Dans cette quinzième lettre , le printemps, la littérature pour tous, le bonheur, Rétif de la Bretonne, des étoiles et de la poésie, encore et toujours. Amis lecteurs, dont l’afflux étonne depuis quelques jours (plus de 4000 visites en une semaine, quelle ruée confidentielle!), profitez bien.
Printemps. Les esprits antiques et leurs poètes, imprégnés de la finitude de l’existence, avaient un sens inné de l’idée de renaissance. Le printemps est un moment d’instabilité précieux: voilà pourquoi il aura toujours l’effet d’un charme, au sens que la magie donne à ce terme.La sensation à peine ressentie d’une tiédeur dans l’air, que l’on aime familière, sait redonner espoir et une humeur meilleure. Le printemps atténuera de son seul sourire, la peine et le regret des morts. Il substitue une transfiguration familière, plus apaisante comme passent les années, et que d’autant de printemps se substituent aux hivers. L’âme, en veilleuse depuis novembre, soudain frémit à nouveau: les deuils s’estompent; le bonheur peut recommencer, et l’espérance que la vie soit belle.
Atelier Mathieu Simonet. Ecriture pour tous. Curieuse et passionnante expérience que cet atelier d’écriture animé par Mathieu Simonnet le 21 mars. Simonnet consacre une énergie quasiment planétaire à multiplier les envies d’écrire pour tous. Il part du principe que toute écriture est légitime; dès lors, la publication devient un phénomène mineur et complètement dissocié de l’acte. Nous avons tous le droit d’écrire, et en plus, nous avons tous des choses à dire. C’est une idée belle qui fait son chemin, poussée en avant par la (jolie) mode des ateliers d’écriture. Tout le monde écrit, on est tous amateur, dans le double sens du mot. Publier, c’est vrai, à quoi bon? L’écrit doit-il en toute circonstance, être opposable à la foule? Ecrire est tellement jouissif. Ecrire rend heureux.
Dans l’atelier Simmonet, l’esprit ainsi délesté travaille donc en liberté. Liberté contrainte, par le temps imparti: celui laissé à l’inspiration est limité à celui d’une chanson – ça vaut ce que ça vaut, mais on fait avec-mais il faut bien reconnaître que la contrainte aiguise le verbe, et aide à aller le chercher dans les recoins. Au final, c’est un moment agréable et bien amusant. Chacun est heureux de ce qui s’écrit, et voilà tout. On en sort bien, avec soi-même.
De sa vie et celle des autres. Mais une limite au point de vue précédent s’impose. Faut-il donc sans cesse ne raconter que sa vie pour être un écrivain de ce siècle? Regardons les programmes des ateliers d’écriture, et, par glissement, les devantures des librairies. Il faut parler de sa vie, à tout prix, si possible en souffrance – un inceste, une rupture, une violence, un deuil, ou plusieurs, un exil, tout ça à la fois, c’est encore mieux -L’intimité déchiffrée semble devenue la matière littéraire première de notre temps- comme au moyen-âge, les chevaliers, ou dans l’antiquité, les dieux et les héros. Mais écrire dans l’ombilic de soi-même, certes, mais sans écrire pour les autres?…Quand on écrit, qu’a-t-on à exprimer pour l’autre? Trop d’écrivain(e)s d’aujourd’hui n’ont rien d’autre à transmettre que leur vie. Avec talent parfois (Ernaux) ou parfois, sans (Angot).
Et voilà que grâce au magnétisme d’internet, je trouve enfin “Monsieur Nicolas” dans la vieille et unique édition de la Pléiade (ah, qu’il est doux de trouver enfin un introuvable livre qu’on attendit longtemps)… Rétif de la Bretonne ne raconte que sa vie, probablement nourrie d’affabulations que personne ne croit, mais qui font littérature.On n’est pas obligé, bien sûr, d’affronter les trois mille pages de ce Nicolas-là. Mais en parlant de soi à chacune de ces pages, Rétif, graphomaniaque compulsif, à travers les siècles, nous livre avec bien de l’image ce qu’était la vie au XVIIIè: comment les enfants jouaient, se passait la journée, comment le désir venait et repartait, ce qu’on mangeait, ce qu’on cachait des sentiments, les mots qu’on prenait pour dire les choses quand de nos jours, on en prend d’autres pour dire les mêmes… Il a deux obsessions, Rétif, qui font le flot de cette somme: le sexe et l’écriture. Le reste n’est que décor et mise en harmonie. Pourtant, il le dit dans son prologue, il n’est alors que le troisième auteur de tous les temps à entreprendre l’histoire de sa vie (après Saint-Augustin et Rousseau). S’il savait ce qu’est devenue cette étrange manie de nos jours…Du plus intime de sa personne, dans une narration submergée de détails en tout sens, il nous montre que c’est possible: en parlant de lui-même, il nous parle du monde; or, de nos jours, les autres ne parlent que d’eux-mêmes comme s’ils étaient le monde. Parfois tourmenté, son récit reste toujours heureux.Même quand la vie ne l’est pas chaque jour, la littérature, elle, le reste à chaque phrase.
Jean Giono et les étoiles. Jolie découverte de lecture que cet ouvrage, peu connu il me semble, de Giono: “Traversée sensuelle de l’astronomie”. Rien que le titre vous emporte vers la délicatesse des étoiles. Dans cette méditation d’un mode fluent, le corps épouse l’infini du cosmos à chaque page. A force d’invoquer sa finitude face à l’immensité spatiale, nos sens sont appelés par le prisme d’un verbe quasi magique, à gagner la dimension des étoiles.
“L’univers n’est pas séparé en deux parties: nous d’un côté et de l’autre côté, le reste, nous sommes l’univers et sa passion est notre passion”.
A chaque ligne, chaque propos, Giono réussit à façonner un lien entre la vie – la nôtre, c’est à dire notre humble matière – et l’ordre des étoiles: c’est une clé de sagesse, cette fameuse sagesse dont la distance nous désespère parfois. La lecture de la “Traversée” nous trace un cheminement du corps vers l’infini des astres.
“Au delà de Mars, près de nous, quelqu’un de notre famille est mort.Nous mourrons. Dans les espaces et le temps que le soleil gonfle, les débris du soleil tournent déjà autour de lui.(…) L’idée de notre transformation nous est intolérable; pour assurer sa durée, la matière doit être amoureuse d’elle-même”.
A-t-on souvent lu un tel émerveillement? Une telle densité dans l’expression de l’infini? On contemple les étoiles, comme un fil d’aplomb suspendu au plafond, et un peu de sagesse nous vient, enchantement béni d’une neige fragile.
Alicia Galienne. A découvrir, la poésie juvénile et tragique en même temps, d’Alicia Galienne (NRF, Poésie Gallimard; “L’autre moitié du songe m’appartient”). Alicia a beaucoup écrit avant que sa jeunesse ne s’achève: elle savait que sa vie ne dépasserait pas celle-là, à cause d’une affreuse maladie dégénérative comme la cruauté de la nature sait parfois l’inventer.
“Non Rien ne m’est interdit
Car je détiens le rêve
entre mes mains pleines de ciel
car j’ai conquis les oiseaux
tout au dessus de l’eau
Où je marche la nuit”
(in “La mort du ciel”)
Chaque ligne est comme brûlée de l’envie de vivre. Elle écrivait tous les jours, avec une inspiration soutenue, et sans doute, pressée. On y trouve de l’authenticité, un verbe original, souvent mature -normal, quand la mort vous talonne -délicatement ourlé, parfois, d’inexpérience. Pour exprimer sans fard et sans peur le vertige du vide final qui approche.
“Faire le vide
Se retenir d’espérer
Oublier son regard
Deviner l’emprise du silence
sur soi-même”
(in “Douceur de nuit”)
Et puis, il y a l’amour, obsédant mais discret, qui transparaît ça et là dans les poèmes.
“Cette nuit pour toujours nous appartient
Nous anges ou démons sans permission
Qui nous volons à chacun l’amour
Où avons-nous appris à vivre sans permission?”
(in”Deauville”)
Alicia est morte à vingt ans, un triste matin de Noël. Lisez “L’autre moitié du songe..“, lisez tout. A la fin du recueil, une postface pleine de tendresse de son illustre cousin, Guillaume.
De la magie des rituels. Deuil, Printemps, Sagesse. Pour moi ce printemps n’aura pas été joyeux, mais le prochain le sera probablement. D’ailleurs, il continue de faire froid et gris, cette année. Et le coeur s’en ressent. Proche de ce que Francis Jammes appelait “Le deuil des primevères”. Mais des mots et des gestes familiers, partagés, suffisent parfois à renverser la donne. Chaque instant de splendeur est une résurrection. La doucereuse mélancolie d’un ciel inversé.
De “La traversée sensuelle des étoiles“, cette phrase incroyable, ode à l’humanité, qui redonnerait (presque) envie de croire au genre humain:
“L’homme vit dans des grandeurs libres. Dans tout ce que nous faisons, il faut tout faire pour l’homme.Il ne faut rien faire pour tout ce qui n’est pas, exactement et sans équivoque, l’homme”.
Merci, Jean Giono.
Il est possible, si l’humeur mienne ne change pas, que je vous parlerai dans la prochaine lettre, du voyage au Japon, et d’écrivains d’Afrique.
Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.
En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous. Allez lire les “lamentations de l’errant“, ou de l’esthétique du poème comme une fin en soi…
Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…