A Alain Borer

Quiconque en s’endormant n’entrevoit pas l’idole,
Aura perdu le sens et l’ardeur de ses ombres ;
Peu importe les lois, les quotients, et les nombres
Quand brûlé de son sel, le temps seul se gondole.

Comme les hommes qui chaque jour les façonnent,
Les mots surviennent de lointains paysages
Pour agencer tout seuls de vivantes colonnes
Traversées de lumière où pleurent des nuages

La cause est entendue. Qu’avons-nous donc à dire ?
Nos verbes sont de bois et d’ivoire nos larmes.
En vain nous ahanons pour tenter de transcrire
Cet âtre inextinguible et rouge au fond de l’âme.

Que nous dit la nature ? Elle est sourde et se tait :
Nous ne percevons rien de la neige sur l’eau.
Que souffle donc l’esprit à nos esprits épais ?
De bien pauvres transports en guise de radeau…

Le passage est étroit où le verbe se lève
Et la rime nous lasse à force de tanguer
Cet acharné combat est sans espoir de trêve
Son peuple de martyr n’en sera pas vengé

Le verbe se rebelle et son angle s’évade
Sous les mots un soupçon glisse comme un ruisseau
Épuisés de dompter la césure en ballade
Nous restons distancés par nos propres signaux;

Nous cherchons le chemin loin des feux de traverses
Perdus dans la fumée Nous guettons le fanal
Mais à peine assemblées les idées se dispersent
Et chaque ligne écrite accable le moral

Mais ce monde n’est rien qu’un sanglot de rosée
Et de tous ses reflets et signes qui s’effacent
A peine écrits, aucun miracle ne surpasse
Le ravissement sous la magie d’une ondée.

Sans nom possible est la merveille de l’aurore,
Nulle figure suffit à la splendeur du jour.
Pourtant, nous avançons et tâtonnons encore,
Rajeunis de tracer cet éternel labour.

Et si nous implorons, blessés et opiniâtres
L’éblouissement d’or du vieil archer d’argent
Si notre ardeur l’éveille Il lâchera peut-être
Une flèche éclairée du fond du firmament

Sitôt meurtrie la terre une idée fleurira
Novice et cheminant sur deux mots qui s’agencent
Nous clamerons alors de vastes gloria
Nos verres de vin blancs soulevés en cadence

Nos cœurs éclairés par l’œil secret du Voyant
Comme un vent de grand large soulève ses embruns
Radieux nous saluerons sur la mer qui s’éteint
L’astre déjà pâli sur son char rougeoyant.

 

 

©hervéhulin