Seule l’ignorance primitive inspire l’invention constante d’autres vérités que celles qui nous sont évidentes. Il suffit d’écouter celui qui se vante d’avoir compris, ou découvert, ou prouvé que les choses vraies qu’on lui sert ne le sont pas, et qu’elles ne servent qu’à dissimuler, parce qu’elles effraient les puissants, les bien-pensants, et les marchands, celles qui le sont vraiment. Que nous dit-il, ce libérateur de la pensée, qui sait regarder à travers les murs pour nous révéler le monde tel qu’il est ?  Qu’il ne sait pas pourquoi, qu’il ne voit pas comment, qu’il ne comprend pas du tout ce qu’on lui dit, ce qu’on lui montre, ce qu’on lui chante. Et le voici qui nous fabrique par déduction et par un infaillible instinct des coupables secrets d’autrui, un nouveau tissu de vérité qu’il substitue facilement, à tout ce qu’on lui a appris. Il ne sait pas pourquoi, mais il y a bien quelque chose qui cloche dans la taille des chambres à gaz, qu’il ne voit pas comment on aurait pu envoyer des hommes sur la lune à l’époque des téléphones à fil et de la télé en noir et blanc, il ne comprend pas comment une pandémie peut si vite gagner l’humanité et si tôt disparaître qu’on ait injecté quelques substances dans des millions de veines. Il ne comprend rien de ce qu’il voit, mais connait tout de ce qu’il ne peut voir.

De Damis, dit-on, encore un qui a bien réussi. On l’a connu à la peine en toute sorte de chose. Lui qui naguère avançait si laborieusement dans ses propres affaires, le voici qui court et se rue dans les succès, dans la fortune. Avec ce progrès tout en lui change de ses manières et ses vues. Des mots nouveaux, des pensées inédites font sa marque à présent. Il veut qu’on le voie, et clame chaque fois qu’il le peut « où sont mes gens », ou encore « que de dépenses aujourd’hui » ! Il soupire, et se plaint fort de ce qu’on ne trouve plus personne pour bien faire le ménage ou repasser les chemises…Il ne dit plus chez moi mais « dans ma demeure » …Il ne parle plus de son métier, mais décline souvent sa « profession » ; il ne s’agit plus d’évoquer son travail dans les conversations, comprenez-bien, mais de « ses responsabilités », voire de sa « réussite » … Désormais, il dit « dans ma position », mais plus jamais de « à ma place ». Tout ceci résonne fort, car il est ainsi façonné à présent, le langage de Damis. Vous verrez qu’avant peu, le moment venu, il n’évoquera plus son sort, mais « son destin », et ne parlera plus de sa tombe, mais de son mausolée.

 

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Pyrame a la chance d’être riche – riche, vraiment, comme vous n’en avez pas idée-  et chaque jour le gratifie de cette situation. Il jouit de tous les biens possibles, sans avoir vraiment l’occasion de travailler ou de craindre le lendemain. Mais pour lui, être heureux de son sort, ce qui est la moindre des choses, ne le rend pas incurieux du sort des autres.

Souvent, il s’interroge sur ce que serait la vie sans cette fortune que le ciel lui a destinée. Ce questionnement est sans réponse car il ne connait pas d’autre situation que la sienne. Comment savoir, se dit-il, ce qu’est le travail, et d’aller chaque jour par un métro bondé, retrouver le même bureau, un atelier, un commerce… D’avoir une tâche à accomplir, qu’on n’aura point choisie, dans un temps limité peut-être, ou encore de la répéter tous les jours… D’attendre un salaire chaque mois, et de s’en servir pour acheter toutes ses choses nécessaires que lui, Pyrame, ne sait pas acheter car ce sont ces gens qui s’en chargent ; mais aussi, toutes ces choses moins utiles, ces choses belles et agréables et qui coûtent tellement plus que celles qui sont nécessaires. Et à propos de nécessaire, c’est quoi cette nécessité dont on parle tant, dont l’idée le questionne un peu, elle aussi, et dont il ne saisit pas la vérité?

Tourmenté de ces questions, Pyrame prend une décision. Sortant de ses domaines, s’éloignant de ses terres, il va à la rencontre des gens, s’introduit dans un café d’un quartier peuplé de gens qui travaillent :  royal, il salue et offre la tournée.

Il est accueilli en conséquence. Le voilà qui parle, et comme souvent on ne dit que ce qu’on sait faire, il parle bien de lui. Pendant deux heures, il ne parle que de ses grandioses propriétés, de ses luxueuses villas à l’étranger, de ses appartements immenses comme des terrains de football à Londres, New-York et Milan ; de la bourse, des actions et placements que ses légions d’agents assurent pour lui, de ses avoirs financiers stockés aux émirats, au Panama et dans bien d’autres contrées dont ces gens ne connaissent sans doute pas la place sur une carte, ni même le nom ; des innombrables fondations et hospices qu’il a fondés sur toutes les terres émergés du globe. Il parle avec couleurs des casinos, des jets, de palaces et de jeunes femmes aux charmes onéreux. Il en oublie même de demander à son auditoire ce qu’il était venu entendre. Puis, joyeux du bilan de sa vie ainsi arrêté grâce à l’attention de ces gens, il s’en retourne sur son orbite. Et il se dit que ces gens véritables sont bien modestes, qui ont si peu de choses à lui dire sur leur sort.

Jamais il ne saura, Pyrame, que de ces gens véritables,  aucun ne l’aura cru, aucun ne l’aura estimé, aucun ne l’aura écouté. Car l’indifférence des humbles reste la première veine de la sagesse.

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Dans cet empire de brouillard où tant de vérités nous sont enfouies, nos esprits ont besoin en tout instant de comprendre, savoir, et découvrir, et c’est ainsi que Thrason est indispensable à notre gouverne affaiblie. Car Thrason est réputé très savant, doué de toutes sortes de sciences; on le sollicite sans se lasser.

Vous interrogez-vous sur la perspective du chômage dans le pays, noyé que vous êtes dans les chiffres que tant de sources assènent sans répit, ainsi que des données réelles de l’immigration ? Thrason vous dira en quelques mots ce qu’il faut croire et ne pas croire, comme la situation va évoluer et comment ce que vous entendez doit être pris pour inexact ; on vous ment, ces chiffres, à lui, et ses faits sont vrais. Les étrangers sont plus nombreux qu’on ne le croie.

Doutez-vous de la vertu médicale des vaccins ? on vous ment aussi. Sur cette question si obscure, Thrason saura vous apporter l’éclairage suffisant, en vous donnant, par ses explications appuyées, les clés utiles pour vous faire une opinion neuve et purifiée de tant de fumées. Les vaccins sont dangereux.

Vous voilà donc si près de renoncer à vous faire une opinion ferme sur la véritable évolution du climat ? Vous n’êtes pas seul dans ce marasme. On vous ment toujours, Quand tant de choses entendues vous égarent l’esprit en tout sens, Thrason encore…De quelques mots simples contre les mensonges des puissants, avec trois images à peine, il saura vraiment vous donner, en toute vérité, le vrai sens des choses véritables qui ont trait aux nuages et au soleil. Le climat de la planète n’est pas si chaud que cela.

Que ferait-on sans Thrason ? Que verrait-on du monde ? Il sait tout, il explique tout. D’où tient-il toutes ses lumières ? De lui-même, et cela suffit à prouver sa science. Thrason n’est ni économiste, ni médecin, ni scientifique, ni journaliste, ni même notaire ou danseuse d’opéra. D’où vient donc qu’il sait tout?  Car Thrason ne sait rien, mais devine tout; il découvre bien des vérités qui nous semblent cachées. De tout ce qu’il dit, de tout ce qu’il affirme, ce qu’il suggère, qu’il déduit, argumente ou soutient, aucune source n’existe ailleurs que dans sa tête.

Toute votre confiance en lui vient de ce qu’il invente tout ce qu’il dit. C’est parce qu’on sait bien cela,  qu’il est devenu indispensable.

 

Ce genre d’esprit sait que vous vous lassez des vérités connues; n’est-il pas normal qu’il vous en propose d’autres plus secrètes?

 

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Vous voyez comme Oreste est doué, et comment il aligne des vertus rares mais élémentaires à la conduite des affaires importantes dont il a la charge. Il aura appris bien des choses relevées dans ses écoles si grandes et grâce ses études si longues. A présent le voici aux manettes de hautes responsabilités. Il sait mobiliser ses connaissances et ses talents pour épouser sans faiblir le poids des décisions. Vous nous dites comme il est clairvoyant et comme il devine sous quel angle agir ? Un tailleur dispose des mêmes qualités, le saviez-vous, qu’il applique à ses tissus dont il trace les coupes au millimètre. Oreste, ajoutez-vous, lui, connaît le prix des choses, et grâce à une sage expertise de l’économie, combien coûte chaque action qu’il arrêtera ou dont il sera saisi. Exact, mais tout autant que le boulanger, qui sait ce que vaut sa farine et son sel, puis compte chaque sou pour faire son pain et le revendre au prix convenable. Oreste fait immédiatement le lien entre des causes de flux contraire, et connaît les interférences qui les agite ou les oppose, pour décider en quel sens les faire passer plutôt que tel autre ; certes, on ne saurait le dédire de cela, mais un électricien en sait plus que lui encore sur ces affaires de flux et de courant, et en fournit le produit pour moins cher assurément. Mais Oreste, lui, a appris dans une université américaine – de Californie, figurez-vous – la façon secrète dont les causes animent des conséquences, et entraînent selon un ordre discret, des énergies et des mouvements dans des directions peu visibles, à qui n’en connaît point la mécanique. Justement, en parlant de mécanique, il s’agit bien du métier des mécanicien, et n’importe lequel d’entre eux en sait plus qu’Oreste sur ces mouvements qui ne sont mystérieux que si on ne les fabrique pas. Mais voici Oreste, qui après une rude journée de réunions, va faire son marché. Toute sa science ne lui permet pas de connaître le prix des pêches, et il paiera bien plus qu’il ne convient à un mauvais marchand. Tous ces savoirs sont vains pour l’intérêt général : Oreste n’est pas inutile à la société, dont il connaît mieux que d’autres le sens et l’intérêt ; mais tout ce qu’il sait se retrouve ailleurs en des termes bien plus simples. Quant aux autres, leur savoir n’est pas moins noble, mais séparés de l’intérêt général, ces gens-là sont aveugles.

 

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La vie vous assigne d’appartenir à un élément; sans détourner risque l’asphyxie. Hippolyte montre beaucoup de fortune, bien que très jeune. Il brille et scintille dans le monde. Il bondit, vole et plonge. Il trace un train de vie exceptionnel à tous ses amis et ses collègues. Il raconte ses formidables voyages, qu’il mène très loin et très luxueusement. Il ne prend que des vols de première classe, et ne réserve que des hôtels cinq étoiles. Il possède, dit-il, des appartements en Thaïlande et à Los Angeles. En suisse, aussi, il a des possessions.  Et malgré son jeune âge, il conduit – souvent très vite- une Porsche. Il vit seul dans un pied à terre parisien- un loft, appuie-t-il – de deux cents mètres carrés ; mais sa véritable adresse est celle d’une large villa à Monaco, dotée d’un parc et d’une piscine. Sa mère est une styliste très célèbre, elle possède sur le Rocher une agence de mode ; et aussi un immense voilier, dont les sorties en mer, en belle société, sont resplendissantes. Hippolyte compte des stars parmi ses amis, vous en présenter certaines et même vous avoir un autographe ou un selfie. Il fréquente la jet-set, prend part à des fêtes ruisselantes d’or et de jouissance, parfois coquines, sur la côte tout l’été. Il minaude si on l’interroge sur ses conquêtes. Partout, en soirée, au club, à la piscine, au gymnase, au marché, Hippolyte ressasse et sème son train de vie. Il aime éblouir, il aime raconter des aperçus de sa vie, il aime que sa vie fasse envie à ceux qui ne peuvent se l’offrir. Et on l’écoute.

Mais pourquoi donc, étant si fortuné se vêt-il de si modeste façon ? On ne l’a jamais vu autrement qu’avec ce triste blouson en faux cuir. C’est parce qu’il ne se réfugie pas dans les apparences, la mode ne l’intéresse pas. Et sa mère, si célèbre et reconnue, pour quoi donc ne la voit-on jamais près de lui ? C’est parce qu’elle travaille beaucoup, et d’ailleurs, son agence est à Monaco, là où elle a sa fameuse villa. Où donc, dans quel quartier se trouvent ses appartements ? Los Angeles, c’est grand. En fait, il n’en sait trop rien, achète et revend, ça change tout le temps ; peu importe, d’ailleurs, ça ne l’intéresse pas, et il n’a pas la mémoire des noms. Nous recevra-t-il chez lui, dans son vaste loft parisien, pour une soirée électrique ? Plus tard, des travaux qui traînent, et beaucoup de désordre, mais avec plaisir le temps venu. Nous invitera-t-il alors un été quelques jours, à Monaco, dans cette fastueuse villa ? On verra cela, mais il n’ira pas nous chercher à la gare ; et la pente est raide, qui mène à la villa. Et ce yacht ? Il est en maintenance, cela prendra du temps. La Porsche, nous emmènera-t-il ? Certes, mais pas pour l’instant, il l’a prêtée à un ami célèbre, qui est en Italie pour un long moment. Et ces célébrités amies, nous en présentera-t-il un jour ? Rien n’est moins assuré. Il ne répond pas de leur envie de vous connaître, ces gens-là sont si facétieux. On l’écoute, Hippolyte, il s’essouffle, comme on l’écoute encore.

Mais personne ne le croit, Hippolyte. Il ne le sait pas, et continue son numéro, persuadé de voler, de briller, de cingler dans les airs avant de rentrer dans ce logis étroit de banlieue où il vit seul avec sa mère. Hippolyte est ainsi, tel l’exocet jaillissant qui force son élément et scintille un bref instant, si bref, hors des flots, vers le soleil. Mais très vite, sitôt exposé à l’air libre, il lui faut respirer, et redescendre dans son élément. Invisible sitôt que sa nature l’appelle. Sans résistance, il replonge alors, pour s’enfoncer loin sous la mer verte et brune et grise, cet environnement  sombre et froid. Et les goélands, si loin dans les hauteurs solaires, crient et rient.

 

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Hyacinthe est quelqu’un de bien.  Dans toutes les assemblées, encore et partout, de lui, il n’est dit que ça. Chacun loue cette évidence. On l’affirme, on le répète, et tous ceux qui l’ont approché souscrivent à cette même opinion. Même ceux qui n’ont pu le rencontrer vous le diront, c’est vraiment un homme bien. On ne connaît point la cause de cette notoriété, ni le détail des qualités qui la justifient, tant elle est belle et forte à travers tous les jugements qui la fondent. D’aucune façon, il n’y a lieu de s’interroger. C’est vraiment quelqu’un de bien, Hyacinthe.

Mais que fait Hyacinthe dans la vie, où est-il, quel âge a-t-il, où habite-t-il ? Est-il heureux, plutôt riche, plutôt pauvre, est-il bien portant aujourd’hui, ou est-il malade ? Est-il amoureux, est-il au travail aujourd’hui ? Quelle est exactement sa profession ? Qu’a-t-il pris sur lui pour soulager les autres, que leur a-t-il donné ? Qui donc l’aura vu récemment, est-il en voyage, plutôt par ici, ou parti très loin ? Lui aura-t-on parlé au moins ? Sait-on d’ailleurs, s’il est grand, petit, assez roux ou très brun, ou simplement chevelu ? Qui est-il donc vraiment, lui que chacun juge et connaît, sauf celui qui dit cela ? Est-il vivant, depuis ce temps qu’on en parle ?

Tout ce qu’on sait d’Hyacinthe c’est que c’est vraiment- ah oui – quelqu’un de bien. Et il n’est pas besoin de savoir pourquoi. Car il y a de nos jours et dans nos usages, des phrases toutes faites, qui s’envolent et planent dans l’air sans qu’aucune volonté ne les active, dont nul ne connaît l’origine ni la conclusion, puis se posent sur des têtes et collent sur les peaux, si bien que les relations des gens se font et se défont sur cette sorte de vent. Des phrases qui parlent des gens, et qui comptent bien plus que les gens dont elles parlent.

 

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Clarice, Eutyphron, Oronte, Théodas, Alcinte, Glycère et Dosithée, bien que de personne et nature si différentes, sont mus d’une même passion pour l’ailleurs. Ils ont accompli ces derniers jours ensemble un beau voyage. Ce fut une jolie croisière, un superbe périple, un formidable circuit, comme on le voudra. Quel que soit cet ailleurs, eux qui ne se connaissaient point avant le départ, en ont partagé avec émotion toutes les faces. Civilisations, nature, culture et musée, safari, musique et festivals, pèlerinage… Ils se sont extasiés ensemble devant une même splendeur. Ensemble, ils ont traversé le même étonnement. L’émotion, le souvenir, la communion, c’est ensemble qu’ils en auront recueillis la moisson.

Les commentaires du voyage appelaient, chaque soir de chaque étape, dans le confort des lodges et des hôtels, au diner, au bar, à la piscine, des souvenirs d’autres voyages. On échangeait. Du fond des souvenirs, apparaissaient des passions, des sujets communs de joie et de plaisir, des découvertes, on se croyait seul à les avoir vus et non, voici qu’on ne l’est plus par la seule évocation des distances traversées. Ainsi, d’autres que soi-même ont connu le bonheur tremblant d’avoir pu saisir la grâce de la Pieta, l’échappée d’un léopard sous les acacias, le mystère d’un temple khmer, le tournoiement magnétique des derviches ; et que dire encore de la majesté du Nil ? Ils jurent même de s’être un peu retrouvés, soi-même dans ce partage émerveillé.

« C’est la magie des voyages » diront-ils, une fois arrivés au terminal du retour.

Les voici qui ont récupéré leurs bagages. Comme une volée de moineaux, sitôt échangées les adresses, ils s’embrassent, ils se dispersent, dans la hâte de retrouver leurs foyers. Ils ne se verront ni se parleront plus jamais, eux qui, d’ailleurs, s’étaient si peu vus et si peu parlés, tout occupés à vanter les sites et les paysages lointains, à parler d’eux-mêmes aux autres. Ils n’en oublieront rien; mais de l’individualité de l’un, rien n’aura subsisté  dans le coeur de l’autre, après trois messages et six photos sur les réseaux sociaux, et au terme de quelques semaines, désintéressés du sort des autres voyageurs, ils mettront autant d’ardeur à s’oublier qu’ils avaient mis de célérité à se rencontrer, et auront effacé à jamais le nom de Clarice, Eutyphron, Oronte, Théodas, Alcinte, Glycère et Dosithée.

 

 

©hervehulin

 

 

 

 

Ce qu’il peut arriver de pire,  Césonie, vous exclamiez-vous? Et de répondre vous-même à votre question: “ne pas être aimée, comment peut-on vivre sans être aimée?”. Pourtant, on vous répondrait: on s’y habitue sans doute, comme d’être myope ou chauve. Regardez donc ces gens qui peuplent nos villes et nos campagnes de si grandes solitudes, ces légions d’humains qui si soigneusement alignés, regardant chacun devant soi, s’ignorent, se parlent si peu, et restent sourds à ces voix distantes pourtant si semblable à la leur…Vivre avec l’habitude d’avoir quelque chose de moins que beaucoup d’autres, mais vivre quand même. Ne pas être aimé, certes, mais regardez: le soleil se lève quand même et le soleil se couche, les saisons passent et viennent, les galaxies naissent et se consument, les métros arrivent à l’heure, les foules marchent dans les rues et les avenues, les humains crient et voyagent, les esprits chantent- et chacun est toujours vivant. Avec un peu plus de sel et de tendresse, amassés en soi. Voyez-vous, Césonie, c’est la première vertu de l’homme que de s’habituer à se passer des autres.

 

©hervéhulin2022