Beethoven au Tribunal Suprême de la Culture annulante.

 

Indice conoscopique : 9/10.

Beethoven s’est récemment retrouvé lui-aussi au tribunal de la culture annulante (pas trouvé de meilleure traduction). En effet, un musicologue et un journaliste (américains…) ont pu soutenir sans trembler que « les personnes au pouvoir, en particulier les hommes blancs et riches » auraient érigé la Symphonie N° 5 en symbole, plus encore, en levier, du modèle de leur supériorité culturelle. Loin d’être l’ode à l’humanisme qu’on a voulu y entendre depuis deux siècles, ce monument ne serait plutôt que le « symbole de leur supériorité et de leur importance », renvoyant à un sentiment d’exclusion les autres communautés raciales et sexuelles. Un article publié sur le média en ligne Vox par le musicologue Nate Sloan et le journaliste Charlie Harding développe cette thèse hardie. C’est idiot et joyeusement digne du Conotron, avec la récompense d’un fort indice conoscopique.

On peut y lire cette ineptie brillante : « Pour certains, dans d’autres groupes – femmes, personnes LGBTQ +, personnes de couleur – la symphonie de Beethoven peut être principalement un rappel de l’exclusion et de l’élitisme dont est porteuse l’histoire de la musique classique. »

En exigeant du public, par la complexité de son langage, une écoute plus attentive que par le passé, la 5e aurait imposé de nouvelles normes dans l’organisation du concert : « Ne pas tousser ! » ; « Ne pas applaudir ! ; « S’habiller de façon appropriée ! » Autant de « signifiants de la classe bourgeoise » qui, finalement, font de la Symphonie n° 5 « “un mur” entre la musique classique et un public nouveau et divers ».

Ce serait donc bourgeois et élitiste, absolument. D’abord parce que – selon Sloan, on espère que vous suivez toujours – l’écoute nécessaire impliquerait une exigence intellectuelle et une sensibilité suffisamment éduquée pour en intégrer les codes. Sans cette instruction, on serait à côté de la plaque et du message. Ensuite, parce qu’elle s’adresserait, en conséquence du premier argument, à une élite identifiée sur une étiquette sociale fermée.

Bon, c’est idiot, absolument, et c’est faux, archi-faux;  le pauvre M. Sloan nous démontre d’abord qu’il n’a pas mis les pieds ni les oreilles dans une salle de concert depuis longtemps, peut-être même depuis toujours. Il y aurait vu de ses yeux vus que l’étiquette sociale et vestimentaire qu’il évoque n’existe plus, n’existe pas. Il y a dans la grande salle de la Philharmonie plus de jeans et de baskets que de cravates. Pour ma part, je n’y ai jamais vu un smoking…

Allez faire écouter l’œuvre ainsi décriée aux confins du monde, à un public qui ne dispose pas des codes (imaginaires) fabriqués par M. Sloan : un pygmée, un inuit, un cherokee, etc.  Dans des conditions de confort d’écoute suffisantes. L’effet tonique sera le même. Ce cœur des hommes, ce cœur unique et partagé, aura imprimé, partout dans le monde, sitôt que le puissant accord final aura achevé son roulement sonore, une émotion de joie dynamique universelle.

Beethoven n’est pas un modèle blanc, mâle, hétérosexuel. Beethoven est un compositeur universel, Beethoven est patrimoine de l’humanité entière. Beethoven est une femme, noire, pourquoi pas lesbienne. Beethoven est handicapé. Beethoven est un combat, à lui seul. Sa symphonie N° 5 (et rappelons à M. Sloan, qui semble l’ignorer, qu’il y en a huit autres, et plus de 135 opus au catalogue), la symphonie N° 5 donc, pour la première fois dans l’histoire de la musique, exprime la transformation positive et dynamique du monde. Mais attention, M. Sloan, attention où vous mettez les pieds : si Beethoven est un bras armé de l’élite, voyez-vous le fil que vous tirez ? On en doute. Alors, avant lui, Bach, Haendel, Mozart, et après lui, Brahms, et Debussy, et Messiaen, n’en parlons même pas. Et pourquoi pas aussi Shakespeare et Proust, Dante, et Cervantès ? Renoir et Rembrandt ? Pas un ne restera. Voilà, tout s’annule sur une même cause erronée. Car les œuvres des grands esprits sont belles, et c’est par cela seul qu’elles entraînent vers le haut les esprits qui sont moins grands, pour qu’un jour, ils le deviennent peut-être à leur tour…

Sloan et Harding aiment-ils vraiment la musique ? Assimiler un tel génie à une seule catégorie de la population et prétendre que les autres, renvoyées à un sentiment d’exclusion, ne peuvent s’approprier son œuvre, nous suggèrent une conclusion : ne sont-ce pas eux, les sourds ?

(lien : https://www.vox.com/switched-on-pop/21437085/beethoven-5th-symphony-elitist-classism-switched-on-pop).

 

©hervéhulin