Lettre d’information N°10. Mars 2023

Les Cahiers d’Alceste.  Lettre d’information N°10. Mars 2023. 

Le blog de littérature amateure, contemplative, et misanthropique d’Hervé Hulin ;

« Tandis qu’à leurs œuvres perverses, 
Les hommes courent haletants, 
Mars qui rit malgré les averses, 
Prépare en secret le printemps ». 

                                                              Théophile Gautier

Gautier, de son temps fut la plus influente des plumes. De nos jours, son souvenir a bien pâli. Ne restent dans l’opinion que Fracasse et La momie. Il y a pourtant un grand poète, au verbe habile et ciselé : cette façon de tant dire du printemps en si peu de mots et trente-deux syllabes est sans rivale.

Opinion de lecture. Je vous envoie très vite le premier pan de la fameuse liste des cent livres à lire non pas avant de mourir, mais pour ne pas mourir idiot, ce qui nous guette tous. Dans la précédente « lettre » j’en parlai déjà, et toujours rien me direz-vous. En effet, j’ai tardé car j’ai changé le registre. La matière que je pensais compléter était la fameuse liste sortie sur le site de science Po, « cent-cinq livres à lire avant de mourir », et que j’avais commencé à reconfigurer, avant de me rendre compte de la vanité de ladite liste.

A voir ici : https://www.integrersciencespo.fr/livres-1

Car la liste (science Po) en question :

  •   N’est pas une liste puisqu’elle est assortie de commentaires bavards et standard à chaque titre, et donne une foule de recommandations d’avant lecture qui sont très éloignées du plaisir de la lecture.
  •    Est très moyennement honnête, puisque son but n’est pas de faire partager un grand plaisir de lecture, mais plutôt de briller à minima à l’oral de science Po (la preuve : chaque titre de livre renvoie sur le lien Wikipédia, voire -hélas- amazon).
  •  Elle mélange plein de chose et n’importe quoi au motif du plaisir de lire : le Kama Soutra et Marcel Proust…Le Maha barata (qui lit aujourd’hui les deux mille pages du Maha barata ?) et Harry Potter… Tintin et Platon…
  • Elle raconte n’importe quoi sur la lecture : voir son commentaire sur Homère, « c’est très facile à lire », allons donc… « C’est une liste populaire », nous dit-on…Oui, mais Spinoza et Kant ? Lao Tseu ? « Ce sont tous des livres de grande qualité littéraire » nous assène t-on…Diable ! Le vocabulaire de la Bible – qui n’est pas une oeuvre littéraire- ne dépasse pas quatre cents mots.

Tout cela fait soupçonner que les auteurs de ladite liste sont des tartuffes qui n’ont pas lu ce qu’ils vous recommandent de lire, et ne liront pas ce que vous aimerez lire. Cette somme est programmée pour passer des concours de culture-gé, ou parler dans les dîners en ville, des livres qu’on ne lira jamais, comme si on les avait lus, devant ceux qui ne lisent jamais non plus.

Néanmoins, le jeu est amusant, la plupart des références sont intéressantes, et j’en reconnais plusieurs comme incontournables. Que j’ai donc conservées (et parfois même, les commentaires, mais en les modifiant chaque fois que nécessaire, si pauvres qu’ils sont). J’y ai donc substitué ma propre démarche, qui aura pour objet de vous faire partager les plaisirs de lecture les plus marquants, tout en ménageant un panorama le plus représentatif possible. Je mettrai en ligne par étape. Dans quelques jours, première tranche : les Anciens, d’Homère à Boétius. Préparez-vous…

Opinion de lecture 2.  Un collègue, pourtant érudit, à qui j’évoquai en conversation l’ethnocentrisme de la liste Science Po, me répondit” Ah bon, on veut bien , mais s’il faut trouver des auteurs sénégalais, on n’est pas couchés”… Ignorance de la littérature africaine, foisonnante pourtant tel ce continent. Dans les semaines à venir, donc, mes “opinions de lecture” vous apporteront comme une gerbe printanière, de formidables auteurs: Ken Saro Wiwia (Nigéria), et Maaza Mengiste (Ethiopie) et Taiye Selasi (Ghana) et Namwali Serpell (Zambie) et Nadine Gordimer et Futhi Ntshingila (Afrique du sud). A part Wiwa, des femmes, tiens donc… En effet, des lectures qui ne donnent pas envie de se coucher tôt. Et tant pis pour ceux qui passent à côté.Vive l’Afrique!

Mort de Kenzaburo Oe. L’un des plus grands écrivains de ce siècle vient de nous quitter, dans une -hélas- relative indifférence. « Dites-nous comment survivre à notre folie » fut un des chocs de lecture de ma jeunesse. Le pacifisme chevillé au corps, cet inlassable hibakusha a bâti une œuvre étonnante, et d’une forte individualité, tourmentée du double drame de la bombe atomique et du handicap mental de son fils, bien nommé “Hikari” (Lumière…). Adieu à ce géant, et bon vent à ce bel esprit.

Poésie…  Très bonne nouvelle, qui fera vous ruer chez votre libraire le 13 avril dès avant l’ouverture. A cette date, Gallimard sort -enfin- dans sa légendaire « Pléiade » une édition d’Yves Bonnefoy. Ce volume apparaît assez complet (1800 pages) et a le mérite d’avoir été préparé par ce géant lui-même, qui est allé jusqu’à en arrêter le titre. « Œuvres poétiques » c’est tout et c’est très sobre, au reflet du personnage. On a pu reprocher à Yves Bonnefoy une approche parfois trop cérébrale du verbe poétique – point de vue que je ne partage pas- mais c’est négliger une conception élémentaire de la poésie. Pour Bonnefoy, la poésie, n’est pas un genre, mais un langage. Bonnefoy nous parle en poésie, comme il pourrait, fin traducteur de Shakespeare, nous parler anglais. Pour autant, son texte est capable d’images lointaines, originelles du surréalisme, mais toujours moderne à notre écoute.

Plaisir de la Pléiade. Il ne s’agit pas d’une allitération gratuite, mais puisqu’on parle de « La Pléiade », on sera heureux d’en évoquer le confort de lecture sans pareil. Lire « en » Pléiade, c’est un peu comme écouter la musique de chambre en haute-fidélité. Il y a toujours une sensation physique dans le plaisir de lecture ; sur ce plan, un volume de cette édition est sans égal. Et quelle joie, quand sitôt revenu du libraire, on sort le livre neuf de son coffret, et on l’ouvre, sur n’importe quelle page… L’odeur du cuir, le chuintement délicat des pages tournées, le poids ni lourd ni léger dans la main. Et l’élégance du Garamond qui captive le regard, attise l’attention. On est bien. Le monde peut s’enfuir, et la folie des hommes le ruiner, pour peu qu’il nous laisse ça en main. A voir ou revoir, l’étonnant reportage (France Info Culture) le 2 mars sur la fabrication des Pléiades, à l’occasion de la sortie du Steinbeck. Trois usines, le saviez-vous, sont nécessaires pour répondre au seuil « d’exigence » de la collection. Trois semaines pour fabriquer un volume, et parfois des décennies pour parfaire une réimpression.

Conspirationnisme et vérité (Conotron, toujours…). Près de 80% des français croient à au moins une théorie complotiste, et 9% que la terre est plate. La prolifération des idiots est le mal de ce siècle si peu commencé. Des vaccins à l’Ukraine, les révélations que la bien-pensance-du-système-de-la-pensée-dominante veut étouffer bouillonnent à sous le seuil des QI minimaux. La vérité est malade de notre temps, où chaque imbécile peut inventer sa vérité pour contourner celle qui lui pend au nez, c’est-à-dire celle des autres. La vérité n’est pas une équation, mais une convergence. Sitôt qu’elle cesse d’être centrifuge pour se revendiquer centripète, elle ruine son essence fragile, et disparaît. Atterrés que nous sommes, misanthropes de profession, nous trouvons refuge dans la littérature.

Je pense alors à Léo Ferré, si souvent échevelé :

« Il paraît que la Vérité est aux toilettes
Et qu’elle n’a pas tiré la chasse ?
La Vérité, c’est dégueulassssse »

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                                       “Night and day” (Il n’y a plus rien)

J’alignerai encore et encore des “Caractères” sur ce sujet, facile à croquer, je l’avoue.

Elections…Enfin, quelque nouvelle de valeur ; il est possible que l’académie française ne serve à rien. Mais pour une fois…  Si elle acceptait au printemps la candidature du plus absolu des rimbaldophiles (néologisme ?) elle retrouverait un peu de sens. Académiciens, encore un effort pour être poètes : votez Borer !

“Je te donne ces vers, non parce que ton nom
Pourra jamais fleurir, dans ce sol pauvre,
Mais parce que tenter de se souvenir,
Ce sont des fleurs coupées, ce qui a du sens.”

                                    Yves Bonnefoy – Raturer outre.

Le printemps pour moi sera souriant, quelques ombres récentes s’éloignent, et de l’eau pure sur une couleur vive. Je le souhaite à tous. `

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous.

Les Cahiers d’Alceste,

Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

hervehulin6@gmail.com

A bientôt.

©hervehulin