Nous savons qu’une immense plaine baignée de rivières et de soleils, éclairée de matins blancs et de soirs bleuis, peuplée de nuées d’oiseaux et d’arbrisseaux, animée du murmure des insectes ou du pas lent des éléphants, peut très vite se muer en hideuse zone industrielle. La beauté du monde nous saisit parce qu’elle passe. Et quand elle passe, nous vieillissons. Alors nous y cherchons l’émotion fugitive que les relations sociales ne peuvent pas nous communiquer. La goutte de pluie qui subsiste, tremblante, sur une feuille, après l’averse, capte dans son minuscule volume, si on y regarde bien, le reflet de tout le paysage qui l’entoure. Encore faut-il savoir, faut-il pouvoir accéder à cette contemplation. Notre optique naturelle ne nous le garantit pas ; mais toute captation de l’éphémère nous gratifie d’un progrès intérieur irréversible. Car la beauté « si prompte à se défaire » (comme l’écrit Kawabata) vous donne envie formidablement de vivre. Nourri de la beauté sauvage du monde, ne sommes-nous pas meilleurs ?

 

©hervéhulin2023