire encore.

Un monde sans oiseau, il faut s’y préparer, ça vient vite… Regardons les vaquer, ces cigognes heureuses de l’Algarve ; elles ne se doutent de rien encore…

Les oiseaux disparaissent de nos campagnes à un rythme alarmant. Un tiers au moins de ce peuple immense a disparu depuis quinze ans. Environ vingt millions par an, soit huit cents millions depuis 1980…Une étude associée du CNRS et du Museum National d’Histoire naturelle établit ce triste constat, qui n’affole pas plus que cela. Il faudra bientôt vivre en ville pour pouvoir entendre le chant d’un oiseau. L’oiseau, c’est l’irruption d’un monde ensommeillé ailleurs, dans la vie urbaine soudain vivifiée. Illustration : il y a quelques jours, je suis saisi un matin, boulevard Richard Lenoir, du chant très sonore d’un oiseau, là-haut quelque part dans les arbres. Je m’arrête, j’écoute…Un rouge-gorge ? Mais l’arpège est un peu long. Quoi donc, alors ? Quand une dame âgée, très chenue, très digne, vient vers moi et me dit « une fauvette à tête noire, n’est-ce pas ? On l’entend, mais on la voit rarement…Elle est petite, mais chante fort ».Que deviendront ces passionnés, quand il n’y aura plus rien à écouter, que la rumeur des moteurs ?

Le vivant s’efface avec le temps, comme une fresque antique, peinte à l’eau il y a deux mille ans.

Un peu de poésie, comme d’habitude. 

Poésie ? J’ai bien aimé Rodney Saint-Éloi, poète Haïtien à l’écoute des peuples et des îles et des villes…ça foisonne et on y revient, soudain attaché…Parfois de simples touches, en aquarelle :

Espace d’ambre blessé

La clarté des radeaux

Les serments

Les tombeaux dans la nuit

 

Parfois très narratif :

Je reviens à la mer comme à la terre comme l’amitié des lilas comme qu’importe le hasard calfeutrant la digue des siècles, j’apprivoise en tes bras l’éternité de tous les bleus, et ciel et mer en moi debout semés.

Disparition de Philippe Sollers, que je n’avais jamais lu. C’est attristant, ces écrivains qui meurent, et ça surprend encore quand de nouveau, l’un d’entre eux, tombe. On s’est habitué avec les années, à des présences lointaines mais importantes, comme une forme d’abstraction. Un présent de l’indicatif s’impose quand on parle de ces esprits qui comptent. C’est la leçon des paysages (allez voir mon « Épilogue » sur Les cahiers, rubrique Poèmes, c’est la clé…). Soudain, une faille s’ouvre et c’est l’imparfait qui prend le relai, sans demander aucun avis. Le soudain disparu « était » ceci, « disait, écrivait » cela etc. Et surtout, il ne publiera plus rien…Tragique du vide…Du coup, saisi tout entier de mon retard, et perturbé par cette modification irréversible du paysage, j’entame la lecture des essais de Philippe Sollers. La guerre du goût… La mort pousse au livre, et le livre surmonte la mort… Troublant. J’entends encore Sollers dire, sur un plateau télé, au siècle dernier « la littérature, ce n’est qu’un art de vivre ». Ces chroniques, ces biographies sont pleines d’un d’esprit vivant.

Bientôt, sur les cahiers d’Alceste ? La suite des cent cinquante livres etc pour vivre plus heureux, bien sûr !  Les XIXe, XXE et (déjà) XXIe siècle. Je vous garde quelques poèmes plus courts – quoique mes Dormeurs encore inachevés, ça fait épais. Je vous reparlerai des oiseaux…Et bien sûr, des Caractères : je ne sais pas, vous, mais moi je ne me lasse pas…Je vous dois aussi mes opinions sur bien des écrivains africains.

« L’instant, rien d’autre, la notation pure et simple : une énorme liberté insoupçonnée est là »

                                       Philippe Sollers, in « Passion fixe ».

Ce serait l’idéal, en effet, de l’écrivain. Noter, rien d’autre, sans l’effet du travail à suivre, et l’ouvrage serait là, propice à la lecture. Comme la pluie passée qui dure pourtant, sur l’herbe et la pierre.

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure. Le 15 mai, 379 visiteurs se sont rués sur « Les cahiers d’Alceste ». Allez savoir pourquoi. Qu’ont-ils trouvé qu’ils ont aimé ? C’est la seule chose qui compte.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous.

Les Cahiers d’Alceste,

Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

hervehulin6@gmail.com

A bientôt.

©hervehulin