Astée, vous voici jeune et tout intimidée que vous êtes face au monde des influents, rêvez- vous donc à ce point d’en être ? Vous arrive-t-il dans vos insomnies, de fixer votre esprit sur l’idée d’être admirée, d’être sollicitée, et pressée pour vos influences et vos conseils ? Ceci gâte votre sommeil, semble-t-il, et pourtant, il n’est pas difficile de soulager votre désir.

Allons, abandonnez cette posture envieuse, et passez un tailleur sombre au lieu de ces vêtements sports, tout juste bon pour ceux de votre âge. Imprimez-vous un air accablé mais sous un front stoïque, ménagez des sourcils froncés, et un regard concentré sur un point dans le vide. Pressez-vous, chargez-vous de dossiers et de documents à profusion, et allez d’un pas rapide dans la rue et sur les places en vue ; ne lâchez jamais votre portable sitôt qu’on vous voit et gardez le bien soudé sur votre oreille ; prenez un air affairé, et parlez fort, parlez d’affaires, de contrats, de communication et n’oubliez pas d’articuler bien fort les formules « en mode VIP » et « lancez la Visio en m’attendant » « Je signerai ce soir, ne vous en faites pas » et « valider le mémorandum » et encore « Mais qu’est-ce qu’ils fichent au Copil? » N’oubliez pas, avec une mine surprise, cette exclamation, « Le congrès ? c’est fait, j’ai appelé, c’est réglé!».

Vous approche-t-on, vous salue-t-on ? Comme arrachée à une préoccupation, écartez votre portable de votre visage tout d’abord, prenez alors quelques secondes, un regard vague puis, souriez comme un soleil en criant fort le prénom de votre fâcheux, appuyant la sonorité de sa dernière syllabe. Sitôt que l’attention autour de vous se relâche, faites silence, prenez un air lointain, comme rêvant de rien avec intensité, et cela reviendra tout seul, sans un effort de vous.

Penser surtout, en toute circonstance, à être vue, encore et encore vue. Prenez soin de vous faire remarquer devant les stations de métro les plus arts-déco de Paris, mais surtout, ne pas y entrer. Apparaitre dans les bars select et disparaitre aussitôt reconnue, passer et revenir encore devant leur terrasse sans vous n’y arrêter jamais, toujours téléphonant et comme prise de toute sorte d’affaires ; éviter les théâtres où vous serez invisibles, mais assiéger les salons et les colloques, quel qu’en soient l’objet ou le métier. Entrez dans les dîners et les réceptions, sans attendre surtout d’y être invitée, mais un bras chargé d’un dossier et soupirer à voix haute : « j’ai bien failli être retenue, je ne me serais pas remise de n’être pas avec vous ce soir ».

Alors on dira de vous « Astée est talentueuse autant qu’infatigable, elle travaille et s’acharne jusque dans les rues ; elle est toute à sa place parmi nous ». Tous ceux-là qui vous ignoraient auront convergé vers votre ingéniosité. Ces documents que vous portez, ils seront convaincus de les avoir lus, vos réunions, les avoir vécues, vos déjeuners, les avoir mangés ; de vous avoir parlé au téléphone de choses importantes, d’avoir négocié avec vous de furieux contrats, de complexes projets, et même discuté hardiment de livres non lus. Allons, lancez-vous, chère Astée. Personne, vous verrez, personne ne vous aura interrogée sur votre métier.

 

©hervehulin