De l’illusion et de la lanterne.

Si les hommes pouvaient voir le succès de leurs espérances garanties sans aléas ni à-coups du hasard, si le sort leur était toujours favorable par une trame assurée, si les conséquences de leurs projets étaient lisiblement écrites quelque part, ils n’auraient pas besoin de s’interroger sans cesse de l’avenir et ses équations à centaines d’inconnues ; de sorte qu’il n’y aurait dans toute la vie plus de place pour le doute et l’habitude de redouter les crochets de la fortune. Une lanterne éclairerait d’une lumière basse la trace à venir, en captant les feux passés du jour. Et la nature des jours à venir en serait bien assurée, et les hommes heureusement soulagés.

Mais rien de tout cela n’est réalisé comme ils le voudraient, et chaque seconde de leur existence ne sait préjuger des suites que va occasionner la suivante : ainsi, ils inventent toute sorte de travers à la destinée, et ne peuvent qu’imaginer des alternatives à cette désespérante condition qui les opprime, entrouvrant des fenêtres latérales par où brille l’éclat des superstitions et des croyances, pour les soulager de ce cruel balancement entre la peur de la vérité et la crainte de l’erreur. Ils attrapent en aveugles toutes sortes de lueurs et de reflets, qui les affolent et les séduisent tels des alucites à la tombée du jour. La lanterne est restée vide dans les feux du soir. C’est pourquoi les hommes se consument à ce point dans la passion de croire n’importe quoi.

 

©hervehulin2021