Les inimitiés subliminales.

Regardez sur l’horizon, derrière l’étendue des champs et le liseré des bois, la silhouette compacte de ce village ; le calme robuste qu’exhalent ses toitures anciennes, la ligne des murs empierrés de grès ancien, et surtout ce clocher élancé sur le bleuté du ciel, incarnent l’image de la douceur de vivre. L’esprit navigue un peu et, sans effort, se représente les rues heureuses, l’école radieuse dans le bruit des enfants qui courent, l’odeur merveilleuse du pain vers la devanture de la boulangerie à l’ancienne. Sur la gauche, un petit bâtiment est délabré, le carreau semble brisé, peut-être est-il vide ou l’aura-t-on abandonné. Par devant, la verdure tavelée de boutons d’or, car c’est l’été.

Voyez sur cette grande photographie, comme toute une famille rassemblée échelonne ses quatre générations sur les marches d’une mairie. Les membres en sont très nombreux, qui couvrent tout le perron, jusqu’au portique du bâtiment municipal. Adultes, grands aînés ou enfants, chacun pour la circonstance heureuse du moment, a revêtu de jolis vêtements. Tous ces visages d’allure allègre fixent droit devant l’objectif qui va les saisir. Ils sourient tous d’un même sourire, comme une seule figure, rassemblés dans l’harmonie du moment. Sauf un, derrière, dont les traits restent fermés, le regard dévié sur la gauche de l’image, vers la vieille dame au regard absent. Des bouquets de fleurs çà et là colorent cette petite foule.

Et maintenant, observez attentivement cette petite entreprise familiale et provinciale qui siège dans une ville moyenne ; fondée il y a huit décennies par deux frères aventureux, elle a transmis son savoir-faire et son histoire à de nouvelles générations ; à présent, celles-ci en ont fait une sorte de start-up déjantée, dans un local en loft avec baies vitrées circulaires où tout se voit et rien ne se cache. On y perçoit des conversations joyeuses, et souvent des fous-rires. On y est solidaire par profession. Tous les locaux sont partagés, et le travail aussi.  Sauf une exception parfois, ou deux, et il est arrivé que quelqu’un soit seul dans un bureau individuel, au bout du couloir de rez-de-chaussée, mais jamais bien longtemps, et ça importe peu. Car ce n’est ni la norme ni l’esprit de la société.

Il en est ainsi depuis que les hommes s’associent à d’autres hommes : de loin, un village, une famille, une entreprise donnent toujours une figure heureuse, et chacune paraît unie. Mais de près, ces communautés du genre humain ne seront à jamais que chapelle et querelle, polémique et dispute, dévorées par les instincts solitaires, pour tout et rien. Et des secrets à travers les nuages, et des mauvais sentiments nourris derrière le paysage.

 

 

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