C’est une bien étrange constante de notre temps et de notre peuple que cette passion de se clamer dans la conversation le meilleur ministre de toute chose. Qu’une guerre éclate aux antipodes, qu’un déluge ou une épidémie se déchaînent, qu’une nouvelle loi déchire la société, voici que sans appel et sans délai chacun se met en tête de régler l’affaire qui gronde. Et nos gouvernements, quelle qu’en soit la couleur, sont soudain réduits au profil d’une puissance hostile, poussée par des intérêts occultes, dont le grand dessein est de nuire à tous. La solution qui nous gouverne ne sera jamais la bonne. A la terrasse de son café familier, dans le fauteuil de son séjour, un verre de vin blanc à la main et ses amis ou sa famille disposés en arc autour de sa personne, notre citoyen égrène les réponses faciles qu’une juste et saine politique aurait dû produire.

Ariste est bien installé dans son propos, il règle en bonne compagnie la question du chômage de masse. Il suffirait de ceci, et de décider une fois pour toute que cela est ainsi, et montre qu’il faut voir les choses comme ça. Et voilà tout, ce n’est pas compliqué, mais que voulez-vous, ceux qui gouvernent la France sont des ânes, et ils n’ont pas saisi cette vérité première. Et voici Cléon, qui traite la gigantesque question de l’effondrement du climat. Qu’on l’écoute et le laisse agir, et le genre humain s’en portera mieux. Les choses sont pourtant simples, si les autorités pouvaient l’entendre, il n’y a qu’à faire une loi qui prescrirait ceci et non pas cela, au contraire de ce qu’a entrepris ce pauvre gouvernement qui fait bien fausse route depuis le début, ou du moins, depuis qu’on en parle ; et d’ailleurs, il y a bien des choses dont on ne parle pas, de façon fort volontaire, on le sait bien car tant de causes nous sont cachées, pour qu’on n’en saisisse pas la clé; somme toute, cette affaire de climat qui se réchauffe, c’est bien plutôt la question d’un mauvais gouvernement. Et Léandre, voyez comme il a tant d’idées justes pour rendre définitivement soluble cette terrible problématique des migrants ; il suffirait de faire ainsi, et il n’y a qu’à, une fois pour toute, faire en sorte que voilà, et le sort de ces pauvres gens sera établi, et celui des autres enfin soulagé. Il n’y a pas d’explications autre que l’idiotie de nos princes et de leurs armées de complices, tout verrouillés qu’ils sont dans le système qui les fait tourner sans fin, à cette situation qui nous fait déferler sur nos rivages des hordes de miséreux, pas toujours innocents, il faut bien le dire ; et notre Léandre, lui, n’a pas peur de le dire, d’autant plus qu’en toute circonstance, sa conviction citoyenne procède d’abord du fait qu’il a raison.

Après avoir retourné les problèmes de sa nation une fois pour toute, Ariste est en difficulté devant son écran, les rubriques de sa déclaration d’impôts en ligne ne lui parlent pas, il n’en saisit rien de l’ordonnancement, au point d’en perdre le sommeil; Cléon est vaincu, abattu même par cet étroit dégâts des eaux de la cuisine, après qu’il a constaté que sa police ne l’assurait pas contre ce drame, pour la seule raison  qu’il s’est trompé de clause au moment de la signature; et notre Léandre, impuissant face aux coups de la fortune contre son foyer, succombe à l’adversité de ses propres dépenses qui ont mis sans prévenir son compte en banque en grand découvert.

Ainsi la vie simple de l’univers domestique surprend le sort de la nation, l’ébranle et le domine. Ces grands politiques qui entendaient soulager le peuple de ses soucis, mettent soudain genoux en terre. Pourtant, ces contrariétés sont toutes normales. Toujours face aux petites affaires sombrent les grands hommes d ‘État.