Narcisse se lève tôt le matin avec comme grand dessein de se coucher tôt le soir. Il garde une heure précise pour sa toilette, toujours la même. Il mène l’affaire comme un rituel, selon un ordonnancement des parties du corps qui ne changera qu’à sa mort. Il se vêt avec minutie des affaires qu’il a préparées la veille au soir. Puis il sort et prend son café au même établissement depuis trente années ; il y échange des propos avec trois amis de longue date qui sont tout autant accoutumés à ce lieu. Puis il va s’approvisionner, chez la maison Plissons presque toujours, prend peu de choses, son pain, quelques cochonnailles ou autres, et son vin. Puis il revient chez lui pour déjeuner. Puis il s’endort pour une sieste d’une heure. Puis il sort à nouveau pour la promenade, celle-ci fait le tour du canal Saint-Martin sans dévier depuis des siècles. Puis, le soir venant, il revient vers six heures pour une heure de mots croisés. Puis avale doucement son verre de vin blanc à sept heure, dîne léger – sauf le vendredi – et lentement, lit trente minute Le Monde, parfois un poème et se couche ; le sommeil lui vient vite et il rêve peu. Le dimanche, il va à la messe à Saint-Ambroise. Puis fait son marché sur le boulevard. Puis le lundi reprend le fil. Et toutes ses affaires suivent ce train-là.

Ainsi passent ses milliers de jours selon un flux stable et bien organisé. Il aime cette sagesse de l’ordre qu’il applique à chaque instant. Sa vie est droite et son existence est simple. Il accomplit le lendemain ce qu’il aura fait aujourd’hui dans des termes identiques. Puis Narcisse meurt et s’efface comme prévu, selon le mode qu’il a vécu. Et la trajectoire de l’univers n’en aura pas une seule fois  frémi.

 

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