Attali et les imbéciles.( La vie des français IV)

Indice conotronique : 10/10.

On ne présente que très peu Jacques Attali ; ce ne sera donc pas ici notre propos. Pas lieu de rappeler la véritable clairvoyance dont fait preuve depuis des décennies ce bel esprit.

Jacques Attali tient une chronique hebdomadaire sur son site, (attali.com). On se reportera à celle du 25 novembre dernier, intitulé “l’engrenage infernal « (“https://www.attali.com/societe/lengrenage-infernal/;). Ce n’est pas lui qui emporte la palme du Conotron, dont il est un remède. Mais ses détracteurs. Et ils sont incroyables.

Lisons-la. Puis encore une fois. Attali fait un parallèle simple, dans son langage usuel limpide et ramassé, à la portée de tout esprit un peu clair, entre, d’une part, les obsessions de l’immigration qui taraudent maladivement une grande partie de l’opinion et d’un nombre croissant d’acteurs politiques et médiatiques, et d’autre part, la situation de l’opinion dans l’Allemagne des années 20.  Dans la perception de l’autre, – l’immigré aujourd’hui, le juif naguère- et l’accusation permanente qu’en inventent les démagogues pour enflammer les masses dans leur orbite, il discerne et décline une série troublante de parallèles.  Il conclut, avec une lucidité cinglante, que chacun sait aujourd’hui comment cela a fini. Bien sûr, comme aujourd’hui, personne ne voulait ça. Il y eut pourtant des décisions politiques au su et vu de l’opinion qui aboutirent à l’holocauste. Force est de constater que chacun parle aujourd’hui de l’autre comme un ennemi, et une évidence naturelle de lui ôter son identité, de l’exclure de la communauté, de lui retirer ses droits, le réduire, le diminuer, et le chasser pour enfin se retrouver enfin confortablement entre nous; on évoque sa dangerosité, intrinsèque à son altérité, et on exprime sans ciller des solutions radicales, pour ne pas dire finales, qui s’imposent. Chassons l’autre de notre paysage, il est temps.  Or, bien des acteurs politiques -dits républicains– produisent sur ce terrain une surenchère effrayante. Tel est l’argument très compacté que Jacques Attali avance.

Lisons encore ce développement remarquable, documenté, référencé, construit. Puis, déroulons la page Html vers le bas, et approchons, avec un mouchoir parfumé sur les narines, des commentaires d’internautes. C’est édifiant.  Comme toujours sur ce registre inévitable de ce type de blog (“Participer à la discussion“) on a un déferlement standard d’animosité.  D’ailleurs, ces espaces garantissent assez souvent, O amis du Conotron, de belles moissons conotroniques. Pensez-donc, le cadre de réponse permet à des cohortes de pauvres anonymes de défier l’intelligence. Et c’est gratuit. Le niveau d’agressivité de la riposte est toujours entropique. Les gnomes ne vont pas se priver. C’est d’ailleurs assez inquiétant, cette façon qu’ont ceux-là – en quelque sorte, nos nouveaux « bien-pensants » – de pister ainsi les propos de Jacques Attali. A chacune de ces rubriques hebdomadaires, la meute du bas de page se lance.

Mais ce qui sera vraiment édifiant, et nous montre à quel point Attali a raison de s’inquiéter maintenant, c’est la trajectoire des échanges entre ces gens. Plus ils se répondent, plus ils penchent vers l’abject, et plus ils se stimulent, plus ils sombrent. Le premier, rapide autant que réactif, soutient (ou plutôt attaque Attali avec ses petits poings…) que les allemands n’ont jamais regretté l’incendie du Reichstag, et que « tout » n’est que de la faute des gouvernants allemands avant Hitler. Il faut oser. Puis d’autres imbéciles enchaînent, surajoutent, dévient. Et on finit (attention, lecteurs conotronistes : allez voir, authentique, si, si…) par constater que “tout” est du fait de la surpopulation, et de préconiser l’élimination pure et simple d’une partie de l’humanité. En effet, plus il y a de monde sur terre, et plus il y a d’étrangers : imparable. (« Laisser la population mondiale grossir c’est tout simplement suicidaire »). Mais comment faire donc pour rester propre?

Donc stoppons l’immigration à la source. Et tous ces gens de discuter entre eux sur la meilleure façon de réduire la population mondiale ; ça pétille, ça fuse…Sans fard, on agite Malthus, l’eugénisme, les vaccins, la télé, les bobos …

Comment en est-on arrivés là ? Victor Hugo écrit, dans “L’Homme qui rit”, que les “rassemblements d’imbéciles ont toujours de l’esprit”. Et ils ont l’air très content, très intelligents d’eux-mêmes, et bien installés entre eux dans leur aimable conversation. Leur lecture nous laisse effondrés. Les imbéciles entre eux peuvent en effet manifester de l’esprit. Car l’imbécile a un esprit qui lui est propre, et qu’il ne partage qu’avec ceux de sa race. Telle est ainsi, parfois, la vie des français.

 

 

©hervehulin