Alcibiade est un citoyen politique, élu du peuple. Il travaille, sans compter son ardeur, pour l’intérêt général. De celui-ci, il a l’instinct et l’ambition. Cette ambition qui le porte et le façonne. A l’Assemblée, il propose et interpelle sans lasser. Il est souvent vu dans les rues, sur les places, sur les marchés, partout dans les espaces où la vie publique se joue, partout où son mandat l’appelle. Bien des gens vont au-devant de lui sitôt qu’il se montre, lui serrent la main, et lui parlent d’eux et de leurs affaires. Tantôt il interroge, tantôt il répond. Mais jamais il ne se détache des préoccupations qu’on lui soumet. Sitôt qu’il s’éloigne, on parle de lui durablement. D’ailleurs, cet affairement dans la vie de la cité, et de ceux qui la composent, ne plaît pas toujours, pas à tout le monde. On le juge trop présent, il est toujours en vue. Partout l’attention est captée par ses mots et ses actes ; il fait de la politique, disent certains, il est loin de l’esprit public, ajoutent d’autres. Il fait surtout de la politique, avec un bien petit p, surenchérit celui-là qui le saluait tout à l’heure. Cette attention soutenue aux autres, est trop marquée pour être sincère. Il n’y a aucune raison de faire confiance à un homme politique, répète cet autre. Ces gens-là sont loin du peuple, et ne courent que pour leurs seuls intérêts. Très peu sont honnêtes, tous sont menteurs. Tous sont de la même caste, si étroite. A vrai dire, ne sont-ils pas détestables, tous autant qu’ils sont ?  Alcibiade est bien de ceux-là. Ainsi, tous le dénigrent et le détestent du seul fait de la fonction qu’il assure, et du tour qu’il imprime à cette mission que l’élection lui a commandée. Pourtant, sa position n’est que l’effet du mandat qui lui a été confié. Faut-il qu’un peuple se déteste lui- même sans limite, pour mépriser à ce point le produit de son suffrage.

 

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