La considération des autres est souvent le seul étaiement de l’estime que l’on se donne. Là où l’esprit s’interroge et doute, des mots dans l’air et des avis volatils s’empressent de le conforter. Quelle que soit la façon dont on vit avec les autres, c’est une loi qu’on ne peut ignorer.

Cimon est brillant et amical. Mais le voici préoccupé sitôt qu’il est entouré ; le regard des autres souvent lui fait problème. Il craint qu’on le juge mal. Aronce est lui aussi, en toute circonstance, inquiet de ce qu’on verra de lui ; il n’aime pas trop être vu. Cimon et Aronce tous deux sont soucieux de ne pas être négligés.

Cimon cherchera toujours à plaire, sans faux-semblant car c’est un homme bon et aimé de ses proches, souvent estimé de ses contemporains. Sa notoriété est d’un éclat modéré, mais qu’il entretient pour briller. Briller juste assez qu’on lui en rende grâce. Il plaît souvent et ça lui plaît. Il est fier. Aronce a besoin qu’on le remarque, mais n’ose pas montrer en société les postures qui conviendraient ; il est humble.

Cimon invite beaucoup. Il sait donner de lui-même envers les autres, leur offre de larges moments d’amitié et de partage. Sa conversation est habile, elle est variée ; son entrain toujours valeureux, et met à l’aise ses convives même en grande société ; ses amis sont nombreux, leur fidélité à toute épreuve au fil des jours. Il sait écouter, et ne jamais négliger. Il cherchera, sans cesser, à gratifier des services qu’on lui a rendus, à ne jamais décevoir, à toujours rendre les circonstances plus faciles à autrui, sans demander qui est cet autrui et ce qu’il peut donner d’abord. Cimon est tout ainsi. Aronce craint de ne pas faire assez bonne figure quand il est parmi la foule, quand bien les gens vont vers lui et lui donnent pourtant ce qu’il attend. Il veut rester discret, mais il désire aussi captiver l’attention. En vérité, il veut qu’on le voit mais redoute qu’on le regarde.

Cimon souvent demande des avis, sans avoir l’air d’y faire ; est-il assez bien mis de sa personne aujourd’hui, comment était la table au souper, le cognac fut-il suffisamment ambré ? Des conseils aussi : une écharpe de soie sur un pardessus, un Cheverny rouge servi sur un poisson grillé, des roses blanches à une vieille amie, tout cela se fait-il ? Dites-moi donc, permettez- moi de faire mieux, de plus vous servir encore, d’être plus affable et plus honnête encore que la veille. Qu’on propose ce qu’il peut faire encore, et encore, aujourd’hui comme demain, pour qu’on dise une fois, une fois seulement à voix haute et devant tout le monde : « Cimon est merveilleux, oui, merveilleux, il l’a toujours été ». Aronce regarde ces usages de très loin, il en a perdu le sens : la seule vérité qui l’obsède, c’est si on le verra aujourd’hui, et ce qu’il en aura gagné à la fin du jour.

Cimon chaque matin se lève en pensant aux bienfaits que la journée va lui donner, et prévoit déjà d’en remercier tous ces gens qu’il connaît. Il est avocat, parle bien et vit avec succès depuis plus de dix années. Aronce, lui, n’a plus de foyer, vit dans la rue depuis vingt ans, et, les yeux baissés, attend un peu d’aumône jusqu’à demain.

 

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