Le barde ne retourna jamais sur les terres de Morven. Bien des saisons passèrent. Peu à peu, son exil se dégagea de toute blessure. Il vivait dans sa tour près des falaises. Mais il errait souvent dans la contrée alentour, arpentant les landes, les collines, les plages et les forêts à la recherche de clés vitales pour son inspiration -chantonnant ses ossianiques, le cœur absent où léger. (suite…)

Les anciens bardes racontent ainsi la dernière aventure d’Ossian. : un jour que celui-ci était à la chasse, perdu dans la forêt, il rencontra une cavalière d’une beauté surnaturelle qui le séduisit d’un regard – comme les fées savent si bien le faire- le désigna élu de son cœur, et l’invita à monter en croupe pour l’emmener vers la terre d’éternelle jeunesse. (suite…)

 

I

Je parvenais peu à peu, à peine essoufflé mais satisfait, au sommet de la falaise, comme la nuit finissante était très claire. Une ligne de bruyère devant moi me découvrit la mer : je voyais le grand large déployer au regard son tracé pensif sous le ciel pâle. Là-bas, les flots s’en détachaient par meutes successives, striées de lune pour se ruer débridés à travers l’espace sans autre loi que leur mouvement nodal vers la côte, avant d’éclater quelque part, avec un souffle bestial, sur des récifs encore invisibles pour moi.

J’écoutais battre ce cœur insatiable, percussion d’une bouillonnante écume toujours pressée par l’inépuisable suspension des houles. Sur cette étendue incertaine, tourmentée de sa splendeur féroce avec la hargne d’un monde rebelle, l’obscurité suggérait çà et là des essaims de lueur, comme la proximité d’un éveil. (suite…)

L’Irrawaddy est majestueux : c’est un fleuve calme qui s’étire, comme un regard qui jamais ne se perd à travers toute la jungle. Peu de gens encore, plusieurs siècles après cette histoire que je vais raconter, connaissent son nom et son parcours. Son eau pensive et pâle, toujours proche de l’idée de sa source, glisse dans le clair-obscur du soir comme s’en va l’eau verte d’un songe hors de paupières ombres et or. L’air est gravide de cet automne tropical étrange où la végétation trop lourde sur les rives reste dépourvue de rousseur. La barque passe selon les contours sablonneux des rivages, parmi l’ombrage odorant des rouges saumaniers aux branches tombantes. Le soleil toujours embué dans un ciel terne, seul le mauve floconneux des véllédias en fleur éclaire la forêt de ces nuages.  Ce fleuve est large et sauvage. (suite…)