Qui es-tu, Dorinte ? Te connait-t-on véritablement, toi qui toujours bouge au premier plan ? Tu parles et agis sans cesse, et toujours au travail. Ton labeur te met toujours en mouvement. Tu es là et ailleurs, partout où se porte le regard de ceux qui t’approchent. Tu occupes le temps et l’espace. On te voit sans cesse avec un dossier, agitant des papiers, l’œil vissé à l’écran de ton ordinateur, et quand tu n’es pas soudée à ton bureau, tu l’es à ton portable. Quand tu ris, c’est d’une histoire survenue à un collègue, dans son bureau ; quand tu racontes, c’est une réunion, et quand tu te moques, c’est de la cravate d’Argan du service comptable, ou la récente coiffure de Doramène à la banque d’accueil. Tu passes dans la rue, c’est en scrutant des pages, en téléphonant à voix très haute, et on t’entend régler vite fait le problème de la salle du congrès, comme celui de la clôture budgétaire, le contrat du nouveau stagiaire et n’oublions pas le client mécontent que tu as rattrapé d’un seul appel, entre Bastille et République. Tu ne vis pas dans le travail, Dorinte. Tu es le travail ; tu incarne l’ambition et la carrière. L’énergie et la considération. Mais pourquoi donc es-tu si indispensable ? Mais quel est ton travail, Dorinte ? Nul ne saurait le dire, parmi tous ceux que ton spectacle afflige chaque jour. Toi-même, connais-tu la direction que cette vie, choisie, t’impose?