Lettre d’information N°8. Novembre 2022.

” Les cahiers d’Alceste”. Lettre d’information N°8. 

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“Le tout est de tout dire, et je manque de mots
Et je manque de temps, et je manque d’audace
Je rêve et je dévide au hasard mes images
J’ai mal vécu, et mal appris à parler clair.»

Paul Éluard, « Pouvoir tout dire » (1951).

Tout dire, c’est donc cela, la tentation du poème? Paul Éluard publie « Pouvoir tout dire » en 1951 ; c’est un de ses derniers recueil (mais il ne le sait pas, évidemment) car il meurt l’année suivante ; sa thématique est préoccupée par l’incapacité du poète à dire ce qui doit l’être : tout ce qui est à dire, tout ce qui est à écrire, tout ce qui est à transmettre, sera toujours dépassé par l’immensité du monde qui submerge la limitation du langage.

Méditons cela, nous autres, amateurs.

 

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Du renoncement : carrières et caractères. On observe partout le goût dévorant de l’ambition. Qu’est-ce qui pousse certains de nos semblables, comme soudain poussé par une énergie prodigieuse, dans cette obsession de ne jamais se contenter de leur position sociale ?

Qu’est-ce qui les pousse à renoncer à la douceur de vivre, pour aller en avant, ou au-dessus, ou plus loin, au détriment de l’autre ? L’autre, l’humble, celui qui ne sait ou ne veut saisir ce qui passe ? Ou reste indifférent à toute exposition, au soleil artificiel de l’ascension ?  On objectera qu’il faut que des gens avancent pour qu’une société ne recule pas. Constat peu contestable. Mais tous ceux qui se seront élevés l’auront fait en acquittant un prix : celui de renoncer aux choses simples et au temps de ne rien faire. Comme la montgolfière qui lâche son lest pour monter par-dessus les toits et les collines, ils auront lâché une part d’intimité, de conviction, de liberté ; renoncé à une part de modestie, aux amitiés anciennes, à des moments de sagesse.

Loin de libérer, cette élévation attise encore la frustration de ne pas être plus haut. Ainsi le naufragé qui se retrouve ravagé de sel pour avoir cru se désaltérer à l’eau de mer. Celui qui obtient enfin la fonction tant désirée ne sera jamais repu de ses honneurs ; sitôt perché, il est saisi du vertige de devoir rester là, et tourmenté de la peur de ne plus avancer. Et celui qui n’a pas obtenu cette même fonction pour l’avoir autant désiré, est tourmenté à son tour par sa déception, puis, malheureux, deviendra malveillant envers ceux qui continue de s’élever sans lui.

La carrière est une maladie étrange, mais qui a le mérite de bien nourrir mes « caractères ». Vivre, en fonction des autres, exige toujours une forme de renoncement. Renoncer à s’élever, pour mieux absorber le temps qui passe et s’accélère.

Vous seront livrées bientôt et encore, dans les prochaines semaines, des moralités au revers des ambitions.

Du chiffre 7 à travers Gustav Mahler. C’est un drôle de chiffre, le 7, qui suscite toutes les fantaisies et attise l’envie de mystère. Certains y voient une magie intérieure, d’autres une malédiction. Le 7 représente la maîtrise de l’esprit sur la matière et du spirituel sur le matériel. Il influence la réflexion, l’analyse et la vie intérieure.

Dans la salle de la Philharmonie (quelle salle !) il y a quelques semaines,  chantait la septième symphonie de Mahler, éclairée par la Philharmonie Tchèque, au son cristallin, qui a créé l’œuvre, sous la direction de Mahler lui-même en 1908. Cette septième n’eut alors aucun succès – malédiction du chiffre ? Elle reste encore, des dix, la moins jouée en concert, trop ardue pour les instruments, une cohésion difficile à trouver, et, pour l’éloigner encore du public, l’absence d’un adagio langoureux qui fait la marque de l’univers mahlérien pour les profanes. Mais avec pourtant plus de 100 références discographiques. Dans cet univers sonore sombre, c’est la seule des dix qui comprend un mouvement, le dernier, authentiquement joyeux de bout en bout.

Le « 7 » est aussi supposé porter bonheur car c’est un chiffre sacré dans de nombreuses religions. Dans la Bible, Dieu a créé le monde en sept jours. Les pèlerins musulmans tournent sept fois autour de la Kaaba, le grand cube noir de La Mecque. Et selon les hindous, le corps a sept sources d’énergie appelées les chakras. Les sept branches de la ménorah (le chandelier sacré) et les sept jours de la Genèse; le sacré, la lumière, l’illumination, la mystique. Il aura sans doute un peu porté bonheur à Mahler, sitôt qu’il fut frappé par ses « trois coups du destin » qui ont fait basculé sa vie. La gloire, certes, après sa mort.

C’est promis, quand les « Cahiers » auront 7 ans, on fera quelque chose de spécial. Mais pour l’instant, ils en ont deux. Les plus attentifs auront remarqué un changement d’apparence pour marquer ce nouvel âge.

 

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D’Homère à nos jours, à travers Artwood. Dans la rubrique des “lectures” vous seront données prochainement des impressions d’un roman de Margaret Atwood autour de la mémoire de Pénélope. Dont j’avais déjà évoqué le rayonnant recueil « Circé » il y a quelques mois. Les mythes homériques ne finissent pas de nous étreindre derrière notre modernité de façade. Qu’y retrouvons-nous donc de si addictif qu’on y revient toujours ? Atwood, mais aussi, lue récemment, Louise Gluck (“Meadowland”) et Valerio Manfredi (“Odysseus”). Ou encore Madeleine Miller (“Circé”). Ou encore David Malouf (“Une rançon”). Ou encore le délirant “Ilium” de Dan Simmons. Je vous renvoie au magnifique « été avec Homère » de Sylvain Tesson. Que ceux qui ne l’ont pas encore lu cessent de perdre du temps et s’y attachent dès maintenant ; ils n’en auront pas regret. Et encore et encore. La raison en est si transparente. Tout nous vient de l’antiquité méditerranéenne, que nous écrivons et réécrivons encore, de ces drôles d’inventions d’où ramifient tant d’histoires des dieux et des hommes, et si peu du christianisme. La plus quotidienne de nos postures s’en nourrit. Une récente – et érudite- visite sur les sites de Pompei et Herculanum m’ont traduit d’u trait cette vérité. Comme le disait si joliment Apollinaire, “près du passé luisant demain est incolore”… Comme si Homère, dont on connaît si peu la personne, avait déjà, à lui seul, le premier, tout reconnu de la littérature. J’étais à Pompéi récemment: tout y est moderne.

Les poèmes. À la suite de mes réflexions précédentes (Cf. lettre n °6), il convient sans doute que je m’essaie à un format plus court, un verbe plus aérien. Je m’aperçois d’ailleurs qu’il m’arrive d’annoncer sur les « lettres » des publications que j’oublie ou néglige de produire. Donc, je vous envoie – c’est une promesse de poète amateur- la suite N°3 des poèmes courts, en forme de tankas ; ça vous changera des « Nuées » et autres statures monumentales. Et sans doute un peu de symbolisme, car la poésie courte s’y prête assez bien.

A propos de poème et de verbe plus aérien, qui connaît Ingeborg Christensen ?  C’est un peu froid (c’est Danois…) mais cristallin et plein de petits éclats. Fin et inspiré sur chaque ligne. J’ai découvert par hasard, sur un étalage de la librairie Gallimard, et l’automne s’en est trouvé plus charmeur.

on peut dans le mot
reconnaître la lumière
Acte incroyable”

(Lumière, I)

Trois vers minuscules, et tout est enfin compris de la poésie, cet”acte incroyable”. On se souviendra aussi de cela:

voir la plus petite parcelle de l’amour
du bonheur, comme par un processus absurde
se confondre avec l’image de l’homme
comme l’herbe, tout comme l’herbe des tombeaux”

(La vallée des papillons, VIII)

Comme si Christensen, elle, avait renoncé à tout dire, pour se contenter de murmurer.

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Un monde prochain sans visage ? Les deux tiers de la faune sauvage ont disparu depuis cinquante ans. Voilà le constat d’une récente étude du WWF. La cause : l’expansion agressive et chaotique de l’espèce humaine. Le sort est joué : ce sera un monde vide et silencieux derrière ses lignes, sans l’envol d’une aigrette, les yeux verts de la panthère, le pas lent des éléphants, le tourbillon de vanneaux sur les champs, la pose lente du cerf en alerte, et le baiser furtif de l’abeille sauvage, et toute ces sortes de prodiges. Préparons nos enfants à vivre ça, et redoutons leur reproche féroce à venir, quand ils auront compris ce que ça signifie de pauvreté.

Il y avait une interrogation, comme un jeu, sur la dernière lettre: de qui la vanité de X.Rugiens en exergue était-elle une imitation? Personne n’a eu envie de répondre. Solution: Lubin Baugin. Un peintre français du XVIIè siècle, son art est tout en épure L’original a un joli titre: “Le dessert de gaufrette”. Le voici. Un peu de paix dans ce monde de brutes…

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Allons donc, ne désespérons pas complètement du genre humain, même si cet automne nous aura rendu cette effort plus difficile encore…Et retournons à la littérature.

En attendant, Les Cahiers d’Alceste, c’est plein de belles choses à lire, c’est par ici, nulle part ailleurs et ci-dessous…

www.lescahiersdalceste.fr 

Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

hervehulin6@gmail.com

Allons, donc, amis amateurs de lettres, clôturons sur un envoi plus heureux.

D’Éluard encore :

« Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d’autre. »