Les 7 roses de Tokyo. Hisashi Inoue

Les 7 roses de Tokyo est une évocation fascinante et colorée du Japon dans la défaite et sous l‘occupation américaine. Un fabricant d’éventail, Yamanaka Shinsuke, homme assez âgé, désœuvré par la guerre, tente avec sa famille et ses proches, des amis, des voisins, de surmonter l’effondrement de son pays, dans un quartier populaire de Tokyo.

Hisashi Inoue est né en 1934. Il a donc connu, enfant, le pire de l’histoire du Japon, l’effroyable dictature Tojo et son régime fanatique, la guerre et son désastre, Hiroshima, la destruction, l’occupation et l’humiliation. Ce roman, dont la rédaction s’est échelonnée sur plus d’une décennie, a été commencé dans les années 80. Mais c’est bien d’une certaine façon, avec l’ingénuité d’un regard d’enfant préservé que le roman traverse cette période très douloureuse qui s’étend sur un an dans le récit, disons de l’effroyable bombardement de Tokyo (mars 1945, près de cent-mille morts brûlés vifs) jusqu’au printemps 1946 environ.

Le roman, écrit à la première personne, est construit sur un double ressort; d’abord, c’est le journal intime de Yamanaka, qui n’est pas toujours au fait des détours de ce monde perturbé qu’il subit. Ensuite, il déroule sur un rythme dramaturgique très plaisant une suite admirablement tissée de saynètes, combinant nombre de situations pétillantes et de personnages assez subtils. La lecture y trouve très vite son confort et son plaisir. Et Yamanaka est terriblement attachant.

L’écriture vive, souvent colorée par de brillants dialogues, nous enchante. Inoue est d’abord connu au Japon par son œuvre de théâtre, et le lecteur se trouve ainsi souvent au théâtre ; des scènes bien illustrées, bien enchainées, des situations toujours attirantes, souvent drôles, parfois déchirantes. Le peuple Japonais mis en scène, dont l’âme palpite à chaque page, est très loin du hiératisme social qu’on lui prête trop souvent, et, il faut bien le dire, dans lequel une littérature japonaise -par ailleurs sublime – se complaît. Ici, le peuple des quartiers à la périphérie de Tokyo se débrouille à chaque page, s’engueule, s’amuse, pleure dans la dévastation et le deuil ; il est effondré de ne pouvoir honorer ou même pleurer ses morts après le bombardement incendiaire de mars 1945 ; le sol y est encore si brûlant plusieurs jours après qu’on ne peut approcher et il n’y a plus trace de rien sous l’océan des cendres.

Et pourtant, ils survivent. Dans la cendre, dans l’accablement, dans le doux-amer de cette étrange paix qui se pose, il faut essayer de garder le goût du bonheur; il faut travailler, manger, se déplacer, s’aimer et se comprendre dans un univers en ruine. Il faut chaque jour des trouvailles fameuses pour avancer et ne pas se perdre. Yamanaka va jusqu’à monter une entreprise de commerce de selles humaines pour les paysans, et le voici livrer ça tous les jours sur son triporteur de fortune. Il y a des repas de familles, à base de rien, un mariage traditionnel sans aucun moyen ni cadeau, des fêtes et des disputes. Le regard sur ces américains balourds, mais pas vraiment méchants, est aussi bien savoureux. Mille choses y sont racontées, et au bout de cent pages, ça y est. Le lecteur est à l’intérieur de ce monde lointain et familier.

En réalité, il faut attendre la seconde partie de ce volumineux roman pour en saisir le titre. L’histoire devient alors celle des femmes. La langue japonaise est en danger, l’occupant américain entend la supprimer. Car elle est coupable selon ses experts, dont les arguments linguistiques sont vraiment tortueux, de freiner l’avancée vers le modèle de démocratie à l’américaine qui doit être l’avenir du nouveau Japon. A la fois discrètes mais hautes en couleur, sept femmes de l’entourage familial de notre Yamanaka interviennent. Elles seront, à force de ruse et de séduction dans les milieux de l’occupant, les espionnes salvatrices de leur langue, et, au-delà, de l’identité japonaise sur laquelle, alors, tout peut se reconstruire. L’apothéose du roman est ainsi– modérément – de tendance féministe.

Les 7 roses de Tokyo est un monument. Sitôt cet énorme livre refermé, on en garde une douce nostalgie et le charme des photographies sépia d’une époque révolue. Et on aime cette chronique du Japon à l’humanité palpable. Lisez, relisons Les sept roses de Tokyo, et vous découvrirez un nouveau Soleil levant.

 

 

Hisashi Inoue. Les 7 roses de Tokyo. Ed. Picquier. Traduction (Japonais) de Jacques Lalloz.972 pages.

 

©hervehulin2021

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