La vie vous assigne d’appartenir à un élément; sans détourner risque l’asphyxie. Hippolyte montre beaucoup de fortune, bien que très jeune. Il brille et scintille dans le monde. Il bondit, vole et plonge. Il trace un train de vie exceptionnel à tous ses amis et ses collègues. Il raconte ses formidables voyages, qu’il mène très loin et très luxueusement. Il ne prend que des vols de première classe, et ne réserve que des hôtels cinq étoiles. Il possède, dit-il, des appartements en Thaïlande et à Los Angeles. En suisse, aussi, il a des possessions.  Et malgré son jeune âge, il conduit – souvent très vite- une Porsche. Il vit seul dans un pied à terre parisien- un loft, appuie-t-il – de deux cents mètres carrés ; mais sa véritable adresse est celle d’une large villa à Monaco, dotée d’un parc et d’une piscine. Sa mère est une styliste très célèbre, elle possède sur le Rocher une agence de mode ; et aussi un immense voilier, dont les sorties en mer, en belle société, sont resplendissantes. Hippolyte compte des stars parmi ses amis, vous en présenter certaines et même vous avoir un autographe ou un selfie. Il fréquente la jet-set, prend part à des fêtes ruisselantes d’or et de jouissance, parfois coquines, sur la côte tout l’été. Il minaude si on l’interroge sur ses conquêtes. Partout, en soirée, au club, à la piscine, au gymnase, au marché, Hippolyte ressasse et sème son train de vie. Il aime éblouir, il aime raconter des aperçus de sa vie, il aime que sa vie fasse envie à ceux qui ne peuvent se l’offrir. Et on l’écoute.

Mais pourquoi donc, étant si fortuné se vêt-il de si modeste façon ? On ne l’a jamais vu autrement qu’avec ce triste blouson en faux cuir. C’est parce qu’il ne se réfugie pas dans les apparences, la mode ne l’intéresse pas. Et sa mère, si célèbre et reconnue, pour quoi donc ne la voit-on jamais près de lui ? C’est parce qu’elle travaille beaucoup, et d’ailleurs, son agence est à Monaco, là où elle a sa fameuse villa. Où donc, dans quel quartier se trouvent ses appartements ? Los Angeles, c’est grand. En fait, il n’en sait trop rien, achète et revend, ça change tout le temps ; peu importe, d’ailleurs, ça ne l’intéresse pas, et il n’a pas la mémoire des noms. Nous recevra-t-il chez lui, dans son vaste loft parisien, pour une soirée électrique ? Plus tard, des travaux qui traînent, et beaucoup de désordre, mais avec plaisir le temps venu. Nous invitera-t-il alors un été quelques jours, à Monaco, dans cette fastueuse villa ? On verra cela, mais il n’ira pas nous chercher à la gare ; et la pente est raide, qui mène à la villa. Et ce yacht ? Il est en maintenance, cela prendra du temps. La Porsche, nous emmènera-t-il ? Certes, mais pas pour l’instant, il l’a prêtée à un ami célèbre, qui est en Italie pour un long moment. Et ces célébrités amies, nous en présentera-t-il un jour ? Rien n’est moins assuré. Il ne répond pas de leur envie de vous connaître, ces gens-là sont si facétieux. On l’écoute, Hippolyte, il s’essouffle, comme on l’écoute encore.

Mais personne ne le croit, Hippolyte. Il ne le sait pas, et continue son numéro, persuadé de voler, de briller, de cingler dans les airs avant de rentrer dans ce logis étroit de banlieue où il vit seul avec sa mère. Hippolyte est ainsi, tel l’exocet jaillissant qui force son élément et scintille un bref instant, si bref, hors des flots, vers le soleil. Mais très vite, sitôt exposé à l’air libre, il lui faut respirer, et redescendre dans son élément. Invisible sitôt que sa nature l’appelle. Sans résistance, il replonge alors, pour s’enfoncer loin sous la mer verte et brune et grise, cet environnement  sombre et froid. Et les goélands, si loin dans les hauteurs solaires, crient et rient.

 

©hervéhulin2023