I
Des lignes sinueuses
Tant de lignes déjà bougent vers le soir
L’ombre vient faire un cercle autour de toi
Déjà les failles vers le monde
Déjà la lumière passe avec tout son train d’argent
Vers des mondes fantômes Ce fut une ère légendaire
Rien ne pouvait nous séparer
Arbres et fauves conjugués
Dans leurs courbures millénaires
Saveur d’un miel noir
Il faut bien vieillir pour voir ce monde en plein
Ceci est un mystère profitable à chaque ressource de ton corps matinal
Ces plaines nous parlent en sinuant
De la considérable tristesse d’avoir brillé
De la flambée tardive
Qui n’en finit pas de remuer
Des espaces antiques
Où les fauves joueurs pâmaient sans objet
De la splendeur des ères négligées
Et de fantômes d’anciens massacres
Au secret des taillis d’épines
Où l’ivoire se décompose encore
La teinte blonde de la terre ici
T’enchante comme un jardin
Poudroiement jamais jamais terni
Tranquille et sans insistance
Les puissantes fulgurances
Secrétées dans les herbes rousses
N’ont de féline rien que notre estime
Tout ceci n’est pas durable
Regarde bien ce qui vit là
Ne sera plus vivant la bas
Ces plaines nous disent encore
La pudeur d’avoir vécu sans le dire
Et le remords sous son manteau d’étain
Deux trois soupirs relevés
Dans l’embrasure d’une absence
Il était un royaume d’or et d’ombre
Les plaines y étaient courbes
Comme des femmes
Des pluies pensives naviguaient
Selon les années
Il y avait un animal sombre
Pour traverser les cauchemars
Tout s’y éclairait
Aux heures sauvages
Embuées de l’intérieur
Ces plaines nous souviennent
De roseaux indéchiffrés
D’essaim d’arbres noirs peuplés de brises mauves
Du savoir volé de la nuit
De la houle des savanes
De rires blancs et noirs
Des souvenirs ourlés de ouate
Et des peuplades évanouies
Comme autant d’enfance sous les ruches sauvages
Ces plaines nous appellent
Le bleu est illusoire Vois tu
C’est l’or qui domine
Ces lignes pour toi te sont nouvelles indistinctes et muettes
Ces lignes ne te parlent que très peu
Vous êtes ainsi vous les arbrisseaux
Tant d’acteurs au-delà des rideaux
Mais un peu de sel un peu de miel peut être
Et les pentes de sables regardent à nouveau vivre au loin les chimères graciles
Voici sur le silence des eaux vertes
Qu’un échassier jase et s‘envole
Une rumeur tremble dans les rôniers glacés
Des baobabs dans le ciel mauve nouent des artères d’ébène
Dispersion d’oiseaux obliques
Et rien ne passe dans ces artères noircies
L’éléphant pourtant balance le long des dunes sur son destin
Le touraco palpite sous l’acacia
Le koudou respire et se fige la tête sur le côté
La mangouste fusionne dans la paille et le gypse
L’irrisor appelle et appelle
Le scarabée piétine et piétine
Le serval se déplace sous les épines
L’envol des pintades explose
Le cobra fait un cercle autour du rat qui danse
Les vervets tournoient sur des latérites fatiguées
Les pluviers proclament la venue de l’éland
L’hippotrague délace son orgueil sous l’arbre rouge
Le gecko adhère à l’idée du soleil
Le jacana capte le coeur du nénuphar
La libellule vibre sur son roseau facile
La lionne –elle- ne bouge pas
Et cent millions d’années lumières ailleurs
Un prophète venu de l’espace s’interroge comment nous avons lâché prise en tout cela
De toutes ces lignes sans espaces qui n’auront plus d’ombrage
Que reste-t-il sauf ce passage
Et ces flots d’or anciens sous les décombres des ans
Où sont-ils allés
Comme ces ombres effacées
Comme ces falaises classiques
Où sont ces coquelicots nus sous la croix de juillet
Ces flots marbrés ces acacias enchanteurs
Tous ces rolliers inouïs
Nous ont-ils abandonnés
Que nous rendra de sûr la beauté de la cendre ?
Et le monde en allé est si faible oiseau blessé dans la courbe de ta paume
Dis que vas-tu faire à présent ?
Surtout quand la terre s’efface devant le soir et la pierre
Ne jamais croire cette voix qui te capte mais
Fixer ton regard sur une ligne imaginaire
Forge une prière sans écouter la voix
Pour invoquer tout ce qui aurait tant aimé naître et que nous ne te laisserons sans doute pas
N’en veux pas à ceux qui ne seront plus là
Nous ne savions pas
Ou plutôt si
Nous savions
Mais c’est comme ça
De vastes figuiers blancs
Où les tisserins fleurissent
Ces cortèges de poussière
S’échappent d’un pas lent
Puis repassent
Et dansent
Dans les secrets des litières calcaires
Des rivières fantômes
Attentives aux guêpiers
Se croisent
Et là sous le sable à demi une vieille poupée flétrie
Voici bien des prières pour un monde inutile
Naguère des lignes ocre et bleues pour toute savane
Enchantaient la distance
Dans un sol qui tremble essoufflé de soleil
Nous voyons une optique indécise
Sous un arc en ciel impérial
Comme une réfraction simplifiée de la rétine
Mais d’autres ont pu voir;
Le frisson d’un esprit sauvage qui lève sur le sol
Et sous la tracée absente des couleurs
Un chant de convalescence
Combien sèche est cette transe
Dans les savanes lointaines
Des tantales s’estompent en criant
Voici venu le temps d’invisibles automnes
Les roseaux chantent et brillent au cœur des flots
Le long d’une rive opportune des oies sauvages attendent
Une rumeur royale qui roule parfois sous le ventre du ciel bas
Tout est si calme à présent
Au loin un cœur qui bat
Un calao s’isole
Un aigle s’efface
Peuple blond de ces terres anciennes
Hôtes récents des cendres odorantes
Des pluies antiques et vénérables
Les ondées sur la courbe minérale des buffles
Essaiment des cimiers d’argent
Les rôniers murmurent dans le soir
L’hécatombe des gazelles
Mais pendant de temps, d’étranges oiseaux néons aux points cardinaux traversent les soutes des nuages
Sillonnées d’ambre tropical, par bancs entiers
Petits messages navigateurs
Ils voyagent ainsi
Explorent les sites de chaque paysage d’ici
Epousent la côte de leurs flancs lumineux
Ils flânent vers le Nord, dérivent dans les courants
Puis inspectent les racines
Les kopje violets, les palais obscurs du levant, les marées lointaines aux algues tendues de désirs, ils partagent l’extase des profondeurs
Ils hantent des silences ensablés, ils interrogent l’espace jusqu’au point trouble où les couchants se croisent, ils captent les élans des vents indomptés
Ce fut un fier désir
Si proche et si docile
Ce fut un long soupir
Telle une fièvre fragile
Désenfle au moindre souffle
L’heure finale est là qui tranche à présent
Effroi de l’aube Déclin du jour
Après le voyage dernier de la pluie
La lumière s’est plaquée contre la terre
Alourdie d’un cerne indigo
Ah tendre époque que celle qui bourgeonne et bourgeonne
Dans sa pulpe joufflue
Dans son inexpérience
Tendre tendre stupeur
Ce monde bien sûr fut vivant comme une enfance
II
Quelle est cette voix qui te mène
Et cet écho qui te disperse
Cette ombre qui te voile
Quelle est cette étoffe qui te dissimule
Peux tu les nommer
Ne considère jamais le paysage
Jamais comme une évidence
Ce n’est tout au plus qu’un condensé de lumières et de trajectoires
Complexe de distances
Absorbe les lignes
De la première à la dernière
Voici un nouvel entraînement
Où va le soir quand il chavire
Est il proche de l’aube inversée qui s’avance
Est il confondu au jour qui se rompt
Réponse avant le grand âge
Allons ce n’est pas que ce monde est bien dans sa figure
Tant de lignes à son horizon
Sans un mot de retour après tant d’années
Rien à épargner si le vent ne veut pas vivre
Ici des peuples de chimères plus cohérentes
Naviguent dans l’ozone harassé
Les fleuves sont des trajectoires ardoisées
Dans le tohu-bohu d’une foule urbaine
Les vitrines se sont déclarées
Le long des chaussées qui s’interpellent
Le long de la samaritaine
Des migrations d’autobus drainent nos transports
Sentimentaux vers le grand large
De la formule si moderne
Que nous avons retrouvée
Nous sommes d’absolues falaises
Et sous le leadership de nos moteurs nerveux
Nos villes de grandes passions
Se font adultes
Tu sauras tout ça un jour de trop près
Pour l’instant reste dans la savane blonde)
Il reste tant à acheter sur terre
Regarde toujours avant de traverser
A l’orient si l’espace est bien là
Dans l’épanchement des fonds publics
Des anges nous gardent de trop près
Loin des sables mouvants dont l’approche perdure
La peur s’avance telle un spore vendangeur
Des images d’enfant barbare
Se tissent d’elles-mêmes
Voici des pleurs des chairs et des armes
Ne suppliez pas de vos douces vengeances
Et ce monde opaque qui ne bat que pour vivre
Ne le déchirez pas de vos idées moirées
Le soir imprime une couleur jamais suspectée à nos grandes âmes
Tant de carrosseries grillées comme autant de cigales
Loin des contrées originelles
Pour nous dire de ne jamais recommencer
C’est mauvais pour la santé
Plus rien à faire
Voici que meurent les primevères
Dans l’effacement de la lumière
C’est notre histoire qu’on a voulue
Une tumeur d’or pur sous la peau nue
Tendue vers une grande idée de bleu
Nos paysages ne sont pas moins sages que les anciennes verdures
Nos horizons moins puissants
Notre amour est plus pur
Que l’air le plus pur du matin
Mais je ne vois pas d’autre choix que celui du Nord
Et ses couleurs maîtresses
Gris tourterelle
Bleu nuit
Puis gris perle Suggestion du mauve
Tandis que la bruine durable
Irrigue nos idées
Le monde passe
Et tu grandis
Je t’ai attendu longtemps en fixant la neige posée sur l’eau maigre de la rivlt;
Alors regarde bien
Pense bien à ordonner ta vision sur les lignes les plus discrètes du paysage
Puis de celles-ci détache l’allant de ta paupière
Jusqu’à ce que l’horizon te semble rouge
Reviens vers le détail pour que sa lumière t’éblouisse
Resserre ensuite la leçon sur les sentiers parallèles à la voie principale
Vois déjà les couleurs qui t’absorbent doucement et gagnent ton cœur
Et ton cœur entends entends le
Qui bruit soudain
Sourd flûtiste inconnu
Ton cœur est alors nouveau tel un vin d’automne
III
De l’automne la trace avancée sur le rouge
Estompe au fonds du ciel la nervure estivale
Sous le ciel insouciant de l’eau qui s’assoupit
Des horizons latents confondent leurs valeurs
Dernières Plus un chant Une vapeur d’alcool
Était-ce donc un rêve cet ultime passage ?
Ce miellat de l’exil inventé aux racines
Transfère au fonds du sable un air de palmeraie
Les oiseaux n’étaient pas cette ancienne voyance
Dont l’ultime remords a passé sous les vents
Sous le jour se délie des échanges amers
Et rien ne reviendra des rivières fanées
Ainsi tandis que meurt le jour avec les dieux
Qui n’ont vécu qu’un temps de se retrouver nus
Il manque soudain comme un supplément d’aurore
Vertu inachevée Visage à peine ombré
Le savoir de la nuit est déjà aux aguets
Et l’orage à venir est un velours inquiet
Ce monde était bien bleu Naïveté des formes
Les pluies sont allégées Les vents tête inclinée
Foncent vers les crêtes d’où sont partis les feux
L’herbe s’offre aux flammes comme fait toute femme
Quand le désir trop sec reflue loin sous le ventre
La plaine était si bleue et ses peuples si frêles
A force de mourir cette lueur sans vie
S’est figée dans la lune en brûlant du grand large
Le ciel n’est jamais vide à qui sait l’éclairer
Mais il sait combien l’âme est meurtrie du silence
Des souvenirs de terre oublient le goût des jours
Qui donc habite l’herbe à part ce songe vert
Mais restera toujours ce nom des paysages
Sans éclat sans gloire Ce souffle accoutumé
Et ce code ancien honoré sous la pierre
Jamais ne partira cet écrin de l’azur
Né sous la rétine Car le regard est libre
Et le monde est le fils d’une idée de lumière
Le paysage n’appartient à personne
Il est humble et limité par ses intentions
Il n’est ni aux hommes ni au temps qui pousse
Toujours libre de sa lumière
Cette lumière si amie de notre vie
Et son amitié sous la douceur du fruit
Se répand sans insistance telle une biche en émoi
Dans le paysage rien n’est périssable ni interminable
Il est ce bleu si rare que partage la vie avec notre mort
Sans jamais blesser Jamais caresser
Si propice aux étoiles Si accueillant aux secrets
Il est la promesse que quelque chose toujours est à revivre et brûler encore Un peu de désir en soi
Le temps d’une sonate, d’un dernier verre, le temps d’un après-midi ou d’un nocturne désir
Laisse donc vivre en ton corps ce dieu que tu ignores
Quatrième préparation (exercice IV)
La savane
Soit une étendue de savane rase saisie par le fleuve animal d’une migration millénaire qui court et emplit l’espace de son élan. Sur ses rives qu’ombragent les acacias et que baignent les pans d’azur veillent les prédateurs attentifs à leur sillage.
Recomposer alors la vision après avoir procédé à l’élimination visuelle de la faune et de toute idée de mouvement, d’éclat, de souffle, tout soupçon de vivant.
Tout un monde ainsi s’évanouit dans le silence du soir.
Alors, que voit-on sous/contre
Le souvenir des acacias enfuis ?
Vous tenterez de décliner la nouvelle perspective sous trois couleur différente.
Vous serez bienheureux si vous y trouvez désormais le plus infime point d’intérêt.
Ainsi le grand silence des hommes est loi jusque sous les tropiques.
©hervéhulin2025