Angélique est d’un tempérament très avenant. Cette constance est la clé de sa réussite. L’on voit souvent des gens sévères, ou suffisants, souvent contents d’eux-mêmes et toujours mécontents des autres, qui avancent dans la notoriété et le pouvoir. Angélique est très loin de ceux-là. Toujours souriante, toujours accueillante, dans ses propos et sa posture. Elle écoute, elle n’est jamais en désaccord avec la dernière voix qui parle. Elle est obéissante avec ardeur.

Elle ne dit jamais non en face, et ne porte nulle contradiction. D’ailleurs, elle ne dit que très peu de chose en réunion. Elle sait se montrer positive et d’humeur égale… Des réunions entières s’écoulent sans qu’elle prenne une seule décision, sans même qu’elle donne une opinion.

Voici qu’on veut savoir quelle est sa position ?  « Mais quelle est la vôtre, avant toute chose » se hâte-t-elle d’anticiper. Elle ajoute un petit rire, délicieusement féminin. Et plus rien ne lui sera demandé de la journée. Si elle sent que les opinions risquent d’être contraires, qu’il peut y avoir de l’opposition dans l’air qui vient, elle ne dira rien. A quelqu’un qu’elle congédie, qui lui dira « c’est injuste », elle répondra : « c’est vrai ». A une autre à qui elle annonce la suppression immédiate de son poste, et qui ne sait contenir sa fureur, elle abondera d’un « ce n’est pas de ta faute, mais c’est nécessaire ». D’un syndicat qui se plaint du sort de ses collaborateurs, elle dira aussi : « vous avez raison » ; au mieux, elle ajoutera « mais je ne peux le dire à haute voix, vous comprenez, je compte sur vous… »  Des décideurs résolus lui demandent de liquider tout un service, ses employés, ses biens et installations, elle répond « bien sûr » et ce sera vite fait. Aux salariés renvoyés qui se plaignent de leur sort, avec animosité, que dira-t-elle donc d’un sort si grave ? « Il est vrai, c’est très dur, je vous comprends ». A celui dont, sur l’arrêt de cette même direction, elle prend le poste ? « Merci pour tout, vous êtes formidable ». On lui reproche la féroce froideur qu’elle cache mal sous son éternel sourire ? « Je suis plutôt d’accord mais n’est-on pas tel qu’on est ? ». Son humeur positive et sa constance, comme cette forme d’impassibilité heureuse lui ont permis de progresser dans les rangs et d’occuper une place si convoitée. Elle est tout en haut de l’escalier.

Un sourire permet en société d’éviter bien des mots, comme une humeur joyeuse. Il peut aussi élever bien des gens vers les sommets. Mais faites attention, Angélique. Ce n’est qu’un souffle, qui monte et s’affaiblit, trop éphémère pour vous maintenir sans pesanteur dans les airs.

 

©hervéhulin