Léandre est fort aimable, chacun vous le dira. Il est doux, bienveillant dans ses jugements, et toujours respectueux des propos d’autrui. Comment se fait-il donc que les gens le détestent ? Son père ne l’a jamais aimé et même l’a rejeté, comme on le fait d’un être indigne. Sa mère est indulgente avec lui, mais elle le dévore de ses exigences inlassables. Et aussi de ces maladies, de ces faiblesses. Sa sœur ne le supporte pas. Ces enfants, déjà grandis, l’ignorent et sont près de l’oublier : ils maintiennent à présent avec lui la plus longue distance qu’il leur est possible. Léandre a des amitiés qui ne durent jamais, quand elles ne se terminent pas très mal. Il est naturellement porté vers des gens avenants :  il s’en trouve souvent déçu ou trahi. Partout dans sa vie, ce ne sont que des tensions et des ruptures. Tous l’évitent, la plupart le dénigre ; il les exaspère tous les jours. Pourquoi donc tous ces gens détestent-ils Léandre, quand lui ne recherche que leur meilleur sentiment ? La vérité est souvent aveuglante ; si ce pauvre Léandre insupporte autant l’univers, c’est parce qu’il ne se supporte pas lui-même, et tout le monde le sait sauf lui.