Qui connaît Caton ?  Constamment loué grâce à la douceur de son propos et l’harmonie de son esprit, ce qu’on apprécie dans sa compagnie, plus encore que l’attention qu’il offre à tous ceux qui le connaissent, qui le fréquentent et s’en réjouissent, c’est cette façon de ne jamais heurter dans la conversation par une parole sans nuance, et cette douceur respectueuse qu’il imprime sitôt qu’il converse. Toujours en société, toujours entouré, il reste d’humeur égale et sait se mettre en phase parfaite avec les sortes de caractères que la journée lui envoie, du plus tourmenté au moins difficile. L’unanimité sur sa personne atteint les effets d’une symphonie.

Mais qui est Caton ? On ne lui connaît pas d’épouse ni de maîtresse. Liant qu’il est avec chacun, on ne voit jamais ses amis, on ne lui devine que très peu de compagnie.  Mais on ne parvient à savoir si une telle tempérance dans le monde est assorti de sentiments partagés. Quel est son métier ? Quelles sont ses passions ?

Quand vient le soir, le profil change dans cette intimité invisible du monde. Le voici qui rentre, après un long transport dans la foule soudain indifférente, à son domicile, étroit et peuplé d’un vieux chat et décoré de papier peint à grosse fleur. A peine refermé la porte qu’une nouvelle vie se détache de celle reconnue. Il est alors devant l’écran de son petit ordinateur, et l’infini des connexions avec l’univers s’ouvre à lui. Il s’active sur son clavier.  Les réseaux captent son verbe, le propulse derrière l’horizon imaginaire des applis, et diffusent dans l’univers l’électricité de ses avis. Partout ailleurs dans la Ville, dans le monde, sur des nuées d’écrans et devant des regards captifs, des vies solitaires, des esprits fatigués, ses phrases cruelles s’étirent et attaquent. Pas un évènement mineur du monde accompli dans la journée quelque part, ici ou ailleurs, qui ne rencontre son jugement, et inévitablement, sa condamnation. Les élites, les politiques, les juifs et les musulmans ; les banques et les paysans, les fonctionnaires et les patrons, les jeunes et les migrants. Les faibles et les autres. Il déteste le monde, il se délecte d’agresser les lointains. C’est sa joie sans épuisement, que la tiédeur des journées ne pourra jamais lui offrir. Il n’est plus celui qui tout à l’heure collectionnait les embrassades. Dans la haine et sur le net, il est enfin lui-même. Qui reconnaîtra Caton ?