Les cahiers d’André A. Philippe Defins.

Les « cahiers d’André A » est un roman agréable qui nous déroule un destin d’honnête homme. Mais de cette catégorie particulière d’un honnête homme criminel. Le personnage éponyme est un ouvrier qui, condamné pour des meurtres qu’il a assurément commis, retrace toute sa vie et son parcours sur des cahiers d’écoliers, qu’il fait transmettre à titre posthume à son avocat. Le récit est doublement homodiégètique, le premier narrateur est l’avocat, qui introduit et conclut le roman ; puis, le texte passe à la narration du personnage principal, qui alimente l’essentiel des quelques deux-cents pages.

Ce personnage est rapidement attachant. C’est une personnalité droite, d’un tempérament très humain, peu enclin à la violence. Ce n’est pas un intellectuel, il nous parle comme il vit, d’une traite. Comment donc en est-il arrivé là ? C’est l’objet du roman, et sa trame, qui avance comme un compte à rebours.

André part d’une enfance plutôt heureuse, mais fondatrice de tout ce qui va suivre, dans la banlieue ouvrière d’après-guerre ; les nostalgiques de la France d’avant verront avec plaisir défiler toute un univers révolu, les colonies de vacances, les solidarités entre militants du parti, l’école qui fonctionnait encore, et puis la guerre d’Algérie. Cette guerre qu’on ne comprend (toujours) pas décline une violence larvée, qui gronde et puis éclate. Ces instants où l’humanité se perd, et vont soulever, tout au fonds de l’homme, une pulsion première de colère, de haine, de violence, comme d’un nuage noir dont se nourrissent toutes les guerres. André est le témoin d’un déroulé de l’histoire qui le dépasse. Mais il n’est pas de facture à se laisser broyer par cette destinée qui le harcèle ; devant quelques facettes de la laideur humaine, qui croisent son chemin, il refuse de subir ; alors il se fait justicier, voilà tout.  Et certains ne s’en remettront pas. Puis, tôt ou tard, la justice séculière, celle des hommes et des lois, se met en marche contre lui et sa morale ingénue. Vient donc le temps de payer. Et d’écrire.

Il y a beaucoup d’humanité dans cette histoire, dont on comprend, en avançant dans sa lecture, que le sujet souterrain est la Justice. Le roman est tracé comme défile la vie d’André, sur un style simple, mais limpide. Parfois, on pourrait attendre un peu plus de prise de risque de l’auteur, un peu plus d’imagination narrative. Les amateurs de stylistique complexe resteront sur leur faim. On aimerait peut-être plus d’épaisseur de quelques personnages. Mais Philippe Defins écrit sans doute comme il est : calme et droit. Pour avoir fréquenté un peu sa personnalité, il est agréable de reconnaître dans ces lignes la signature intègre d’un honnête homme, animé d’un esprit clair, qui reste fidèle dans son écriture à une trajectoire sans virages inutiles. Le roman se lit bien, grâce à ce style fluide, au service d’une continuité de narration plutôt pertinente. C’est un bel équilibre que de rapporter la vie complexe d’un personnage simple, au travers d’une histoire intérieure qui ne l’est pas, grâce à une écriture qui le reste tout au long du roman.

On notera aussi le format que l’éditeur a donné au livre qu’on tient entre les mains. Il se présente comme un banal cahier d’écolier des années soixante. Cette trouvaille renvoie de la publication une image un peu bradée, pas vraiment celle d’un livre en tout cas. Bon, sans doute une fausse bonne idée, en tout cas dispensable. Raison de plus pour passer directement au fonds et son agréable lecture.

 

 

Philippe Defins. Les cahiers d’André A. Edition Amalthée. 213 pages.

©hervéhulin