Dans le fouillis des bavardages et des ragots, un mot, celui que nul n’a vu ou voulu voir, soudain s’échappe ; d’abord furtif, il file, agité de sa liberté volée, droit dans les airs, via les réseaux et les couloirs ; comme sa vitesse croît, il sonne et résonne; à un carrefour imprévu, le voici qui rencontre d’autres mots, tout aussi échappés, qui l’accueillent et le glorifient :  agglutinés par des sens invisibles, tous ces mots font des opinions, des opinions qui se multiplient plus vite que la lumière, puis se font jugements et ces jugements deviennent vérités; alors, le mouvement s’accélère encore, et gagne les esprits, les esprits contaminent d’autres esprits, les mots d’esprits fusent et constellant l’espace, enserrent enfin les renommées et les réputations. Voici que tant d’amis qui s’estimaient sont devenus mortels ennemis à jamais. Le sillon ne disparaîtra plus. Un mot aura suffi, toute une nation à présent se déteste et se détruit.

 

 

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