Pyrame a la chance d’être riche – riche, vraiment, comme vous n’en avez pas idée-  et chaque jour le gratifie de cette situation. Il jouit de tous les biens possibles, sans avoir vraiment l’occasion de travailler ou de craindre le lendemain. Mais pour lui, être heureux de son sort, ce qui est la moindre des choses, ne le rend pas incurieux du sort des autres.

Souvent, il s’interroge sur ce que serait la vie sans cette fortune que le ciel lui a destinée. Ce questionnement est sans réponse car il ne connait pas d’autre situation que la sienne. Comment savoir, se dit-il, ce qu’est le travail, et d’aller chaque jour par un métro bondé, retrouver le même bureau, un atelier, un commerce… D’avoir une tâche à accomplir, qu’on n’aura point choisie, dans un temps limité peut-être, ou encore de la répéter tous les jours… D’attendre un salaire chaque mois, et de s’en servir pour acheter toutes ses choses nécessaires que lui, Pyrame, ne sait pas acheter car ce sont ces gens qui s’en chargent ; mais aussi, toutes ces choses moins utiles, ces choses belles et agréables et qui coûtent tellement plus que celles qui sont nécessaires. Et à propos de nécessaire, c’est quoi cette nécessité dont on parle tant, dont l’idée le questionne un peu, elle aussi, et dont il ne saisit pas la vérité?

Tourmenté de ces questions, Pyrame prend une décision. Sortant de ses domaines, s’éloignant de ses terres, il va à la rencontre des gens, s’introduit dans un café d’un quartier peuplé de gens qui travaillent :  royal, il salue et offre la tournée.

Il est accueilli en conséquence. Le voilà qui parle, et comme souvent on ne dit que ce qu’on sait faire, il parle bien de lui. Pendant deux heures, il ne parle que de ses grandioses propriétés, de ses luxueuses villas à l’étranger, de ses appartements immenses comme des terrains de football à Londres, New-York et Milan ; de la bourse, des actions et placements que ses légions d’agents assurent pour lui, de ses avoirs financiers stockés aux émirats, au Panama et dans bien d’autres contrées dont ces gens ne connaissent sans doute pas la place sur une carte, ni même le nom ; des innombrables fondations et hospices qu’il a fondés sur toutes les terres émergés du globe. Il parle avec couleurs des casinos, des jets, de palaces et de jeunes femmes aux charmes onéreux. Il en oublie même de demander à son auditoire ce qu’il était venu entendre. Puis, joyeux du bilan de sa vie ainsi arrêté grâce à l’attention de ces gens, il s’en retourne sur son orbite. Et il se dit que ces gens véritables sont bien modestes, qui ont si peu de choses à lui dire sur leur sort.

Jamais il ne saura, Pyrame, que de ces gens véritables,  aucun ne l’aura cru, aucun ne l’aura estimé, aucun ne l’aura écouté. Car l’indifférence des humbles reste la première veine de la sagesse.

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