Nous voulons vivre toujours mais nous voulons vivre plus encore. Demain comme aujourd’hui. En nous, deux faces se confrontent sans jamais faiblir. Celle qui entend profiter du monde à l’instant, et jouir des plaisirs qu’il nous permet de consommer. Et celle qui aimerait bien rester en situation de faire encore de même dans cent ans. Mais voilà, pour notre malheur, notre Terre si étroite s’épuise de nos actions. On le sait depuis longtemps, on ne le voit que depuis peu. Nous voulons boire tout de la source, mais nous désirons que perdure tout là-bas le flot de l’estuaire. Comment choisir entre la vie maintenant, celle qui bat tout de suite, là, contre la porte, et celle dont on entend à peine encore le pas, mais qui nous appelle des lointains estompés de brume ?

L’homme est ainsi fait qu’il ignore, sous cet esprit limité qu’il imagine sans limite, comment habiter sa maison sans la consumer de ses mille envies toujours recommencées. Il ne connaît le sens et la voie de tout ce qui a fait de lui cet être dominant. Voyageur maladif, explorateur impénitent, il est égaré dans une forêt vierge, dévasté par la soif. Les arbres de cent pieds de haut lui voilent la lumière. A bout de force, il entreprend alors de creuser à main nue ce sol tourbeux, dans l’espoir de faire jaillir une source. Vite, avant que le soleil invisible n’achève de le ruiner. Son énergie se tourne tout entière dans le désir de boire. Il s’affaire et s’essouffle à la tâche. Ses doigts attaquent la terre meuble mais toujours plus profonde. Bientôt, ses épaules et ses bras sont endoloris. Tout son corps, devient à chaque levée, plus desséché. Sous l’effort, la sueur le vide. La chaleur des tropiques est sans pitié. Ses forces – celles-là même qui lui ont permis l’entreprise de traverser cette immense contrée- se perdent sans retour. Voilà, il est épuisé absolument. Il tombe face contre terre. Son souffle cesse. Son cœur se tait.

Il n’a même pas vu comme il pleut au-dessus de lui, il pleut encore et toujours, de cette pluie d’Afrique dont le ciel depuis des millénaires, fait don à cette vieille terre. Il suffisait de lever le nez, de cueillir une feuille, de la rouler et d’attendre que le ciel la remplisse. Quelle volupté c’eût été. Mais il est trop tard. Et nous sommes ainsi, qui ne savons voir ce qui est donné. Il suffirait d’écouter.

 

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