Clitiphon dans ses discours ne doute jamais de lui. Il vous dira être toujours satisfait de ce qu’il a fait. Tout ce qu’il entreprend est un succès, tout ce qu’il accomplit devient référence. Il aime à vous rapporter ses exploits. Il n’attend pas qu’on lui demande.Dans sa profession, nous dit-il, il est ce qui est de plus compétent. Non seulement peu savent rivaliser avec son expérience, mais tous ces gens viennent lui demander son avis, son éclairage, et comment faire. Le ministre lui-même – que Clitiphon rencontre très souvent dans la semaine, et avec qui, il peut bien le dire, il se sent très intime – le Ministre donc, se confie sur ses doutes. Clitiphon apprécie de l’aider dans la complexité des enjeux qui se cachent derrière les décisions à engager.

Le mois passé, il a fait un discours, aussi, devant un glorieux parterre d’officiels : sept minutes d’applaudissements, et dès le lendemain, une ribambelle d’articles louangeurs. Il en aura gardé toutes les coupures, et insiste pour vous les montrer. La Sorbonne le sollicite pour un colloque, et bientôt le collège de France. Citez un historien, un journaliste, un grand patron, tous de forte notoriété. Invariablement, Clitiphon vous dit : « Je le connais très bien, c’est un ami ». Bien des esprits notoires se pressent autour de lui, impatients de connaître son avis, ou seulement, de le connaître lui, Clitiphon. Ses collaborateurs l’admirent et le vénèrent. Tous rêvent de lui ressembler ; d’ailleurs, plus personne dans ses équipes ne porte de cravate.

Clitiphon aime le sport, et le sport l’aime autant. Cette année, il a couru le marathon de Paris. Figurez-vous, que sans s’entraîner, et sans préparation particulière, ce cher homme est arrivé cent-quarante-quatrième sur dix-sept-mille-neuf-cent-douze candidats. Et encore, ajoute-t-il, il avait depuis plusieurs jours une douleur tenace à la cheville. Clitiphon adore le sport cycliste : voilà qu’il a accompli cet été l’ascension du Col Saint-Bernard. Eh bien, vous ne le croirez pas, mais moins de trois heures lui ont suffi à atteindre le sommet, en laissant bien des plus jeunes derrière lui. Il en fut à peine essoufflé. Il s’est essayé au tennis, récemment, lui qui n’avait jamais touché ce sport ; il a usé trois partenaires classés l’un après l’autre. Quant à la natation : il envisage de traverser la manche en solitaire.

Clitiphon a lu tous les livres, du moins ceux dont vous lui parlerez. Il ne manque pas de vous rappeler que l’auteur – celui que vous avez cité à l’instant- est un de ses amis, qu’il le connait si bien qu’il le conseille régulièrement depuis bien longtemps. Et d’ailleurs, fort de ces relations littéraires de valeurs, notre Clitiphon a engagé l’écriture d’un roman : une vaste fresque historique, foisonnante, riche et érudite.

Il est ainsi, notre Clitiphon : il aime qu’on l’admire, et s’admire d’être à ce point admiré. Depuis qu’il est en âge de se contempler lui-même, il n’aura jamais passé plus d’une journée sans se vanter à voix haute.  Quel est donc le ressort qui le tend ainsi de l’intérieur, à chaque seconde de sa vie ?

Tandis que son univers tout entier chante la gloire de Clitiphon, voyez son épouse tant chérie, comme elle le regarde si peu mais le commande si durement à chaque instant.

 

©hervéhulin