Voici Alberic qui podecaste son opinion comme chaque semaine  sur son site internet; il nous parle en vidéo de son large canapé. Son visage trône sur l’écran. Il est bien nourri, le teint rose et l’œil bleu. Derrière lui, le plan laisse voir une vaste pièce, une grande bibliothèque, deux larges fenêtres. Alberic est satisfait, il a réussi et c’est une bonne chose qu’il en profite.  Il appartient à ce genre nouveau de magicien, qui modèle le monde aux seules convenances de sa vue et de son opinion. Il détient des vérités nouvelles, toute de son cru. Elles lui permettent de savoir et comprendre ce que nul autre ne sait ni ne comprend. Il s’exprime d’un ton doucereux, l’orateur ; il fait lentement tournoyer ses branches de lunettes pour souligner ses propos. Parfois, il fixe durement sa caméra pour appuyer une vérité sans apprêt. Il prononce des phrases telles que “ C’est une vraie question, mais personnellement, je ne la poserais pas de cette façon”... Ou “Je vais vous expliquer pourquoi les choses ne vont pas se passer comme ça...”. Ou encore, de la proposition d’un autre:” C’est une idée intéressante…”

De l’intérieur attiédi de sa bulle , il sait comment changer le monde. Sa chronique de ce jour nous parlera de la révolution, qu’il appelle de ses vœux.  Force est de constater, dit-il, l’incapacité des classes qui nous gouvernent. C’est un fait, et il n’y a point de débat utile. Il va bien falloir en changer et comme l’élection ne le permet jamais, ne fait que reproduire les mêmes modèles qui nous dirigent, et a perdu son sens, le retournement doit être brutal. Nulle loi issue de cette engeance ne saura changer cette société autant qu’elle doit l’être.

Le grand soir est imminent, l’heure approche. Il faut chasser ces élites décadentes- voilà, le mot suprême est lâché, qui suffit à rameuter tous les rebelles – et les remplacer grâce à ce salutaire chambardement. Changeons les têtes et ne tremblons pas. Après tout, une révolution, bien maîtrisée, par des gens sages, n’est jamais si violente que ses adversaires veulent bien le soutenir. Des mouvements d’humeur et de foule feront bien le prix modéré d’une omelette. Quelques carreaux cassés, quelques coups de poings salutaires, à la rigueur quelques erreurs et notre affaire est réglée. Alors commencera une nouvelle ère qui sera forcément, inévitablement, et logiquement, préférable à ce fort vilain état social que ces  élites fatiguées nous imposent.

Il parle si bien, Alberic, qu’on l’écoute avec humour et tendresse. Il ne sait pas qu’on sait : son parcours antérieur est connu, qui l’a amené jusqu’à cet écran. Alberic, il y a bien des années, a échoué à l’ENA ; il n’a jamais fait sa place dans la compagnie d’assurance, qu’il a quitté, comme il dit, en claquant la porte ; la société qu’il a créée par la suite, a rapidement fait faillite. Telle est la conviction d’Alberic. Il faut changer les élites.

 

 

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