C’est un étrange déclin de la liberté que de penser avoir raison en inventant chaque jour ce qui doit être, contre l’évidence de ce qui est. La recherche de la vérité aura alimenté l’humanité et l’effort de ses plus beaux esprits depuis que notre piètre cerveau, allié à notre pauvre cœur, ont entrepris de fonctionner de concert. Les sages qui nous ont précédé ont construit toute sorte de progrès pour réduire l’ignorance et permettre aux hommes d’être moins seuls dans leur nuit.

Jadis, les grecs ont édifié à cette fin, la philosophie, les romains le droit, les chrétiens la foi, les arabes les nombres. Toutes ces sagesses et bien d’autres ont construit une intelligence des situations, et c’est ainsi qu’est survenue cette idée, que la vérité n’est sans doute pas unique, mais, travaillée continument par un doute bienveillant, approche, sans jamais achever ce mouvement d’avancée, d’une fin commune à tous les systèmes. La vérité, telle une fileuse à sa quenouille, permettait alors de tisser une concorde millénaire par le sens si immuable de ce mouvement.

Longtemps nous avons été ainsi habitués à ce que ce solide principe, si profitable a toute société, soit le fruit d’un rassemblement des idées vers une seule fin, libérer l’homme de son ignorance. Aujourd’hui, cette habitude est révolue, et la vérité n’est plus que l’affaire d’une profusion, qui entend multiplier les chemins, et leurs destinations, pour faire en sorte qu’à chaque nouvelle qui est portée, les sources en sont contestées puis décomposées jusqu’à ce que chacun, dans cet éclatement de confettis et ce tourbillon de considérations, se sente la certitude et l’envie d’apposer sa vérité propre sur n’importe laquelle des facettes du monde.

Dans ce siècle de nuée et de poussière que nous traversons, la vérité s’est trouvée dépouillée de cet équilibre, et son principe d’une convergence vers un point unique de progrès partagé par tous, a muté en un mouvement chimérique de divergences de conceptions et d’improvisations. Mais une fois tissé, le fil ne peut jamais revenir vers le faisceau de la quenouille qui ne sait inverser son mouvement.

 

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