« Watership Down » (intraduisible, c’est un lieu) est un roman assez atypique, c’est le moins qu’on puisse dire. Cela ne suffit pas à donner envie de le lire, mais ce serait dommage de passer à côté.

C’est tout d’abord, un roman d’imagination qui emprunte au conte sa trajectoire narrative : très linéaire, mais avec des moments d’approfondissement où la trame ralentit pour creuser un sujet.  Toute une mythologie y est inventée, avec des éléments de langage, de mémoire sans référence ni équivalent ailleurs. Le merveilleux y affleure dans la plupart des situations, sans jamais s’imposer comme la norme du récit.

C’est aussi un roman de fondation.  Le destin de tout un peuple en fait la matière. Suite à la vision d’un de ses membres, sorte de chaman timide, une migration doit s’engager. La prophétie hallucinée annonce que la terre sur laquelle vit ce peuple depuis toujours est condamnée, pour une raison que ne comprend pas d’ailleurs la majorité de ses habitants. Une scission s’opère et seule une minorité entreprend le voyage, sous la conduite improvisée d’un individu que rien ne prédisposait à cette mission, sauf d’être le frère du » voyant ». A la recherche de cette terre promise, condition de la survie d’un peuple, nombreuses seront les épreuves.

C’est surtout, un roman politique, voire même, ontologique. Sous toute ces aventures et leurs détours tragiques, remontent à la surface des thèmes que nous connaissons bien dans la littérature depuis le siècle dernier. La relation de l’individu avec la nature, et la difficile conciliation de la société avec cette même nature dont l’essence ne se plie pas à la seule volonté de progrès. Le totalitarisme, auquel échappe de justesse notre colonie, et cette société d’un autre groupe, d’abord en apparence bienveillant, plein de belles intentions, qui se révèle vite fanatique sur son organisation sociale et ses lois : un leader implacable en commande toutes actions. Plus loin, un autre groupement, d’abord calme et accueillant avec nos héros, apparaît très vite étrangement placide, dangereux et manipulateur. Sans cesse, le collectif des personnages est confronté à des choix, et le gouffre guette la faute, de chaque côté du précipice.

C’est un roman épique, enfin. Il y a des divinités, complices ou contrariées, des forces qui transcendent la volonté, et des volontés qui dépassent des forces contraires. Il y a le mythe de la terre promise, qui se dérobe face à l’horizon quand les vaisseaux sont brûlés. On a pu comparer « Watership » à Tolkien (Silmarillion), ou Azimov (Fondations) ; certains y ont vu une allégorie du peuple juif, de la fuite d’Égypte et de la fondation d’Israël, ou encore la destinée tragique des indiens d’Amérique. D’autres même, ont pu interpréter ce grand texte, décidément à niveaux multiples, comme une représentation, avec vingt ans d’avance, de la sclérose du communisme et sa chute.

Richard Adams, pour sa part, a toujours rejeté toutes ces théories et revendiqué le fait de n’avoir écrit qu’une histoire, une sorte de roman pur qui se nourrit de sa propre fiction. Il y a beaucoup d’humanité à chaque épisode, de l’invention, de l’humour et de l’ingéniosité. Lecture addictive garantie, on vous le dit.

Mais il convient de préciser une chose – un détail ? – pour ceux qui se serait pris de l’envie de lire Watership Down. De toutes les individualités du roman, tous ces personnages et ces peuples qui en animent l’histoire, pas un n’est humain. Il ne s’agit que de lapins, d’un monde de lapins, et de la quête d’une terre pour y vivre tranquillement et en jouir en colonie de lapins. Les humains sont absents, (on entend des pas sur un pont, mais ce sera tout, sauf erreur). Ces lapins téméraires et batailleurs, valent bien des humains.

Lisez donc « Watership Down », vous y trouverez beaucoup de plaisir, et vous ne verrez jamais plus les lapins de la même façon.

 

 

 

Richard Adams. Watership down. Traduit de l’anglais 5royaume Uni) par Pierre Clinquart.       Edition Monsieur Toussaint Louverture, 544 pages.