Timante est constamment habité par la religion. Il a grandi dans cette forme de passion, et en vit toujours à l’âge adulte les commandements. En toute circonstance, il les transmettra et en reproduira les effets. Ses cinq enfants sont baptisés. Il fait un point vital que leur éducation soit rigoureusement façonnée comme l’a été naguère la sienne. Il en a acquis le goût de la discipline, et retenu l’esprit de privation. Il veille sans faiblesse à ce qu’ils suivent le catéchisme. Il les accompagne pressamment sur les devoirs qu’ils en rapportent. Quatre ont déjà accompli leur communion. Les deux aînés sont des scouts très impliqués dans cette école de la vie. De son épouse, discrète mais fiable, il ordonne les actions pendant la semaine car elle ne travaille pas, et au-delà des tâches ménagères qu’elle assure si bien, doit s’occuper utilement pour le bien commun, pour l’esprit de partage, et le goût de la prière, dans la seule règle des valeurs qui conviennent. Il lit Bernanos et De Saint-Pierre ; en voiture, il écoute Méfret.

Bien en vue dans sa ville, il assure avec toute sa famille une contribution aux activités de la paroisse. Sa position de notable reconnu lui donne accès aux prêtres et on l’a vu à plusieurs reprises dîner chez l’archevêque. Il a un respect très obligé pour les gens d’église, et se plie en deux sitôt qu’il rencontre une soutane. Il répète à ces officiers de la foi qu’il craint l’enfer, croit en la résurrection, au récit de la création, à l’immaculée conception. Pas une messe n’est manquée le dimanche matin depuis deux décennies qu’il est installé, marié, père de belle famille dans cette commune ; à la sortie, lorsque les cloches sonnent, sitôt sur le parvis, il fait l’aumône. Les pauvres l’attendent d’ailleurs, il est un peu leur nourricier. Et glissant une pièce, il glisse aussi une recommandation, ou un sermon, ou un reproche à ces gens dans le besoin, mais qui ne travaillent pas. Timanthe veille à ce que le ton soit bienveillant, et que son mot puisse être rapporté ici et là.

Lui et sa famille sont d’ailleurs très engagés dans le siècle. On les a vus monter à Paris, et au premier plan de la foule pour refuser des lois antichrétiennes. Mais aussi, à chaque Noël, contribuer à la distribution des repas aux indigents et des sans domicile, avant la messe de minuit. Il soutient par sa présence et parfois, ses dons, de belles causes, tels le sort des chrétiens d’Orient, la rénovation de la toiture épiscopale ou les difficultés intimes des couples chrétiens.

Les idées qu’il exprime sont en conséquence celles qu’on attend. Il défend sans faille les institutions de l’Église, et les positions sur les grands sujets de société ; il se montre très inquiet de la régression des mœurs, et horrifié du tour que prennent ceux-ci quand il s’agit de dévaloriser par la loi profane le mariage dans un même sexe, révolté par l’interruption d’une grossesse voulue par Dieu, ou encore, troublé de cette étrange tolérance avancée pour les musulmans. La Création est la Création, et il ne peut y avoir débat sur ce qui s’est passé. Il s’offusque des accusations portées par de mauvais pensants contre des prêtres qui ont aimé les enfants. Une école qui n’est pas chrétienne ne sera jamais pour lui une école des valeurs. Timante respecte ceux qui ne partagent pas sa conception, mais il ne comprend pas qu’on ne les partage pas. Il se défie un peu des lois de la République. Il s’insurge contre les homosexuels, dont il juge les passions coupables, les juifs dont il connaît le goût de la finance, et aussi les musulmans, qu’il voit toujours plus conquérants, plus résolus, plus nombreux. Des protestants, des syndicalistes, des féministes, des philosophes et des francs-maçons, il affirme connaître les manœuvres.

Mais aujourd’hui dimanche, Timante est à la messe avec épouse et descendance, concentré sur le sermon ; regardez-le, il est là, au second rang juste dessous la chaire. Penché en avant, la tête cachée dans les mains, il semble figé dans sa torpeur comme l’objet d’une cristallisation secrète. Là, maintenant, il n’a pas peur de Dieu et ses colères. Car à cet instant, comme souvent, il ne pense pas à Jésus, et son cœur n’est pas dans la foi. Il pense à son gigot car c’est dimanche, et dimanche c’est gigot. A la vérité, quand la voix du curé vibre et tonne, Timante ne parvient ni à s’envoler ni se concentrer , son âme reste muette, son ciel est vide et à la messe, comme dans sa vie, accablé de toutes ces formalités, il s’emmerde.

©hervéhulin