Voyez comme Valère est salué pour sa nomination, comme on va vers lui, et comme on se réjouit pour lui, qui porte si bien son succès. Seul son mérite lui a attiré cette récompense. Sa persévérance désintéressée dans le travail, menée à travers tant d’années, l’a mené à ce port. On sait combien Valère est travailleur, persévérant, et toujours droit dans la tâche. Par un juste décret, le voici promu à la légion d’honneur.

C’est aussi une semblable gloire de l’instant pour Lélie. On se presse autour d’elle avec ardeur. On loue sa vertu du partage, et sa générosité, et l’action de sa fondation. Cet ordre du mérite, enfin attribué par le ministre, honore des décennies d’engagement pour les malheureux. Lélie, voyez-vous, est vertueuse, et suscite l’envie d’imitation chez tous ceux-là qui la félicitent sans nuance.

Et pour le talent si reconnu d’Achante, direz-vous, cet Oscar dont la nouvelle est tombée cette nuit est toute justice ; ce talent si fin, qui toujours a su faire rire sans jamais blesser, le voici jugé à sa belle valeur ; de toute part, on l’approche, se précipite, l’enserre ; on se réchauffe de sa félicité, et de la proximité de ce grand cœur.

Mais voici Géronte qui entre, et comme il s’avance vers ceux-là qui étaient encore émus des larmes des précédents bénéficiaires, soudain délaissés, une multitude se jette vers lui, un flot qui se change en fleuve tout autour de sa silhouette ; on veut être là, on veut être vu si près de lui, on se bat pour l’approcher, lui prendre les mains, et, tentant de fendre la ruée, le presser de mille bras ; on le comprime à force d’embrassements et alors on crie, on l’acclame, on le brigue, on est fièvreux de l’approcher, on ressasse son nom, on est son ami, et tout ce vacarme laisse briller une gloire si aveuglante qu’une vraie béatitude arrose ces âmes frénétiques. Quel est l’exploit de Géronte à ce jour, de quel mérite le gratifie-t-on ainsi sous une telle fureur ? Qu’a-t-il donné aux autres, quel talent a-t-il offert au genre humain, quel travail si lourd a-t-il accompli ? C’est un grand sportif peut-être, ou un mécène fastueux, ou encore un écrivain, un acteur, que dire, un pianiste surdoué, un chercheur de génie ? Un habile financier ? un philanthrope universel?  Géronte est homme de média, on le voit beaucoup à la télé, et il a pour marque en toute circonstance d’être toujours caustique, ce qui signifie de nos jours, très -mais, vraiment, très – méchant chaque fois qu’il parle : c’est ici tout son talent, le ressort de sa célébrité, et la seule cause de cette  attraction.

 

© hervéhulin