Le grenadier aux fleurs vermeilles

Se parle en faisant face au vent

La hauteur est triste au levant

Qu’un seul bouton d’or ensoleille

 

Obscur sinople dans l’allée

Percée de mille testaments

Cette couleur est -elle aimée

Qu’un saule se voit flamboyant.

 

O silence des évanouis

Tremblant comme une cathédrale

Les mots d’un pas si accompli

Remuent des distances rivales

Dans cette 20ème lettre que je vous adresse, lecteurs élusifs (Ah? 20è? Déjà…Non…Incroyable, comme ça passe…etc), bien des choses: une théorie sur l’attraction des déchets (rien à voir avec la littérature), pas mal de poésie, Ukraine, Italie, toujours Rimbaud, (normal, c’est le coeur de la littérature) et quelques idées de sa force. Celle de la lecture, aussi, dont nous parle avec cœur et talent… le pape François, figurez-vous. Eh oui.

Mais avant-propos, intuitions du printemps, comme un remède à notre folie:

C’est l’hiver et déjà j’ai revu des bourgeons
Aux figuiers, dans les clos, Mon amour, nous bougeons
Vers la paix, ce printemps de la guerre où nous sommes.
Nous sommes bien. Là-bas, entends le cri des hommes

Guillaume Apollinaire. Poèmes à Lou (17 janvier 1915)

1. La convergence des ordures. Un peu d’écologie primitive tout d’abord. On aura sans doute remarqué comme tout ce qui contribue désormais à limiter la ruine de l’environnement est désormais coupable: éolienne, suppression des glyphosates, énergies douces etc. Mais la situation géopolitique inspire une considération marine. On connait hélas ces continents de déchets océaniques, qui couvrent des surfaces gigantesques. Ces surfaces maudites suscitent des courants circulaires à leur périphérie qui attirent à leur tour d’autres masses d’ordures de toute provenance. Les ordures attirent naturellement les ordures. Voilà donc comment à la tête des puissances du monde, leurs gouvernants – particulièrement les deux pires , pas besoin de les nommer – se sont naturellement trouvés, à l’Est et à l’Ouest, pour nuire à notre monde. CQFD: l’ordure attire l’ordure.

On pourrait, si la situation restait fictive, sourire de la bêtise du nationalisme. Les patriotes autoproclamés (traduction Alceste: l’extrême droite) se précipitent faire allégeance à un nouveau dictateur, américain certes, mais sénile et infantile en même temps, sorte de Néron idiot sur le grand-âge (mais le faste en moins) , dont le seul projet est de réduire leur spays qu’il méprise et dont il n’aura jamais rien compris. Les piétiner, les humilier, et eux, ils y vont en frétillant lui rendre hommage…Folie du désastre, joie de se faire écraser. Honte pour ces gens-là mais aussi pour le peuple américain.

Mais parlons à présent de littérature. C’est mieux.

2. Andrei Kourkov. La poésie et la guerre.  Dans son entretien récent à Libération (23 février), le grand écrivain Ukrainien Andrei Kourkov insistait sur le besoin de poésie, qui saisit chacun de nous comme l’humanité semble bien avoir désespérément besoin de la guerre. Il évoque cet « énorme espace vide« , en l’absence de création de fictions, ou le nombre incroyable de livres qui ne seront pas finis, et même pas écrits, alors qu’il y a tant d’écrits sur la guerre. Plus de deux-cents personnalités littéraires ukrainiennes ont disparu depuis le début de ce conflit. Mais tout n’est pas perdu…Beaucoup de poésie s’écrit de toute part dans cette société meurtrie, « car dans ces moments de détresse, la poésie c’est ce qu’il y a de plus important: c’est plus facile à lire, c’est un message émotionnel, et ça ne prend pas beaucoup de temps »… On peut en discuter, de cette facilité: allez voir Dante, ou Saint-John Perse, vous nous direz si c’est si facile à décrypter…Mais dans ce propos un peu lourd, on devine une braise discrète, et qui dure. Croyons donc en l’utopie de la poésie dont les mots relèvent un peu, à chaque infusion, nos esprits à terre.

3. Rimbaud et Patti Smith. Rimbaud, combien de kilomètres? Il est passé le temps ou Patti Smith moins que trentenaire et agitée de fièvre rock se prenait pour la réincarnation du grand Arthur. On s’est calmée à présent, pour notre bonheur. Gallimard nous a livrée l’année dernière déjà une belle édition de « la Saison » en grand format, illustrée et commentée par Patti Smith. Elle réussit à nous en apprendre encore sur le Voleur de feu suprême, et sa Saison en Enfer« un pamphlet autrefois ignoré, aujourd’hui considéré comme une œuvre sans équivalent dans la littérature (…) écrit il y a cent-cinquante ans par un adolescent qui reconnaissait et repoussait tous les miroirs (…). Soufre confessionnel. Flamme inextinguible ». (P.Smith).

Déçu de sa littérature, Rimbaud s’en va. Loin et toujours. Au printemps 1876, il passe par Vienne, revient (à pieds) à Charleville, embarque vers Java, après avoir passé par Gibraltar, Naples, Suez, la côte Somalienne (déjà…), déserte à peine accosté, repart dans l’autre sens via le Cap de Bonne-Espérance, passe près de Sainte-Hélène, rejoint l’Irlande ou il débarque enfin, puis Liverpool, Charleville à nouveau, redescend (à pied, toujours) vers le Sud, traverse le col du Saint-Gothard (il y manque de mourir de froid), puis jusqu’à Chypre, enfin Alexandrie. Puis retour à la maison à Charleville. Il a alors parcouru près de quarante-huit mille kilomètres. Enfin, début 1880, le dernier essor vers l’Afrique, cette fois sans retour, sauf infirme puis mourant onze années après. « C’était son arc poétique, qui se courbait d’un royaume à l’autre, une conscience sans barrière ».(P. Smith)

Relisons encore et encore l’insaisissable. Surtout vous, les infirmes et les malades, que le sort a frappés: choisissez ce sillage qui vous emportera là ou chante « l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs ».

4. Tristesse de Leopardi. La somme des « Canti » fait un très grand texte. Avec un nom félin comme cela, on ne peut qu’écrire d’élégance, évidemment. C’est romantique, au sens fort du terme, Leopardi, mais il parle de son siècle comme on aurait envie de parler du nôtre. Tant de vanité! Sur les flancs du Vésuve noircis de lave, « regarde de ce côté, siècle orgueilleux, idiot, qui abandonna une voie soucieuse de renaissance et te vante de revenir sur tes pas ». (Le genêt). 

Il y a bien d’autres choses dans ces chants, des visages, des paysages, des souvenirs, pas mal de mélancolie. Leopardi est toujours diffus, pour son charme inaltérable, mais souvent triste.

Et toi discret genêt (…)
Plus sage que l’homme mais moins infirme
Tu n’as jamais cru que le destin ou la volonté avaient  rendu
Tes fragiles racines immortelles

Ce brin de genêt qui refleurit, éternel sur les pentes calcinées du volcan, c’est chacun d’entre nous, accroché à nos racines d’espérance dans ce siècle qui pourtant encore jeune, aura déjà gâché sa jeunesse.

5. Evtouchenko+ Chostakovitch/Babi Yar. Concert le 17 Mars (Philharmonie).  Le ravin de Babi Par, dans l’actuelle Ukraine, c’est 33 700 hommes, femmes, enfants juifs massacrés par balles par les nazis en deux jours (septembre 1941) dans un ravin près de Kiev, le sinistre site Babi Yar. (« Le ravin des femmes »)… Puis, silence des autorités soviétiques pendant vingt ans. Devant ce silence, bien des années après, Evtouchenko, poète révolté (pléonasme? Pas toujours en Union Soviétique) et Ukrainien, écrit la poésie sur la mort en masse. Musique de Chostakovitch et chef d’oeuvre, la symphonie  N° 13.

Sur Babi Yar, pas de monument.
Un ravin abrupt, telle une dalle grossière.
L’effroi me prend.
J’ai aujourd’hui le même âge que le peuple juif.
(…)
Le ciel, les feuilles nous sont interdits.
Mais nous pouvons beaucoup :
Tendrement nous embrasser dans ce réduit obscur.

Les autorités sont contraintes de soulever la chape, un mémorial sera enfin apposé reconnaissant bien les victimes comme d’identité juive. La poésie seule détruit le silence. Cette soirée fit, selon les mots de Joshua Weilerstein, jeune directeur musical de l’Orchestre National de Lille, « un moment de conscience« .

A noter que le site de Babi Yar fut la cible d’une frappe aérienne russe en 2022.

6. Et pour conclure en beauté, amis de la littérature, « Louée soit la lecture« . Cette louange est bien le fait du pape François: il lui arrive donc  d’écrire de belles choses, et ce petit opuscule est ravissant – au sens propre – à bien des égards. On peut être un peu surpris de cet enthousiasme, très maîtrisé bien sûr. On a plutôt en tête la méfiance, voire l’animosité de l’Eglise pour les choses de l’esprit qui lui échappent. « La littérature a donc à voir, d’une manière ou d’une autre, avec ce que chacun désire de la vie, puisqu’elle entre en relation intime avec son existence concrète, avec ses tensions essentielles, ses désirs et ses significations » (p 26). La lecture est une écoute de la voix d’un autre, et construit le discernement; j’aime bien cette expression (p 46) : « Elle représente donc une sorte de gymnase du discernement qui aiguise les capacités sapientielles ». La lecture repousse les limites de la conscience dans ses références toujours trop étroites devant la représentation du monde et ses pièges. On aura bien de l’estime pour cette effort d’affranchissement des dogmes, et cette leçon de clairvoyance qui va en quelques pages, contre toutes les traditions de censure de l’Eglise depuis des siècles. C’est d’ailleurs un sentiment aérien, quand on est un mécréant athée irrécupérable, que de lire avec autant de profit ce petit livret d’à peine 45 pages (Editions Equateurs), à emporter avec soi dans la poche, à lire et relire doucement.

Le printemps est à l’approche. Grâce aux charmes de la poésie, et à l’échappée de l’esprit qu’elle procure, croyons encore en ce qu’il reste à croire.

Apollinaire, encore…

Ô tête trop lourde, front en feu, mes yeux tristes 
Ô pourpres avenirs comme des améthystes 
Trajectoires de vie que mon cœur va suivant 
Comme un obus lancé qui traverse le vent. 
La nuit est temps propice à celui qui soupire. 
J’ai goûté le meilleur je vais goûter le pire

                                 Guillaume Apollinaire. Poèmes à Lou.(11 mars 1915)

Bientôt dans « Les cahiers d’Alceste » (enfin peut-être).  D’ici la vingt et unième lettre, et si je ne suis pas plus paresseux qu’aujourd’hui, des choses nouvelles, éparses dans les rubriques, et que je n’ai pas idée aujourd’hui, de vous les écrire. Ah si peut-être deux ou trois nouveaux caractères, la quatrième de mes leçons de paysages, et peut-être, peut-être des histoires d’Afrique et d’aventure.

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.

En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous. A bientôt, si on nous le permet encore.

Derniers articles parus

(ceci est le lien vers le blog, pour rappel)

Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

 

 

 

Peut-être connaissez vous Astérie, et savez vous d’elle l’inimitié qu’elle porte à Climène ; Climène n’en veut pas plus que cela à Astérie, mais toujours prend ses distances avec Ménophile ; Ménophile, bien que Climène l’indiffère,  n’apprécie pas que Géronte l’approche de près, même s’il supporte bien plus cela que la proximité de Ménandre ; Ménandre en veut, semble-t-il à Ruffin, qui lui-même déteste Clarice ; celle-ci reproche bien à Cidias de ne pas aimer Astérie, puisqu’elle en veut à Climène ; mais c’est surtout de Dracon que Cidias ne veut pas même entendre le nom ; il lui en veut tant aussi de détester Arthénice que cela pourrait presque se comprendre ; quant à Arthénice, par ailleurs souvent excédée de l’existence même de Ménandre, ne lui parlez pas de Frontin, elle le juge imbécile au point de le fuir en courant; Frontin en veut furieusement donc  à Arthénice, et autant, dirait-on, à Climène, puisqu’il semblerait que celle-ci montre de l’amitié pour Arthénice, la quelle, en vérité, voue une animosité chaque jour plus brûlante à Ménalque, qu’elle juge sot et inutile ; mais aussi à Mélinde, dont elle dit plus que du mal, au grand soulagement de Zénobie, pourtant du même avis sur la personne de Ménalque, mais qui déteste Mélinde, tout en étant détestée de tous à l’unanimité. Quant à Théophile et Théonas, entre eux c’est bien une forme de haine, que la foule de ces gens-là contemplent avec agitation. Voyez-vous, quoi qu’on en dise, l’ennui piqué d’esprit,  est souvent fertile en toutes sortes de sentiments des plus faciles; ne craignez rien, ce n’est que la façon la plus ordinaire de peupler ainsi tant des conversations dans le pays français.

 

©hervéhulin2025

Les poèmes ont des oiseaux la légèreté, ils ont des arbres la hauteur et le mystère, le balancement et la longévité. Plus encore, ils sont comme les éléphants, dont ils partagent la stature, la minutie, le calme, et la puissance apaisée. Leur pas ample et lent nous aide à contempler la grâce du monde et de ses paysages, et à relativiser la gloire des hommes. Ils ont leur langage et leurs signaux millénaires. Ils en ont la mémoire et l’intelligence, et la sagesse des distances. Du plus beau des animaux, ils ont la tendresse et les colères. Devenant rares à la surface de la terre, et compressés dans un espace vital qui se restreint sans pitié, ils avancent et voyagent encore.

 

 

Parfois l’astronome se lassait des vitraux
Il fixait un reflet où les anges passaient
Parfois il écoutait la voûte frissonner
Anticipant l’appel d’un vertical écho
La pierre et les cloches Le pas sur le parvis
Et le prêtre assombri qui baisse son regard
La lourde porte Il est déjà si tard

Parfois l’astronome calculait la tangente
D’un rayon oblique sur la chaire évanoui
C’est un miroir atone en-dedans qui le hante
Parfois l’astronome
Rentré à domicile en comptant à rebours

Il entend l’océan qui bat sur le plancher
Il joue avec le chat Parfois il s’endort
Il songe à cette église où tremble un contre-jour
Parfois

Mais tout est blanc et vain sous cette orbite ancienne

Il avait oublié les étoiles

De Donald Duck, encore, Président des Etats-Unis d’Amérique.

Son explication du crash aérien sur Washington le 29 janvier: « La politique de diversité a fait que des personnes aux désordres psychiques sévères ont pu être embauchées » (BFMTV, 30 janvier).

La politique de diversité en accusation a permis qu’un débile mental soit élu Président des Etats-Unis, il pourrait au moins dire merci.

 

I

La plaine tendue
Se baignait dans la peau bleutée du soleil
Midi à son zénith assura
L’épiphanie d’un monde ouvert sur un fruit de distances
Lucidités de la neige
Epouse de l’azur blanchi sous sa folie
Toute la campagne dans sa pudeur
Ressassait un chant tremblant
Chandelles alcalines Miroir d’hiver
Que sont tristes les soleils inconsolés

Un empire de nacre où s’abreuva la lumière
L’eau à peine blessée
Par la neige à peine osée
Midi par sa lumière sourde pressée au corps des oliviers
Comme deux mains croisées qui s’étaient endormies
Chantait alors la douleur pâle des ruines
Passeur furtif à la dérive
Tel un phare apaisé par la nuit qu’il éclaire
Levée du jour obscure où des dieux s’affligeaient
Ce fut un tendre hiver
Ainsi la neige vint sur les courbes calcaires
Embaumer cet été dont l’oubli s’est figé

Cette pellicule d’argent vif sur la plaine
Etait bien souvent tranchée
Combien d’arbres noirs tels danseurs nus pétrifiés
Tentaient alors de si vaines mesures du vertige
Combien de saules chenus
Se souvenaient des peuples de lavande

Cette saison de par le monde
Avait enchanté toute perspective
Tant de voix évanouies se liguaient contre l’absence
Que nul fruit n’osait plus faire le don de son empire
Des affleurements de marbre près du lit gelé
Ecoutaient se crucifier de vastes vents déserts
La brise à son déclin offrait un calme sentiment

Le soleil invisible dominait nos latitudes
Dans la vibrante pudeur de l’hiver
Du monde l’œuvre si pâle
Inclinait à nos sources son linteau de vertige
Et dans le frisson d’un univers qui se calme
Un souvenir de l’été sous son berceau nous enchantait
Tant de saisons unifiées pour si peu de jeunesse
Des arbrisseaux le système inventé se languissait des primevères
Rien à son retour ne fascinait plus la plaine
Pudeur et affleurement du cristal
Et tout ce monde pour nous dire
Un petit point noir de vérité;

Ce n’est pas que l’hiver en soi
Captive l’heure et sa gerçure
Mais bien plutôt comme un soupir attendu
Et plus rien ne peut faiblir
Tu rencontreras bien des fois cet étrange frisson
Qui traverse les plaines et se signe
Sous le soleil tu découvriras ces retours étonnants
Sous les jonquilles à venir
Car dans la neige qui repose
Qui donc à venir sinon le bleu de l’eau
Ainsi les craintes et les deuils s’effacent d’eux mêmes
Sans qu’il ler soit demandé de partir
Regarde vivre l’hiver et son vivant secret
Puis affine ton pas dans le pas du renard

 

II

La brise à son déclin laisse un calme sentiment
Il y avait dans l’hiver un projet de remord
Combien de jours étaient perdus sur la grève invisible
Où les pas divaguaient sans savoir quand reviendrait
Cet imperceptible commencement des choses solaires
Et le temps d’un feu pâle où la neige approchait

Des flocons au crépuscule atténuaient la distance
Mais rien sur l’océan ne pouvait faire silence
Du haut des saules noircis une pie déclamait
Toutes les funérailles des oliviers mystiques
Horizon supérieur des sanglots de l’enfance
Comme une chimère docile et triste de son voyage
Un rêve était venu puis blanchi et reparti

Tout est lointain dans la plaine qui se lance
Tout est silences
Des tournesols les voix absentes
Et du lichen les tempes exprimées
Attente du jour qui va
Et reviendra

Sur les lignes immatérielles des pénombres captives
Avançaient chaque été leurs phalanges vermeilles
Du soleil la face d’ébène anticipait les pluies
De l’étang embué qui se voile
Survit un flot unique
Un roseau s’est figé
A la surface transparaît
L’écho secret d’un dernier rubis

Les grands cyprès dessinent un paladin
Immobile
Sur sa monture la bas dans la plaine
Songeur sous sa visière
Son esprit est captif d’un sang d’oie sauvage
Epars sur cette terre froide
Et la neige est reine de ton désir
Qu’attends-tu guetteur lassé de ta chevauchée
Aux naseaux du destrier
Un nuage palpite
Puis rejoint
Ses frères
En altitude

Désir O désir figé dans son agate
Quelle avancée as-tu reconnu
Connaîtras tu cavalier oublié
Ce regard attisé où l’azur s’est dressé
Eclat tardif quel est ton nom

Tant de soleils inconsolés
Ont passé dans ma vie
Ils ont scellé des plaies faciles
Et brûlé bien des promesses
Ils effleureront la tienne
De leurs rayons millénaires
Tu les retrouveras plus tard
Lorsque du parent absent
La voix retenue par ton cœur
Réchauffera le souvenir des hivers décorés
Et les hommes téméraires
Soucieux de cultiver leur peine
Te feront sourire
Tels tes anciens jouets
Alors tu sauras que ta vieillesse est là
Et devant toi elle baissera l’échine au doux velours
Et moi toujours je pense à toi
Mon arbrisseau
Je serais dans les pierres que tu foules
Mon plus parfait ruisseau
Et tu ne le sauras pas

Qu’apprendre ainsi dans ce monde allégé
La neige La neige La neige
Nous regardait finir nos soucis
Tout un chacun dans son aveugle plaisir
Les pas en frémissant ont opprimé la neige
Et voici qu’en soupirant contre la peau si douce et tant aimé
Le temps de s’apaiser
Toute la vie avait passé
Faut-il donc toujours se souvenir et se souvenir encore
Des rayons bleus de méditerranée
Des caresses indulgentes des pins inclinés
La mer à son zénith souvent réinventée
De l’odeur du thym
Il y eu jadis des hymnes à la bruyère
La neige la neige
Chantonnait l’enfance

A chacun de nos pas
Tissait l’or pur de l’existence
Nous étions fous alors de tant de lumière
Sur le parvis de cathédrales enlacées
Des astres pour nous servir
Et comme un gosier s’incline à la source
Le chevreuil fragile d’un tremblement aperçu
S’échappe et vole

Ah C’était une vie si douce que l’eau même était miroir
Il y avait des fruits Il y avait des couleurs
Il y avait la nuit qui n’effrayait point encore les enfants
Il y avait ce goût de nous même
Et tant de formes abouties nous étaient données
Sans même les avoir créées
Tant de temples par eux-mêmes façonnés
Et rien entre nous et la lumière
Rien pour nous détruire et dans l’air cette impression de ne jamais devenir
Il y avait un astre fidèle pour chacun de nous
Semblable et collectif
Adulte sans jamais vieillir
Rien pour s’évanouir
La terre alors était délice
Les rivages étaient complices
Le sang d’une absolue candeur
Et le temps une splendeur
Les fleuves emmenaient plus de lumière que d’eau
Le jour plus de miel que d’ombre
Les étoiles Tous parmi nous savaient les capter
La neige alors était caresse
Nous étions seuls au monde et le monde avec nous
Passées les saisons
Envolées les moissons
Rien pour nous dire ce qu’il faut oublier
Et progresser dans la distance n’était pas un calvaire
Ah c’était une ligne bien claire pour nous conduire
Qu’avons nous fait de cette enfance
De ces fruits chargés de soleil
C’était l’été
Qu’avons nous fait de nos désirs

Te souviendras-tu pour toujours de la cigale antique
Elle nous aura charmés
Son chant disparu imprègne de sa vibration
Les romarins enfuis les roseaux anciens
Tous qui ont renoncé
Tous qui sont vivants
Les ruisseaux secrets
Sous la neige ce jour
Ecoutent notre attente
Et cette grive si triste d’avoir vécu naguère
Qui ne peut en nous se taire
Les choses sont plus simples
Ce sont de grandes figures où nous habitons
Des tracées immobiles
Nous dictent le chemin
Et le battement de la foule
Que de questions dans nos villes
Les néons sur la rue noire
Stoppent à l’arrêt de bus
Je n’attends que l’instant du soir
Où l’ami d’ombrage me dit
Que tout peut revenir
A son propre printemps
Pourquoi si lointaine de nos jours
L’avancée des jonquilles
Mais rien ne peut me dire
Le long des trottoirs et contre l’horizon des chaussées
Quelques pas sans devenir
Et je reste là
Me demandant combien de temps
Avant le réveil
Tout seul contre la pluie douce
Veillant sur toi chaque jour
De cet immense novembre
Dors sans frémir
Nul souci des primevères pour toi
Dors
Et vis en toute confiance
Ici le soleil se nourrit d’un simple souvenir de Provence
Et rien ne peut me dire
Si je dois rester seul
Avec tout mon amour
Un âtre toujours lointain à reconstruire
Ainsi dura toujours le bel hiver
Et la vie s’en accommoda bien
Mais rien ne connaissait plus le chant
De nos insectes bleutés
N’oublie jamais mon cœur
N’oublie jamais cette blonde  pesanteur
Le monde était plus beau perdu dans son été

 

III

A présent que le temps de vivre est devenu
Ce sentier oublié des biches et des grives
La plaine est tremblante d’un soupir retenu
Tandis que vieux roi blanc l’ombre du jour dérive

Ces cendres parfumées qui s’oublient sous l’hiver
Nous disent bien souvent leur ancienne constance
Et si le ciel reprend la couleur de la mer
Rien ne peut nous rendre l’idée de sa distance

Comme un fil d’araignée se perd dès son envol
L’été s’était ruiné à force de silence
Dans la stupeur de l’air s’échappait une transe
Dont l’éclat vif du sabre avait fendu le sol

Puis les années passaient mais rien dans les rivières
N’avaient pansé la plaie C’était un siècle lourd
Et dans la séduction rouge de la lumière
La chair blessée toujours renonce à son recours

Habitués aux neiges qui voyagent sans vivre
Nous aimons l’horizon tel un frère cruel
Résignés à ce pas qui nous dicte son livre
Nous marchons sous la ligne où s’éloigne le ciel

Mais pourquoi brûle en nous ce démon de l’envers
Pauvre soleil passé dont s’éteint le visage
Le cœur vibre en voilant les soupçons des hivers
Mais seul l’été trahit le nom des paysages

Ainsi dans le chant mort d’un oiseau migrateur
Résonne l’échappée d’un sillon de traverse
Sous l’orgueil de l’hiver une ancienne torpeur
Guette ce cœur noué dont la pulsion l’oppresse

Abandonnés des dieux que le monde a lâchés
Nos regards attendent un signal de lavande
Mais l’univers s’éteint comme un plaisir gâché
Qui laisse au lieu d’extase un triste goût de viande

A présent que dire quand viendront les enfants
D’autres hivers vainqueurs feront offre d’oubli
Il faudra bien se faire à ces beautés d’argent
Mais sous l’étang gelé veille un secret brûlis
Que l’orangé du soir peut changer en diamant
O triste  flamme Fais silence dans la nuit

Le bonheur est parti
L’été nous a quittés
Ne réveillons pas les enfants

Troisième préparation – (exercice  III)

La neige

La neige qui meurt en se posant sur l’eau fait
un bruit minuscule jamais imaginé
Et pourtant il y a bien un son
Ecouter Ecouter encore
Dessiner le son

 

©hervéhulin2025

Dans cette dix-neuvième lettre d’Alceste, bien des choses pour cette nouvelle année, qui verra, n’en doutons point, amis misanthropes, le genre humain à nouveau se distinguer par toutes sortes d’exploits suicidaires…Attendons la fin de l’hiver, déjà discrètement, s’allongent les jours. Les hirondelles reviendront.

Donc, lettre dix-neuf: un regard-devinette sur la poésie chinoise; Michel Leiris et son étonnantes règle du jeu; dialogue musique et littérature entre deux maîtres japonais; la folie qui nous tourne la tête, au Louvre et dans le siècle; et Rimbaud, dont l’image et la trace ne finiront jamais -mais alors, jamais, vraiment- de nous hanter. Quelques rêveries de Bas-Empire, aussi…

Une nouvelle année qui ne s’annonce pas très sûre: ceux pour qui l’espérance est une vertu (comme moi) me rejoindront sur cette perplexité. Entre les chefs d’état fous et l’incapacité du genre humain à préserver la planète dans un état élémentaire…

Mais laissons les pensées sombres en ce début d’année. Un peu de poésie chinoise pour ouvrir cette lettre. Et une jolie contemplation de l’hiver dans ces quelques mots, dont le titre délicat est « Neige».

Paysage du Nord :
Mille lis de glace scellés,
Dix mille lis de neige en volée .
De la Grande Muraille, au dedans, au dehors,
Rien qu’une blanche immensité sans bord.
Du Grand fleuve, de l’amont à l’aval,
Le flot impétueux soudain s’est figé

Comme toujours avec la poésie de Chine, c’est léger et descriptif, et la contemplation prend le pas sur l’action. Question, O lecteur attentif: qui est donc le poète auteur de cette rêverie hivernale, composé sur un mode classique parfait? Li Po? Sou Tong Po? Wang Wei? Mais qui donc?

Réponse à la fin de cette lettre.

Michel Leiris et sa règle du jeu. 

Les mots sont un peuple vivant. Le sens nous échappe en partie et pourtant, c’est la vie la plus simple qui en oriente le sens. Un souvenir, qui glisse vers une image, une image vers une pensée ou un concept, et voilà ce qui fait le sous-jacent de la littérature. Leiris va chercher dans le détail d’une vie qu’il présente somme toute ordinaire – du moins cette partie de la sienne qui n’est pas à la recherche des mythes Dogon et des mystères de l’Afrique -ces perspectives latérales qui font soudain basculer la création.

L’auteur devient son propre terrain d’observation. En interrogeant ses souvenirs d’enfance, en explorant son quotidien – odeur d’un parquet, contact des rideaux, position d’un soldat de plomb – en faisant son autoportrait, il interroge ce qui le fait écrire. Les livres l’ennuient, du moins c’est ce qu’il dit…A l’heure ou l’auto-fiction narrative prend le pas de façon conquérante sur l’édition française, il est sain de lire cette somme indispensable pour comprendre ce que signifie écrire sur soi – à partir de soi… En quelque sorte, une écriture appelée par les mots et les liens secrets avec l’âme, et non une écriture qui les conduits à son terme.

Raconter des faits, des anecdotes, non pour les énumérer mais pour les restituer dans une transfiguration qui interroge tout le monde, tel est l’objectif de l’écrivain Leiris. « Une chose qu’on oublie c’est une chose morte, (…) c’est très détestable de sentir qu’on est entouré de choses mortes ». Or l’écriture permet de s’inscrire dans une certaine pérennité, « si l’on arrive à donner une forme littéraire à quelque chose qui vous est arrivé, cette chose persiste. »

BiffuresFourbisFibrillesFrêle bruit : titres en cadavres exquis (souvenir de sa période surréaliste) et quatre grandes parties, rédigées sur des décennies de 1948 à 1976: Leiris, déclinant sa série des b, f, r, a tendu aux lecteurs ce piège phonétique: la langue qui «fourche» ouvre sur les horizons secrets du langage. La phrase de Leiris est longue, très longue, mais toujours claire. Elle exige une tension soutenue de l’esprit, qui mène à une intelligence accrue du texte. Alors on pense à Proust, et l’autre géante œuvre de littérature à la fois roman et autobiographie du siècle dernier.

Mais il n’y a pas de personnage chez Leiris, juste quelques silhouettes/prétextes, et la marge avec la fiction reste mineure.Les deux sommes cherchent dans l’intime et son souvenir la matière d’une œuvre sociale. Ils l’ont trouvée…On ne sera pas obligé de lire attentivement les mille trois cents pages de la Règle du jeu… Mais invitons à s’y promener.

Ozawa et Murakami. Conjonction des planètes secrètes qui animent les grands esprits. Il y a presque un an disparaissait Seiji Ozawa. Il y a quelques jours paraissait le nouveau roman d’Haruki Murakami, « La cité aux murs incertains » (quel titre…). Ces deux géants, et amis, avaient il y a quelques années produit un livre de conversations passionnant. La facilité de leur dialogue , autour de la complémentarité entre leurs art respectif captivait l’attention, et ça se lisait d’une traite (plus facile que Leiris, ça c’est sûr…).Le magnifique dialogue de ces deux beaux esprits, à partir d’un regard certes extrême-oriental, exaltait une vertu toute simple, celle de l’universel.

D’Ozawa, j’ai eu la chance d’assister à une dizaine de concerts. Je garde le souvenir de la fluidité hors pair du son et de l’élégance du trait, de sa gestique de danseur contenue. Sans vouloir forcer le rapprochement, force est de constater que l’écriture de Murakami procède des mêmes caractéristiques. Lisez « La cité aux murs incertains », c’est symphonique. Et c’est autre chose que le nombrilisme stylisé Ernaux ou Angot.

Enfin, le site du Philharmonique de Berlin a publié récemment, en hommage au maestro défunt, un magnifique coffret de ses concerts avec cet orchestre de légende, toujours le meilleur du monde; entre autres merveilles, une symphonie « rêve d’hiver » qui ravira les amateurs de Tchaïkovski, ou encore une Septième symphonie qui surprendra, par son poli lumineux, les adorateurs de Bruckner. Et un Prélude de Tristan à tomber par terre. Comme Bernstein, dont il fut l’élève, Ozawa possédait cette magie d’habiter n’importe quelle partition et l’éclairer de l’intérieur. Il nous manque.

 

Le jour des fous. La folie s’expose au Louvre. Que redoutons-nous le plus, de la mort ou de la folie? Derrière la bouffonnerie du regard de l’autre, il y a parfois, filtrant sous le grotesque, l’image fugitive d’une souffrance. Ce n’est pas drôle d’être fou.

Et pourtant, le fou était le seul autorisé à faire rire jadis des seigneurs et de leur pouvoir pervers. VGrâce à cette belle exposition, vous parcourrez toute l’histoire de cette étrange distorsion de l’esprit, redoutée et vénérée au Moyen-âge et à la renaissance. Inévitable, puisque la norme morale est alors dictée absolument par la religion. Plus l’esprit se libère et s’éclaire dans l’histoire par les progrès de la philosophie et du savoir, plus l’image du fou se dédramatise. Puis, un creux dans l’histoire, et c’est le romantisme qui ravive la braise. Parcours très complet de cette exposition, qui mène à s’interroger sur son propre mental. La folie est partout, comme un gaz inspirant et incolore…Dialogue de la mort et de la folie:

   La mort au bouffon

Tu te plais à sauter, eh bien saute, bouffon !
Mon jeu ferait suer le fou le plus agile
Mais laisse toujours ta marotte inutile
Tes farces parmi nous ne sont plus de saison

    Réponse du bouffon

Oh ! Que j’aimerais mieux n’être qu’un pauvre diable
Porter de lourds fardeaux, être chargé de coups
Que de suivre ce monstre à face épouvantable
Qui ne respecte rien, pas même les fous !

Pas mal…On regrettera juste une réelle lacune de cette exposition: inexplicablement, aucun espace n’est consacrée à Donald Trump (oui, c’est facile, mais rions-en un peu pendant qu’il est encore temps…).

Rimbaud et son image, Rimbaud sans image ?

C’est très marquant, la façon dont l’image de Rimbaud nous hante, quand on a si peu d’images de lui. Un livre/curiosité publié cet automne entreprend d’illustrer la période poétique de la vie du personnage grâce à l’intelligence artificielle. (Luc Loiseaux -Rimbaud est vivant- Gallimard).

L’image ci-dessus n’existe pas. Et pourtant. C’est curieux, curieux et troublant de prendre en face à chaque page ce visage connu et inconnu en même temps. De sorte que les moments les plus colorés de la vie du poète – ses fugues multiples, sa « montée » à Paris, son échappée morbide avec Verlaine, jusqu’à son désespoir et sa violence -sont ici illustrés en noir et blanc dans la marge du texte. Et on se prend à aimer cela, malgré l’artifice.

Tantôt, les traits sont un peu lisses; tantôt ils font vrais. Mais le, plus souvent, comme saisi dans des postures ou des mouvements, le jeune homme est là, parmi d’autres visages de son temps, lui, dans toute sa fulgurance. Ainsi, ces épisodes deviennent visibles. On dira que cela est bien du cinéma, sans doute. Mais il faut s’y faire : l’intelligence artificielle ouvre des portes, et des corridors très inconnus. Comme le dit bien Loiseaux, c’est toujours l’homme qui est aux commandes. Feuilletez Rimbaud est vivant, ça vaut la peine.

La prochaine Lettre, je vous parlerai encore de Rimbaud (décidément, il nous tient le gamin…), sous le filtre de Patti Smith et sa sous-estimée édition d’Une saison en enfer (Gallimard, encore).

A vrai dire, je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai écrit Le tombeau de l’Empereur Constant. Je ne sais pas d’où ça vient, cet étrange poème. Peut-être, partant du nom de Constant, une résonance qui se source dans une phrase lointaine de Pascal Quignard, la seconde des Tablettes de buis d’Apronenia Avitia, l’un de ses tous premiers romans: « Constant gouvernait l’Empire » quand naquit Avitia. Un écho de signifiant que Leiris aurait apprécié. On sait peu de choses de Constant, fils de Constantin (« Le Grand ») sauf qu’il n’aimant pas gouverner, il négligea de surveiller autour de lui, et ceci l’a perdu.

Trésor pâle d’une vie
Cadence de la nuit
La paille de l’espoir oublié d’un jardin
La tendresse et le respect pour toute mesure
Et tout ce qu’on vit
Et tout ce que l’on donne
Cet éclat qui palpite au fond du souffle
Tout est passé
Le regret que l’on vit
Les secrets que l’on donne

Je n’ai jamais pu m’empêcher de penser que notre temps avait des caractères de Bas-Empire…Allez voir mon Constant, donc, c’est sans génie, mais vous ferez connaissance avec ce perdant magnifique, comme disait Leonard Cohen.

https://www.lescahiersdalceste.fr/le-tombeau-de-lempereur-constant/

Ah oui… Le poème chinois et son auteur?… Bon…La réponse, c’est: Mao Tsé Toung… Le grand timonier n’a pas fait qu’éliminer massivement les contre-révolutionnaires et affamer son peuple par des décisions stupides, il a aussi composé des poèmes de bonne facture. Comme quoi, ne désespérons jamais du genre humain.

Pour finir, quelques mots de Christian Bobin, que, vous le savez, j’affectionne particulièrement pour son élégante sagesse :

Voilà : « nous ne cherchons tous qu’une seule chose dans la vie :être comblés par elle – recevoir le baiser d’une lumière sur notre coeur gris, connaître la douceur d’un amour sans déclin. Être vivant, c’est être vu, c’est entrer dans la lumière d’un regard aimant. » (L’inespérée).

Après tout, peut-être Luc Loiseaux avait-il lu ces lignes rares pour faire voir Rimbaud, et nommer son livre imagé : « Rimbaud est vivant » ? Ce serait bien, que les poètes échangent les pensées avant même de se reconnaître…

Que les humeurs lassées acceptent quelques fleurs… Très bonne année à tous ceux qui flâneront un moment ou un autre sur les cahiers d’Alceste, à ceux qui leurs sont chers, une année de paix (intérieure), d’amitié, de fraternité et de droiture, de cœurs rapprochés et de mains tenues. Une année d’espérance, et de tendresse apaisée pour ceux qui nous ont quittés et ne seront jamais absents.

Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure.En attendant, les cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous. A bientôt, si on nous le permet encore.

             https://www.lescahiersdalceste.fr/

(ceci est le lien vers le blog, pour rappel)

Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…

hervehulin6@gmail.com

 

 

Dans le fouillis des bavardages et des ragots, un mot, celui que nul n’a vu ou voulu voir, soudain s’échappe ; d’abord furtif, il file, agité de sa liberté volée, droit dans les airs, via les réseaux et les couloirs ; comme sa vitesse croît, il sonne et résonne; à un carrefour imprévu, le voici qui rencontre d’autres mots, tout aussi échappés, qui l’accueillent et le glorifient :  agglutinés par des sens invisibles, tous ces mots font des opinions, des opinions qui se multiplient plus vite que la lumière, puis se font jugements et ces jugements deviennent vérités; alors, le mouvement s’accélère encore, et gagne les esprits, les esprits contaminent d’autres esprits, les mots d’esprits fusent et constellant l’espace, enserrent enfin les renommées et les réputations. Voici que tant d’amis qui s’estimaient sont devenus mortels ennemis à jamais. Le sillon ne disparaîtra plus. Un mot aura suffi, toute une nation à présent se déteste et se détruit.

 

 

©hervéhulin2024

Regardez ce vieil homme sur le trottoir dont la misère vous est si familière… Regardez donc de plus près ce visage : y est imprimé comme un lointain sourire, au-dessus de ce corps accablé par son état. Que vous dit-il ? Plus la vie dénoue ses plis autour de soi, plus on saisit comme tout n’est que passe-temps. L’amour, le désir, les passions, se démasquent et se font vanités ; la renommée, la gloire ? S’effacent d’un mot sitôt que les années et les souvenirs les ont desséchées ; le travail, la famille, la patrie…passent et sont vite de pâles fantômes…Le jeu, la fortune… S’en vont très vite derrière leur sillage d’amertume…Seuls les souvenirs heureux comptent, pour le peu qu’ils durent, car leur sourire nous dit que ce temps qui les a vu naître ne sera jamais perdu.

 

©hervéhulin2024

Liseré pâle sous l’horizon
Et voilà une forme d’avorton
Simplement palpite hors de l’œuf
Le renouveau d’un futur bleu rouge argent
Sur les rivières.
Sa naissance

Comme les semaines progressent
Son désir et son secret
S’attisent sous une caresse
Où donc va la jeunesse
C’est un miraculeux voyage

Ailleurs une rivière et son attente
C’est un veilleur et voici l’âge
A présent il contemple le flot lent
C’est un roi pécheur solitaire

Nul ne le sait
Les regrets peuplent la saulaie
Sous le flot frissonnent le sable
Tout ce qu’il n’aura pas chassé
Les années jasent et l’amour passe

Éclat directeur de l’envol
Il est parti en aventure
Dites-moi donc O jeunes gens
Ce que valent les mots chantants
Quand de l’oiseau-pêcheur
S’est éteint le murmure

Liseré bleu et vert
Qu’on devine sans le voir
C’est un espoir
Le voici de nouveau vivant sur une branche

 

©hervéhulin2024

La littérature africaine est relativement récente en regard de nos usages, notre culture et notre référentiel d’occidentaux formatés à notre propre mode de civilisation. Récente, mais aussi excentrée de nos considérations : Ashebe n’est pas Stendhal. Plutôt centrées sur les racines et l’horizon, ses thématiques ne sont pas les nôtres, alors que tout l’essentiel de la création littéraire nouvelle en France depuis quelques années, semble verser dans l’intimité et l’autofiction. Mais il y a dans ce continent quelques chose de toujours inachevé qui en fait la magie. Ses livres en portent la marque, et leur essence ne se soucient pas d’avant-garde ou de tradition. Il n’y a pas de choix, mais une pulsion d’universel, et les ouvrages ci-dessous sont sélectionnés ainsi, en vertu de cette principale dimension qu’ils portent et vous emportent.

Certains, parmi les écrivains ci-dessous ont quitté le continent africain et leur terre originelle sans rien renoncer de leur histoire ; parfois, ils vivent et enseignent en Europe, aux Etats-Unis. Ils ont pris quelquefois la nationalité de ces pays d’accueil, sans rien renoncer de leurs enracinement. Peut-être même est-ce ce pas-de-côté qui leur permet de diffuser leur message vers un lectorat plus absorbant. Mais d’autres restent enracinés physiquement dans leurs paysages de latérites,  de pluies royales et de confusion périurbaines. La justice, la femme, les racines ou le questionnement de l’avenir, l’enfance, sont les préoccupations de ces œuvres qui restent trop souvent, à connaître. Ce qui les unit, c’est toujours, au travers des situations et des personnages, des familles et des destinées tragiques, bref, des histoires, où jamais rien ne se perd ce qui existait avant. Avant, il y a dix ou mille ans, dont chaque récit porte une marque assumée.

Cette liste O lecteurs curieux,  est, comme vous l’avez compris, restreinte, discrétionnaire, insuffisante, avec le principe d’un livre par auteur. Allez, profitez-donc.

Donc, par ordre alphabétique des auteurs, qui ne préjuge en rien de ce que vous choisirez, ou pas, de ce florilège trop étroit.

  1. Chinua Ashebe. Tout s’effondre. Nigéria. Okonkwo est un homme digne et dur, un homme africain. Mais l’exil le ruine, et à son terme, la terre qui l’a vu naître est devenu coloniale : les blancs sont là, et tout s’effondre. Impuissance des racines face à l’histoire et l’injustice, ce premier roman de la littérature africaine contemporaine, se lit comme un paradigme de tous ceux qui suivent. C’est un coup d’envoi et de maître en même temps. Si vous ne lisez qu’un roman, pour apprécier la suite, ce sera celui-ci.
  2. Koli Jean Bofane. CongoInc . Congo. Un jeune pygmée quitte sa forêt et son village pour faire du business à Kinshasa. Sur son chemin, toute une faune humaine fait obstacle aux ambitions de ce don quichotte. Saisissant tableau du Congo contemporain aux prises avec la mondialisation, et roman cruel et plein d’humour, emblématique de cette capacité à ne jamais renoncer à la joie, dans un univers tourmenté d’escrocs, de corrompus, d’enfants soldats, de prostitution et de détournements de tout ce qui peut faire un progrès. Mais c’et drôle, on ne s’ennuie pas, et malgré la noirceur des choses, on se prend à rire de la médiocrité du genre humain.
  3. Mia Couto. La confession de la lionne. Mozambique. Blanc, mozambicain, africain absolument et lusophone, Couto nous donne une écriture en clair-obscur, qui chante doucement. Le village subit de mystérieuses et violentes attaques de lions : le grand chasseur s’y perd, et c’est une femme qui trouve la clé. Roman écrit sur ces deux voies, au charme brumeux, et style mélodique.
  4. Emmanuel Dongala. Les petits enfants naissent aussi dans les étoiles. Congo. Dongala a le calibre d’un Nobel : tout en puisant dans les racines et fondamentaux de l’imaginaire africain, son œuvre rayonne d’un universalisme délicat. Sorte de remake de Candide, son ingénu est un condensé de toute l’humanité africaine, qui voit défiler l’histoire tragique du continent. Cette lecture est un vertige qui vous saisit, ne manquez pas ça…
  5. Nadine Gordimer. Fille de Burger. Afrique du sud. Pas facile d’être blanc et fille de l’apartheid quand l’axe de l’histoire s’est déplacé. Histoire d’identité mais sous un angle inversé de celui auquel on est habitué, et aussi, de culpabilité : comment effacer la faute qui nourrit vos racines, quand ce n’est pas la vôtre ? Blanc en Afrique, même du bon côté des causes, on reste blanc, ce qui n’empêche en rien le mélange positif des humanités contraires.
  6. Abdulrazak Gurnah. Paradis. Tanzanie. Comme une photographie ancienne au ton sépia. Yusuf a douze ans quand son père, qui ne peut rembourser une dette, le donne à son riche créancier. Mais c’est par cette servitude, qui le met dans le sillage des caravanes de l’Ouest Africain, que Yusuf traverse, dans un double voyage, intérieur et continental, l’Afrique de l’Est au début du XXᵉ siècle, minée par la colonisation, rectiligne dans toute sa beauté et sa rudesse. Et l’eau, l’eau y vaut toutes les vies. Le paradis de Gurnah est un paradis perdu. Prix Nobel, n’oublions pas.
  7. Helon Habila. La mesure du temps. Nigéria. Deux jumeaux au destin divergents, l’un érudit et intellectuel sensible, l’autre violent et mercenaire. Une Afrique qui tire vers le haut, une autre vers le bas, et pourtant, cela fait unité. Le récit explore brillamment les thèmes du destin et des conséquences du choix, de la douleur de ce qui aurait pu être, qu’on ne comprend qu’au passé malheureusement. C’est assez poignant, d’un style riche et épanoui. Grand plaisir de lecture.
  8. Moses Isegawa. Chroniques Abyssiniennes. Ouganda. Isegawa réussit dans ce puissant roman, à nous livrer un condensé intelligent de toutes les peines et les joies de l’Afrique du XXe siècle. Une saga familiale, pour emprunter une expression cliché, déroulée sur plusieurs décennies ; on ne s’ennuie pas dans cette lecture fluide. La déception de l’indépendance, le Sida, la guerre civile, la corruption ; mais aussi, la joie de vivre et l’énergie de la famille, traversée d’une ingénuité délicieuse qui sauvent tout le reste. C’est foisonnant et rebondissant. Un des meilleurs écrits pour comprendre l’histoire moderne de l’Afrique.
  9. Wangari Maahatai. Celle qui plante les arbres. Elle nous manque, Wangari. Elle aura marqué son temps, militante écologiste, pacifiste, féministe, mais surtout optimiste, et enfin, Nobel. Cette biographie, animée de ses luttes, et de ses peines dépasse la sienne propre pour épouser un peu celle de l’Ouest Africain et d’un beau pays qui fait rêver. Pas une once de désespoir dans cette vie de combat, consacrée aux arbres (elle en aura planté plus de cent mille) et à la condition des femmes. Un portrait d’une Afrique féminine, combative et confiante.
  10. Jennifer Nansubuga Makumbi. Kintu. Ouganda. C’est une malédiction qui poursuit une lignée sur plusieurs siècles. Depuis que Kintu, gouverneur dans un ancien royaume avant la colonisation, a tué accidentellement son fils adoptif, d’un simple geste, un sort néfaste poursuite ses descendants jusqu’à nos jours. Kintu est original en ce qu’il montre la vie et les institutions des royautés africaines précoloniales. -le roman débute au XVIII è siècle, et c’est un angle peu connu qui nous est ainsi dévoilé.
  11. Maaza Mengiste. Le roi fantôme. Éthiopie.   Une guerre peu écrite dans la littérature, celle de l’Italie fasciste contre l’Éthiopie : à peine les troupes italiennes ont –elles entamé leur sinistre conquête, que l’Empereur d’Éthiopie s’enfuit… On a alors l’idée de prendre un inconnu (un jeune musicien) pour simuler un retour du jeune monarque à la tête de la résistance. Puissance de l’illusion sur la détermination. Des personnages d’une conception exceptionnelle, dans les deux camps, rendent la narration captivante ; surtout, les femmes éthiopiennes ont joué dans cette guerre un rôle majeur, et donnent à ce fléau une marque d’espérance. Tragique mais lumineux.
  12. Nimrod Bena Djangrang. Sur les berges du Chari. Tchad. Poésie, attention. Nimrod chante, avec ferveur, ces soirs dorés qui attiédissent l’air, ces fleuves longs où glissent des voiles lointaines. Et l’univers est embrassé presqu’’à chaque poème de ce recueil lumineux. Beau et brut.
  13. Chigozie Obioma. La prière des oiseaux. Nigéria. Une histoire d’amour impossible, entre un éleveur de volaille et une étudiante d’une riche famille, on en connaît un peu le ressort, certes. La particularité de cette prose poétique, et très fluide est que le narrateur est le « chi », l’âme, l’esprit, l’ange gardien du jeune homme, Chinonzo. Cet angle de narration original vous plongera dans un univers de lecture nouveau, celui de la cosmologie Igbo nigérienne, entre spiritualité et philosophie. Un roman d’amour puissant, tragique et poétique.
  14. Mohammed Mbouga Sarr. La plus secrète mémoire des hommes. Sénégal.  Chef d’œuvre, d’un écrivain africain , qui ne se déroule pas en Afrique et qui parle de la littérature en France. Mais au-delà, c’est de la difficulté de ne pas être blanc quand on est écrivain qu’on lit à chaque page. Une écriture dense et rayonnante, c’est de l’universel. Prix Goncourt 2021.
  15. Lucy Mushita. Chinongwa. Zimbabwe. Chinongwa, neuf ans, sait qu’un jour, comme sa sœur, elle sera « cédée » à un mari pour de l’argent. C’est le seul destin dans une famille de pauvres parmi les pauvres. Mais la fillette est si maigre que leur entreprise ne suscite que pitié ou raillerie. La jeune Chinongwa résiste et existe grâce à un entêtant instinct de survie, tout en conservant au fil des années cette ingénuité qui fait force. Baigné de légendes familiales et de superstitions rurales, son monde est éclairé par un merveilleux candide. Un peu de poésie fruste, de simplicité, d’humour aussi, font de Chinongwa, bien plus qu’un témoignage sur un village d’Afrique australe au début du XXe siècle, un roman poignant sur l’accession d’un individu à l’indépendance, payée au prix fort.
  16. Chimananda Ngozi Adichie. Americanah. Nigéria. Un roman de la diaspora nigériane, qui se confronte avec les mœurs des États-Unis : c’est un exil, où malgré la bienveillance formatée des intellectuels américains, on est systématiquement racialisé et renvoyé, sans intention de nuire, à son origine. Faut-il donc se justifier d’avoir la peau noire à chaque détour de la vie quand on quitte son continent ? Noir ou blanc, c’est grâce à l’autre qu’on trouve sa place et sa mémoire.
  17. Futhi Ntshingila. Enragé contre la mort de la lumière. Afrique du sud. On le sait, difficile d’être femme, et plus encore adolescente, dans cette partie du monde. Au-delà de toutes les violences subies – mais à qui donc faire confiance ? – tout peut toujours se reconstruire. Sidaz, Viol, escroquerie, mensonge et pauvreté, quoi d’autre ? Zola est une jeune fille qui prend tout cela de face. Et pourtant, et pourtant…Très souvent, le roman africain contemporain se nourrit de résilience. Évidemment, car tout n’est pas sombre sur cette terre, qui cherche le bonheur comme partout ailleurs ; et il peut y avoir des fins heureuses, du moins, prometteuses.
  18. Wilfried N’Sonde. Un océan, deux mers, trois continent. Congo. Roman historique dont l’essentiel se déroule hors d’Afrique. Au XVIIe Siècle, l’Empire Congo s’affaisse sous la pression démente du commerce d’esclaves. Le premier archevêque noir entreprend une longue odyssée pour convaincre un monde blanc borné, arriéré, religieux, raciste qu’on peut être noir et complètement humain. Pas gagné en ce temps-là.
  19. Needi Okarafor. Qui a peur de la mort ? Nigéria. « Onyesonwu » en langue ancienne signifie « qui a peur de la mort » et c’est le nom du personnage, une petite fille aux cheveux blonds. Roman stupéfiant, à la frontière du sacré et de la science-fiction, qui nous donne à chaque page un chant de résilience, hors d’un monde dévasté par la violence. Il n’y a pas de destin maudit.
  20. Yvonne Adhiamba Owuor. La maison au bout des voyages. Kenya. Une Afrique complexe et sombre. Une famille en tension, qui se retrouve autour de la mort du frère ainé. Une bâtisse de pierre rouge érodée perdue dans le Nord du Kenya est la convergence des nombreux thèmes de cet ouvrage. Une famille transie dans le deuil, qui se trouve confrontée à la douleur des vérités cachées. Cette quête obscure va éclairer à contre-jour aux secrets d’une famille dévastée par l’histoire nationale et coloniale, et par la liberté insolente d’une femme.
  21. Namwali Serpell. Mustiks : une odyssée en Zambie. Zambie. C’est assez foutraque et déconcertant, Mustiks. Plus d’un siècle d’histoire de cette partie de l’Afrique, réputée de nos jours encore, pour ces vastes espaces sauvages, pourtant absents du roman. Une étrange femme mutante, couverture d’une pilosité déréglée, une championne de tennis aveugle, une astronaute zambienne sans fusée, sont le moteur de ces aventures, Trajectoire coloniale de ces familles, écriture ironique dévoilant b ien des drames et notamment ceux de l’acculturation forcée des peuples autonomes.
  22. Karel Schoemann. La saison des adieux. Afrique du sud. L’Afrique du Sud déprimée des années 70, la répression atteint des sommets (violence et absurdité) et on glisse lentement dans l’ombre. On ne sait pas trop quelle ombre, car ces personnages, intellectuels blancs et bourgeois moyens, évitent de parler de ça…Le narrateur, un poète un peu déclassé dans ce monde de brute, se sent à un tournant de sa vie, comme ce pays. On parle de partir, mais on ne le fait pas… On veut sauver la vie habituelle des blancs, mais on subit la dérive. Il pleut tput le temps sur Le Cap… Très beau style, bien traduit, dans une écriture danse et mélodieuse. Schoemann, peu connu en Europe, est un des rares écrivains majeurs (le seul ?) à écrire en afrikaans.
  23. Wole Soyinka. Ode humaniste pour Chibok, pour Leah. Nigéria. Dans ce long poème tout entier inspiré de la lutte contre l’obscurantisme. Des 276 lycéennes enlevées par Boko Haram en 2014, une seule, Leah Sharibu, n’a pas été libérée. Écrit en anglais, mais nourri du vocabulaire Yoruba des origines, ce texte rayonnant, ce poème émouvant, ce pamphlet corrosif cible le triste triptyque pouvoir/religion/politique et ses dérives, maladie du continent. Le lecteur, quelle que soit sa culture, est appelé à décaler son regard et assumer sa part de responsabilité dans la situation du monde. Puissant et universel. Prix Nobel, le premier du continent.
  24. Textes sacrés d’Afrique noire. Littérature ou pas, anthropologie, histoire ? Peu importe. Ce livre est un recueil de chants, de mythes, de contes, de prières et de paroles. Car l’Afrique (subsaharienne) est avant tout terre d’esprit et de religion, une religion de la nature et des cycles cosmiques, qui inspirent aux hommes et femmes qui la peuplent du rêve, des histoires, de l’humour et cette formidable résilience qui en fait l’universalité. Telles les formules magiques songhay «pour s’enfuir à travers les murs», l’incantation des forgerons peul, la prière des Tutshiokwe du Katanga pour venir en aide aux femmes lors d’un accouchement difficile, le culte de Fa et des Orissaqui se mêle au vaudou des Amériques, l’éloge à Amma, le Dieu des Dogon etc. À lire en premier lieu, si on veut vraiment saisir le sens des dix-neuf autres références de celle liste discrétionnaire
  25. Abdourahman Waberi. Aux Etats-Unis d’Afrique. Djibouti. Roman dystopique de ce florilège. L’Afrique à l’envers…Prospère, l’Afrique en subit tous les inconvénients. Ces divers états doivent affronter des flots de migrants en provenance d’une Europe rabougrie. Un père va quitter ce continent florissant pour aller retrouver sa fille – dans une quête, on l’a compris, symbolique – dans cette Europe confuse. Un regard inversé, sur deux mondes pas si contradictoire que cela, qui nous éclaire.

 

©hervéhulin2024

 

I

 

Ligne des couleurs
Jour qui faiblit tenace et lent
Frisson d’écume lointaine
Le ciel comme une armée de saules
Ombrage la terre vacante
Calme soupirs Espace en prière
Odeur de la terre sur les hauteurs
Reliefs qui s’espacent où les couleurs s’argentent
Distance accoutumée

Distance exténuée des montagnes si lourdes
Instant ensommeillé des brumes si sauvages
Le ciel pâlit La terre épouse une ombre plus sourde
Voici venir du monde un plus secret visage

Au front bleu des sommets les nuages flottants
Ecoutent se noyer la rumeur des cascades
L’automne approche O Vent qui va diminuant
Quel souffle emportes-tu dans l’été qui s’attarde

Des crêtes ciselées un masque de granit
Capte les feux du soir et du vide l’appel
Dans ce reflet subtil un murmure s’invite
Un élan de regret dans un bruissement d’ailes

Sur la pente assombrie la brume se suspend
Aux murs qu’invente en vain la lisière des bois
Dans les taillis frissonne une vapeur d’argent
Ephémère douceur Songe lointain qui bat

L’ombrage en s’inclinant appose son offrande
Aux ruisseaux de bruyère qui fondent un delta
A l’endroit où se perd la couleur de la lande
Les formes choisissent l’ombre contre l’état

A droite des cimes un pic reste esseulé
Sur ses flancs d’ébène deux cascades chavirent
L’une dans la bruyère Echo plus isolé
L’autre dans l’abîme où la nuit déjà respire

A l’ouest nimbé de cuivre et de marbre ruinés
La plaine sertie de cours d’eaux
Ouvre et ferme l’espace au gré de ses bosquets
Hasard des distances Combien de ciels nouveaux

L’ombre mauve qui gagne un étang lumineux
Enchante d’un soupir un peuple de roseaux
Un mouvement discret délivre l’air anxieux
Les chênes ont lâché un envol de vanneaux

Volés par l’horizon au secret de la plaine
Les oiseaux d’eau s’en vont cavaliers des distances
Leurs arbres se figent comme une ville ancienne
Cruelles racines Si triste est l’espérance

Par-dessus la cascade un pauvre pont qui erre
Ouvre au bout de sa trace un lien vers le temple
Perché sur son rocher celui-ci se resserre
Dans la pénombre hantée par la cloche qui tremble

A l’autre bout du pont s’endort un belvédère
Accroché au basalte il s’obstine en sa veille
Une atmosphère étrange a voilé la lumière
L’orientant sur la plaine où guettent les merveilles

Comme un profil gravé dans l’éclat d’un vitrail
La carnation du sol est un fleuve qui germe
Courbe silencieuse d’un espoir qui se ferme
Le soleil las de battre a baissé son ventail

De la sorte éclairé un sentier se détache
Vers l’étang vénérable Une faible silhouette
Avance d’un pas lent dans l’herbe qui s’efface
Sans doute est-ce l’âge qui lui courbe la tête
Le bruit nu d’un sanglot a effleuré l’espace
Ivresse enfuie Source du soir Cri de la chouette

II

Je suis le voyageur apaisé par sa course
Voici quarante années que j’ai pris ce chemin
De l’horizon craintif la distance m’est douce
Mon âme de la terre imite les confins

Pas après pas j’avance et le temps avec moi
Souriant s’est changé en complice distant
Je regarde le sud je fixe le noroît
Je nomme à mon humeur les astres existants

Comme un arbre en hiver qu’argente le grésil
Je capte la lueur qu’un fleuve peut cacher
Douceur amère de l’exil
Sans l’obsession vécue de sa destination

Un rivage inventé me suffit pour marcher
Et les songes sont neige où le vent se partage
Les pas illisibles sont frêles primevères
Senteur des fleurs d’automne Essor des oies sauvages
Dans la saulaie enfuie s’enivre l’éphémère

Embarcadère si seul dans la buée du soir
Que le monde est construit de fragiles figures
Dont seul le sable fin bâtit l’ordre et l’épure
Et ma trace est tissée d’invisibles miroirs

Mes larmes au réveil changées en papillon
Du ciel j’anticipe le sillon sidéral
Du trèfle à peine né l’avenir virginal
Et des jours silencieux la tragique moisson

A la nuit je fais don de la suée de ma peau
J’entends pleurer la grive et le temps moins sévère
Sur cet accord reprend cet arpège ternaire
Comme une étincelle dont la brume est l’écho

Vous les pluies O mes sœurs aux méandres si clairs
Vos murs d’argents gorgés d’une arche de tendresse
En frayant vos escadres libèrent la promesse
D’orages bienveillants dont mon cœur est l’éclair

Je connais le silence et je connais l’espace
Je perçois les contrées qui séparent les mers
Et je comprends l’hiver comme un avenir vert
Je devine du jour le demain qui s’efface

Mon chant
Tel un feu pâle
Glisse sous la brise
Ni dehors ni dedans
J’ai traversé  des couleurs si nues
Que les prismes s’aimantaient
Je sais la démarche lente des caravanes
Je sais la foudre du léopard
Je sais de l’univers l’éternelle pavane
Je sais le nom secret du soir
Et l’immense arche-émeraude du désir unique
Ainsi tu sauras que c’est dans le soir
Que l’horizon et son peuple d’arbres
Et son train de nuages
S’éprend de toi
Plus tard à l’âge où l’écorce se tend
Tu sauras donc que les formes que tu croyais sombres
Captent bien des éclats pour semer des teintes révélées
Regarde bien sous les lignes

Et tu réveilleras des volumes brumeux
Et tu t’éveilleras tel un enfant heureux
Mais que sais-je en cela du nom des paysages
Bijoux du clair de lune Offrande d’un naufrage

Où vont ces saisons qui ne cessent jamais
Ces flots inutiles ces marées immanentes
Ces lémures lassés et ces spectres dociles
Les secrets des amants ou le nom des ancêtres
L’étreinte de soi-même et cette force d’être
Et le soir est en moi ce fœtus invisible

Mais sous ce nom secret que le soir seul prononce
Je reconnais le trait d’un archer qui me charme
Toujours la nuit imprime une lourde réponse
Je suis le voyageur et nul n’entend ma larme

III

Ame te souviens tu de ces promesses
Les lignes entaillent des rues de silices
Les rossignols sont achevés comme un parfum d’avril
Toute la nuit ensoleillée déclame
La gloire et le triomphe des étoiles assouvies
A la proue des heures factices les neiges se détendent
Sous des branches ramassées des fourmis miment les galaxies
Glisse le pas furtif du double sommeil
Se referment les yeux et apparaît la rive
Qui ouvre les paroles et le cycle des oiseaux
Se fige la rivière envolée d’un battement d’étincelle
Passent les ciels et leur blanche pudeur
S’embrassent les constellations
Et ces corolles en parures pour nous dire
Que vivre est un flocon dispersé par la brise
Les rêves font un vase orné de cicatrices
Courbées sont les lignes que nous dressons
Agées les semences de la vision
Début et fin de la lumière assise contre nous
En même temps gisante et si vivante
Si rêveuse et si aveuglante pourtant
Comme un félin secret trahi par sa tracée
Les nuages écoutent les voix que l’ozone suggère
Comme le vent de croire affolé dans la mâture
Se change en lys et puis se meurt
A présent que les fruits sont rebelles
Que vont changer les ombres de ces journées dominées
C’est un rythme bien reconnaissant que celui de ces marches
Qui tant de nuits ont dormi sous l’autel
Désormais désert où les lierres poudroient
De ces étoiles de graminées menteuses
Les bergers assoupis laissent filer la trace
De ces glaciers finis où donc a sombré le glossaire
Des ces pans léthargiques où vibrent les oryx
De ces grandes pluies Souveraines nostalgiques
La nuit fleurie fait un paradis de sa cendre
Là se dressent des caresses vieillissantes
un baiser de sommeil glisse tel un écho
dans le désert  aux épaules découvertes
c’est toujours la peau nue qui parle
et vivre est douceur impavide à ceux  qui le dénudent<
toujours le flot des moissons qui vente est
une ombre d’oiseau
multiples extases du soleil
lui-même reflet de l’eau qui dure
il fait clair sous la lune du désir
comme une sensation de soif qui passe et vous fait meilleur
Ah…printemps perdus Quand vous retournerez vous encore
Quand donc reviendront les mirabelles
Quand reviendra de l’envie cette source si belle
Ame te souviens tu de ma jeunesse
le paysage à présent se délace comme une femme
rien ne reconnaît plus sa lente éternité
dans l’ombre qui le gagne perce un sillon d’azur
et ne pouvoir le dire est une aveugle flamme
O triste flamme

IV

Mais ne sois pas triste O mon fragile écho
A l’heure où les cygnes s’effacent

Patiente et veille
Toute chose assoupie te reviendra  Merveille
Et sois toujours tendre avec la Terre

Les collines
Elles sont terre frissonnante
Elles sont vie et ligne d’un corps
Le désir en leur chevelure se perd
Elles sont l’herbe qui se retrouve
Et le vent qui s’enchante

Ainsi toujours errant loin du pays natal
J’ai si souvent prié pour que le jour ne cesse
Que le temps sur ma peau ralentit sa caresse
Comme un dernier vaisseau dont faiblit le fanal

Et l’aube en vacillant exhale un trait de miel
La clarté prend refuge où s’avance la pluie
Je m’endors sans prier sous les temples du ciel
Bientôt s’effacera cette arche inaccomplie

Comme le jour capté sous l’étain blanc des flaques
Renvoie au ciel moqueur un éclat vivifié
Mon œil garde en lui-même une espérance opaque
Que nul songe au soleil ne soit plus sacrifié

Mais le pays qui passe en moi reste gravé
Alors qu’en s’éclairant le nuage s’entrouvre
Il me fait don d’un pacte où l’espace est sacré
Ainsi toujours en moi les lointains se retrouvent

Animal je suis l’ombre au matin qui résiste
Sans élan avéré que cet effleurement
Minéral je deviens un roi en son gisant
Sans parole qu’un souffle au soir volé Si triste

La lumière offre un fruit aux lents vergers du jour
La vie laisse en partant sa plus royale esquive
Le monde est un secret du plus parfait amour
Mais rien ne chante autant que l’éclat de l’eau vive

Souvent le plus beau songe enfante un pur mensonge
Comme une ondée révèle un mystérieux versant
Quand l’herbe de la nuit sur ces pentes s’allonge
J’entends sourdre en mon âme un étrange océan
Et dans mon cœur vaincu par ce dieu qui le ronge
Ce soleil rouge et noir dont la nuit prend le sang

 

 Exercice II. Le jardin.

Lorsque la brume sera dissipée par la caresse du jour
Il faudra se porter au centre du jardin.
Puis attentivement, se garder en mémoire
De la fleur et du sable un ferment de mémoire
Pour retrouver intacts la trame et le dessein

de ce lointain paysage oublié qui vivait là dans son empire bien avant que ce monde –  ses arbres, ses eaux, ses pierres – se ploie devant la loi des hommes et leur goût de la ligne ordonnée jusqu’au coeur.

Pendant ce temps les dieux lassés voyageaient  de colline en collines  à défaut de temples préservés Ignorant des prières détournées.

Fermer les yeux pour bien s’orienter, retrouver la source enterrée
Donner un nom à chaque angle du paysage défunt  selon votre propre image Tout est ainsi à recommencer C’est bien là vertu de la brume et des sanglots de la terre.

 

 

©hervéhulin2024