Hermas a la passion de la nature, du vivant en général et des oiseaux en particulier. Voilà pourquoi il ne saurait se passer de chasser. Il ne vit que pour cela.  Tous les autres égards que l’existence peut lui offrir ne le concernent que si cette ardeur reste intacte. De toute sa vie, il n’aura eu d’autres affaires que celle-ci.

Les oiseaux sont un peuple magique ; Hermas les connaît tous. Il sait reconnaître la voix du chardonneret, comme celle d’un vieil ami ; il sait lire le vol tournoyant des vanneaux au- dessus des champs ; il sait dévoiler l’art sans égal de la bécasse de se cacher sous les feuillages ; il sait entendre et comprendre l’appel du souchet derrière les roseaux. Enfin, il connaît tous les signes de ce monde, que la nature a codifiés depuis des millénaires. Le vol, la silhouette, le chant, la parure, Hermas connaît tout.

Marcher dans les bois, sous la senteur des fougères et des feuilles mortes, sous la rumeur des feuillages, dans la quête de sa proie, chercher des heures la cible qui fera son bonheur, voilà tout le sens d’une vie. Partir avant le lever du jour vers la bordure des marais, s’installer à l’affût, dans le silence de l’aube qui point ; et puis, voir dans la première lueur du jour, là-bas, encore lointaine, frémir la première ligne de vol des oies sauvages, tout juste à l’essor, qui partent vers le sud. Ah… s’il fallait vivre sans cela, il conviendrait plutôt de mourir ici et tout de suite, dans cet instant magique et en respirer l’infime ardeur une dernière fois. Tout l’or de l’univers ne pèse d’aucun poids face à ce bonheur-là. Et c’est bien cela, le véritable esprit de la chasse.

Voici qu’Hermas est à la traque, à présent. Les bords de l’étang sont silencieux, comme absents du monde. Que chasse-t-il aujourd’hui ? Malgré sa ruse et ses détours, la bécasse ne survivra pas ; le destin de la proie est ferré avant même que l’oiseau soit repéré. Il progresse dans les sous-bois, à pas lent et aux aguets. Sa main est ferme sur son fusil armé. Chargé de plomb numéro 6. Plus sûr à l’impact, tant pis pour le plumage. Le doigt ganté sur la détente qui palpite et tremble. Son esprit est durci comme un acier neuf.  Cela fait six heures à présent que le chasseur est en quête. Il a beaucoup marché, le pas glissant sur l’humus et les feuilles mortes.  Six heures harassantes. Pas question de rentrer la besace vide. Il y a un compte à régler et ce sera fait avant midi.

Soudain, sous les fougères, près de la lisière des eaux, quelque chose bouge.  Il tire. Le plomb déchire les feuilles, et un nuage de plume frémit sur la verdure. Des gouttelettes de sang aussi. Hermas accourt et se penche. C’était un héron cendré. Le plomb lourd lui a cisaillé la tête, et emporté l’aile droite ; les viscères sont sortis sur la mousse. Dis-nous donc, Hermas, quel oiseau ressemble moins à une bécasse qu’un héron ? Peu importe, le feu de la passion a parlé, et l’ennemi est mort. Et de milliers de gibiers jadis vivants, les fantômes pâlis pourraient parler : les oiseaux, Hermas les désire plutôt morts que vivants. Car c’est bien cela, le véritable esprit de la chasse.

 

 

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