De la poésie, de la critique et de la chronique, de la littérature, de la contemplation et bien des doutes sur l’humanité.
Juillet et voici l’été. Longtemps la saison la plus chaude de l’année, avant que le genre humain ne dérègle sa planète. Le soleil, attendu comme un bienfait est désormais un ennemi redoutable. Saison des fleurs fragiles, de l’horizon qui tremble, celle qui fait perdre aux hommes la tête et la raison. De nos jours, saison des canicules prioritaires. De l’été, voici ce qu’en disait Yves Bonnefoy, magicien des contrastes:
« L’été: un éblouissement comme est la neige. Celle qui vient légère et ne dure pas, et rien n’en trouble la lumière d’eau qui s’est condensée, puis s’évapore ». (in : Les planches courbes).
En attendant de brûler du seul fait de notre négligence, voici notre sommaire, sommairement énoncé… René Guy Cadou, et sa poésie aérienne. J’ai eu l’occasion de lire (et découvrir, je l’avoue) un roman de Germaine de Staël qui vaut le détour. Un vrai sujet sur la page blanche, que chacun redoute…La lecture, si belle lecture qui nous traine dans son déclin…Et deux belles expositions, dont l’une (dépêchez-vous) s’achève ces jours-ci. Voilà nos rubriques de l’été.Vous aurez noté, lecteurs attentifs, que cette lettre est très en retard sur sa périodicité usuelle, mais malgré ma désolation, il en est ainsi.
Qui connaît encore René-Guy Cadou ? Ce fut une belle rencontre de celle qu’on cueille aux librairies. Errant à la librairie Gallimard un après-midi d’août, je tombe sur l’édition Seghers des œuvres complètes (Poésie, la vie entière ; 558 p) de ce nom que je ne connaissais pas. Éclipsé par ses frères majeurs du milieu du siècle dernier (Éluard, Char, Bonnefoy, Dupin…) Cadou n’a pas eu la mémoire qu’il méritait, lui qui quelques années, donna le La de la poésie. Quelques années car mourir à 31 ans, ne donne pas l’occasion d’embrasser son siècle. Inspiration tragique, sur un ton de prière, parfois.
Ombre de moi par les chemins
Une larme perce ma main
Tu n’atteindras jamais demain
La pluie délabre ma poitrine
Mon cœur sauvez-moi des famines
(Saint-Herblon)
Poète de la campagne, instituteur, et croyant, son orbite est restée à l’écart des ferments littéraires de son époque. Sa versification est légère, suffisamment formelle pour assurer un rythme harmonieux. On pense à Aragon, bien sûr mais aussi Desnos.
Vole donc et soulève au fond de toi les portes
Homme que le jusant crucifie et emporte
Au loin sur les tréteaux impassibles du temps
La vague ensoleillée qui berce ton penchant.
(sans titre)
C’est régulier, la plupart du temps, avec fraîcheur et sans formalisme absolu, ce qui offre une lecture agréable. Cadou a l’art de très beaux titres, qui donnent l’envie de parcourir ce volume en désordre. A travers les branches, Origine des saisons, L’étrange douceur etc. La lettre aux amis perdus est emblématique de son art, modérément lyrique et plutôt musical.
Vous étiez là je vous tenais
Comme un miroir entre mes mains
La vague et le soleil de juin
Ont englouti votre visage
(…)
Maintenant j’ai peur de l’automne
Et des soirées d’hiver sans vous
Viendrez-vous pas au rendez vous
Que cet ami perdu vous donne
En son pays du temps des loups
(Lettre à des amis perdus)
Un « vous » destinataire du texte qui implique le lecteur dans la douceur, comme le souligne Jean Rouaud dans sa préface. Lecture précieuse, assurément.
Germaine de Staël fut-elle un grand écrivain ? (prononcer « Stal »).Elle est restée célèbre surtout par son esprit d’indépendance – impardonnable pour une femme à cette époque – et son opposition à Bonaparte, plus que par son oeuvre. Elle eut beaucoup d’influence sur la littérature renouvelée qui allait suivre (Chateaubriand et Stendhal, pas moins…), et la première à explorer dans le roman la psychologie féminine, avec une modernité qui nous étonne. Encore une fois attrapé par un titre à l’étalage d’un libraire, j’ai lu « Corinne ou l’Italie». Bon, si le titre chante, le style est encore assez conventionnel, et souvent pompeux quand il s’agit de décrire les émotions. Tourmentée d’un amour compliqué pour son Lord anglais (personnage pas très subtil, une caricature d’anglais neurasthénique et plutôt tête à claque) la pauvre Corinne à chaque tour de page se pâme, est saisie de vertige ou s’évanouit sous ses émotions… On pourrait s’en lasser, mais il y a une mécanique qui est bien nouvelle dans l’écriture de ce temps. C’est le monde intérieur des sentiments qui affronte les conventions, et non l’inverse. Et parfois, on a l’impression que la trame du roman est un prétexte pour évoquer l’Italie et toute ses beautés, son soleil, ses provinces, ses villes, sa mémoire et tout, ce qui donne son sens à notre lecture. Cette femme est un personnage compassé en ce qu’elle est un symbole, d’une nation qui captive l’inspiration européenne sous la botte napoléonienne. L’Italie, sa lumière et sa vivacité, est le personnage principal, dont Corinne est l’avatar. Romantique absolument, avant le romantisme. Inspiratrice de Stendhal, dont elle n’a pas la perfection du style, et porte ouverte au élans naissant du siècle, Germaine de Staël reste donc écrivain(e) sous-estimée, qui a su mettre la femme au centre de l’œuvre. On pourra vérifier, dans cette première décennie du XIXe siècle, c’est une nouveauté absolue. Pour cela seul, Corinne ou l’Italie vaut la peine, et assure une lecture heureuse.
Au final, c’est quoi le trouble de la page blanche ? C’est un curieux phénomène universel comme l’azur. Tout le monde en parle, comme d’une maladie, on la redoute mais on ne peut la fuir. Ce fut la matière d’un bel atelier en début d’année animé par Philippe Forest (en passant, allez lire son « siècle des nuages »). Souvent, dans le remède face au vide, il y a un secret, qui fait obsession. Il suffit d’en assumer la vibration intérieure et le reconnaitre. Celle de Forrest est douloureuse mais il en fait une inspiration rayonnante.
Bon, finalement, une page blanche, ce n’est qu’un moment de vide passager, qu’il est utile de contempler en face. Méthode et posologie expérimentale:
- 1.Prenez une image, une photographie, un incipit de roman essai (on peut faire le jeu et/ou expérience d’ouvrir un livre au hasard), le paragraphe d’un roman dont le style déroute, un souvenir de quelqu’un d’autre…
- 2. Pensez à votre sujet (car la page blanche est bien l’impossibilité ressentie d’écrire sur un sujet déjà pensé, plutôt que d’écrire tout court).
- 3. Faites le lien de façon artificielle entre des deux lignes de force, et écrivez. Vous verrez, c’est jouable.
J’ajouterai ici un conseil de Stephen King, qui est de ne jamais écrire pour le lecteur, mais toujours pour soi-même, à partir de son envie, de son identité, de son plaisir. King a publié 60 romans et en a vendu 350 millions (oui, vous avez bien lu…) donc, supposons qu’il sait de quoi il parle, quand il parle de LE Lecteur…
Pour moi, la page blanche, c’est d’abord la neige, et sa stupeur. Je l’écrirais un jour…En tout cas, suite à cet atelier – vous allez rire – j’ai entrepris d’écrire ce roman qui couvait depuis si longtemps. Gratitude pour M. Forrest. Et lisez « L’oubli », du même, un de ces beaux romans sur les mots, leur tourment et leur magie. Lecture lumineuse.
La lecture est un bienfait médical, physiologiquement constaté, pour notre cerveau. Et donc, pour le genre humain tout entier. Malheureusement, cette pratique disparaît des mœurs, on le sait.
Dans la dernière lettre d’Alceste, nous avons lu le pape François, et sa passion communicative de la lecture. Lire est un appel à la concentration de notre intelligence, et donc facilite sa construction, qui nous permet de nous identifier à des personnes inconnues ou disparues, de découvrir de nouvelles contrées, de vivre à des époques révolues ou futuristes, de raisonner, de mémoriser et même d’imaginer la suite du récit. En élargissant ainsi nos horizons, lire mobilise une grande partie de notre cerveau, contrairement à ce qui s’y passe lorsque l’on voit défiler à toute allure de courtes vidéos sur nos écrans… Des travaux de l’université de Toronto ont démontré que la lecture de textes activait, au-delà de la tâche de conversion de signes écrits en langage, un large réseau d’aires cérébrales. Bref, la lecture n’est pas seulement un plaisir intellectuel réservé aux intellectuels de l’élite gna gna gna. C’est une exigence de notre santé mentale, et voilà tout.
Par ailleurs, le « décrochage extrêmement violent » des Français vis-à-vis de la lecture, inquiète le Centre national du livre, dans son rapport annuel. Cette année encore, les Français se détournent de la lecture au profit des écrans, aussi bien chez les jeunes que chez les seniors, selon une étude. Et même quand ils lisent, les smartphones restent à portée de main. La durée d’attention est hachée et l’assimilation altérée. On se lasse plus vite, et on passe à autre chose. Un monde sans livre est désormais possible. Français, encore un effort et nous serons bientôt un peuple imbécile, prêt à élire des imbéciles (suivez mon regard……….).
Dans le flou, une autre vision de l’art… Depuis le sfumato de la Renaissance, l’esthétique du flou nuance dans l’expression artistique le discours de la clarté absolue de l’œuvre. Cette très belle phrase de G. Bachelard illustre la complexité du concept, « La valeur d’une image se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire ». (in « L’Air et les songes »). L’esprit humain cherche comme une obsession à accomplir la netteté, et pourtant, aime tant à se réfugier dans l’indistinct. L’exposition décline cette contradiction si créatrice à travers toutes les formes d’art, y compris les plus modernes, cinéma et la photographie, et les expansions infinies de l’art contemporain.
On admirera cette « Etoile du matin » d’Auguste Rodin, bas-relief onirique qui confond dans un même volume une masse minérale – si bien composée -et l’étrangeté vaporeuse du songe : la pierre épouse le flou. Impressionnant. Vous avez jusqu’au 18 août pour vous convertir à l’art de l’indistinct, si vous n’êtes pas encore affidé. (Musée de l’Orangerie).
Et enfin, un détail pour conclure cette 21eme. Car la vie d’un homme est un détail quand cet homme n’est pas suffisamment conforme à notre regard sur les hommes. Au mois d’avril, un jeune homme a été assassiné de 57 (cinquante-sept) coups de couteau dans une mosquée. Il s’appelait Aboubakar Cissé, il avait 21 ans, il était malien et musulman. Ce sont les seules causes de cette mort. Il a été littéralement massacré, dans l’indifférence de notre race blanche, de nos « français de souche » comme on dit maintenant, et du ministre de l’intérieur qui n’a même pas pris la peine de retenir son nom dans une allocution de trente seconde. 57, 21, 30. Trois nombres qui disent tout de l’époque qui s’ouvre : comme quoi les chiffres souvent disent bien plus que les mots.
Amis qui avaient encore le goût de la poésie, lisez et méditez ça: « Je ne conçois de poésie engagée qu’envers soi-même. C’est en cela qu’elle est délivrance, ou promesse de délivrance. C’est en cela qu’elle est un bien »
(René-Guy Cadou). Voilà, belle matière à dissertation…
Bientôt, sur les cahiers d’Alceste, nulle presse, mais des choses dont je n’ai pas idée car je ne les ai pas encore écrites, ni même pensées. Et je compte livrer quelques caractères sur ce peuple français qui fait un peu honte ces temps-ci. Ne trouvez-vous pas ? La cinquième leçon de paysage arrive, mais difficile à mettre en page sur ce format. En tout cas, il y aura bien une vingt-deuxième lettre, quand l’été finira.
Allez, ne faiblissons pas, et croyons fervemment à la littérature amateure. En attendant, les Cahiers d’Alceste, c’est toujours par ici et ci-dessous. A bientôt, si on nous le permet encore.
(ceci est le lien vers le blog, pour rappel)
Et n’oubliez pas vos bienveillants commentaires…
hervéhulin©2025